Exposition : Giorgio Morandi. La Collection Luigi Magnani (Musée de Grenoble)
jusqu’au 4 juillet 21 Musée de Grenoble,
5, place de Lavalette, 38000. réservations
Catalogue Coédition Musée de Grenoble Infine-editions, sous la direction de Guy Tosatto, 256 p. 28€
C’est à travers le regard passionné de l’un de ses plus constants admirateurs et ami, Luigi Magnani (1906-1984). que cette exposition restitue la nécessité intérieure du peintre – et graveur – italien Giorgio Morandi (1890-1964) : du court épisode métaphysique (emprunté à Chirico) à une quête solitaire et obstinée de la « vérité en peinture ». Considéré comme le peintre des poètes, ils ont été les plus proches à restituer cette recherche vers la résolution du mystère des apparences.
Une vie (d’atelier) quasi immobile
Sa biographie lapidaire tient en quelques mots terriblement arides : chef de famille à 18 ans, Giorgio Morandi emménage avec sa mère et ses trois sœurs, un modeste appartement dans le centre de Bologne, « c’est là, rappelle Guy Tosatto co-commissaire de l’exposition dans son essai ‘Giorgio Morandi peintre de natures mortes’, qu’il réalisera, dans l’espace réduit de sa chambre qui est aussi son atelier, l’essentiel de son œuvre. Là aussi qu’il mourra, le 18 juin 1964, à l’âge de 74 ans. (…) Une vie modeste d’enseignant, comme professeur de dessin puis de gravure, sédentaire, il ne quittera l’Italie qu’une seule fois pour un bref voyage en Suisse, et solitaire, on ne lui connaît aucune liaison amoureuse.» « Ce qui importe, ne cessa-t-il de revendiquer en préservant sa solitude, c’est toucher le fond, l’essence des choses ».
Tenter de pénétrer le mystère Morandi
Peintre sans théorie, préférant le silence de son atelier ‘à peindre des bouteilles’ pour des critiques d’art rebutés par l’aspect ‘dérisoire’ – voir ‘vain’ – de ses variations infinies et infimes de natures mortes, et de quelques paysages. « Des natures mortes où reviennent continuellement les mêmes objets, dans des compositions qui tendent, au fil du temps, à se simplifier et se dépouiller, et des paysages qui se partagent entre deux sites seulement : Grizzana, le lieu de villégiature familiale, dans les Apennins, au sud-ouest de Bologne, et l’arrière-cour de la via Fondazza » reprend Guy Tosatto, pour tenter de définir « un défi qui détermine l’aventure de toute une vie. Là est le mystère Morandi. »
Si elle ne prétend pas en percer le secret, cette magistrale exposition et son indispensable catalogue constituent « une introduction intimiste » qui grâce à un collectionneur ayant accés directement à l’atelier du peintre, capte et illustre toutes les facettes de de cette recherche « sous l’horizon du langage » (Bonnefoy).
Un peintre de poètes
De Rilke à Claude Esteban, les poètes – et pas des moindres – ont su restituer cette expérience unique de « la métaphysique des objets les plus communs » (selon Chirico). Ils ont les mots et l’empathie pour cette « vie aussi concentrée que celle des religieux » écrit Philippe Jaccottet ( Le Bol du pèlerin, 2001 ), qui aime cet « art du presque rien » pour ajouter : « Une espèce de folie, quand on y songe, quand on s’avise que ce travail s’est poursuivi presque tous les jours, pendant toute une vie. » Combien est fascinante la modestie et humilité de » l’investigation rigoureuse de l’immédiat » (Esteban) ! Cette quête immense de traversée des apparences, en interrogeant la nature du visible démarque une recherche d’absolu qui se confond avec la poésie même.
« Son travail, analyse Sophie Bernard dans son éclairant essai du catalogue « Dialogues avec Bonnefoy, Esteban et Jaccottet » se fait l’écho de leur quête existentielle et sa recherche patiente résonne avec la «poésie de la profondeur » (Jean-Pierre Richard) dont ils se veulent les garants, une poésie attachée à sonder l’être et le néant, le sensible et les choses du quotidien, les pouvoirs du langage, et, enfin, le passage du temps.
« Il s’agira donc, insiste Sophie Bernard de cheminer aux côtés de Morandi en s’attachant aux thèmes qui reviennent comme des leitmotive – la conscience aiguë de la faille existant entre le langage et le réel, la rhétorique de la simplicité, la quête de l’essence du réel, le monde en fuite et la question de l’impermanence, la mélancolie et le vide – dans les écrits des poètes qui se sont nourris de son travail. »
« Plus l’art de Morandi progresse en dépouillement, en concentration, plus les objets de ses natures mortes prennent sur fond de poussière, de cendre ou de sable, l’aspect et la dignité de monuments. Philippe Jaccottet il n’en reste pas moins que le terme inventé par Donald Judd « objets spécifiques » ne déplairait pas à Morandi. Avec lui, les objets cèdent la place aux objets de la peinture.
A écouter : interviews de Guy Tosatto conservateur au musée de Grenoble & Sophie Bernard L’art est la matière, de Jean de Loisy
Italia Moderna
Catalogue sous la direction de Guy Tosatto, directeur du musée de Grenoble et de Sophie Bernard, conservatrice en chef chargée des collections d’art moderne et contemporain au musée de Grenoble
Coédition Musée de Grenoble / In Fine éditions d’art, 96 p., Prix : 15€
En contrepoint à l’exposition Giorgio Morandi, le musée de Grenoble propose un parcours dans sa collection d’art moderne italien particulièrement riche ; depuis l’effervescence des avant-gardes : du second futurisme (Fillia, Enrico Prampolini) aux « Italiens de Paris » (Alberto Magnelli, Filippo de Pisis, Mario Tozzi, Leonor Fini) à la période de l’après-guerre (spatialisme, abstractions) en passant par la figuration des années 1960-1970 et l’Arte Povera.