Exposition immersive : Super Terram, entre organique et virtualité (Fondation Desperados, espace Voltaire)
de 11h à 19h Fondation Desperados pour l’art urbain, 81 boulevard Voltaire, Paris 11e
Après Colors Festival, Super Terram, exposition laboratoire artistique à l’initiative de la Fondation Desperados pour l’art urbain investit l’espace éphémère Voltaire jusqu’au 19 mars 2023. Composées d’éléments naturels, les œuvres réalisées in situ par onze artistes choisis par l’artiste-curateur Gaël Lefeuvre interrogent notre rapport hors sol à la Terre, au temps et à la vie, dans un réel plus virtuel que jamais. Le parcours immersif encourage une déconnexion au sens propre, montrant aussi que l’art urbain peut rompre avec le graff pour une introspection artistique plus organique.
Super Terram offre une approche thématique : elle s’articule autour de nos vies contemporaines hors-sol, déconnectées de la nature, du spirituel, des sentiments. Je défends un art contextuel, qu’il soit urbain ou rural. Les artistes avec lesquels je travaille sont des reporters chacun à leur façon : ils s’intéressent aux autres, sont curieux de la vie et créent toujours un lien avec les gens qui vont appréhender leurs travaux.
Gaël Lefeuvre, artiste-curateur de Super Terram
Sur invitation de Gaël Lefeuvre, Super Terram est une exposition laboratoire initiée par la Fondation Desperados en partenariat avec le 9ème concept « Les artistes réunis pendant un mois ont produit leurs œuvres in situ (sauf Eternité de Gonzalo Borondo), sur la thématique du hors-sol et de la déconnexion avec la nature. C’était un véritable laboratoire artistique. Tous les artistes présents ont eu une pratique urbaine, en extérieur, et se sont ‘émancipés’ de l’art urbain. » décrit Julie Meunier, directrice de projet à la Fondation Desperados (Fondation d’entreprise pour l’Art Urbain du groupe Heineken).
Nous voulons montrer qu’il n’y a pas de cloisonnement entre art urbain et art contemporain.
Julie Meunier
« L’ADN de ce partenariat entre l’art urbain et la marque date de plusieurs années, c’est d’ailleurs le 9ème concept qui est à la direction artistique de Super terram » explique Julie Meunier. Loué par Plateau urbain, « l’espace a été utilisé pour des ateliers d’artistes depuis 2019. Depuis décembre, il a été loué à la fondation Desperados jusqu’au 19 mars ».
La terre est la matière première au sens propre du terme.
Dès l’entrée, le chemin qui s’esquisse fait divaguer le visiteur entre des monceaux de terre. C’est en effet 40 tonnes de terre qui a été dispersée à travers le rez-de-chaussée de l’espace Voltaire. Le parcours se décline sur trois niveaux : au rez-de-chaussée il s’agit de la transformation de la matière, au premier étage de la transformation des sociétés, et au deuxième étage, la transformation des mentalités.
Dans la déambulation dans les amas de terre, des diapositives sont placées dans des bacs d’eau comme s’ils produisaient des photos ou des souvenirs, mais qui sont floues et inlassablement effacées par le processus de la machine.
Ces images analogiques représentant des portraits, photos de famille, bâtiments ou des voyages sont fluides, formant un concept de société liquide où ni l’amour, l’amitié ou le travail forment des structures solides.
En physique, la résolution est le fait pour un corps de se décomposer en ses éléments ou de passer à un autre état. L’installation est un produit de synthèse : colorées et sonores, produisant un univers psychédélique en reflet du réel. Nous nous en rendons compte lorsque notre ombre divague en saccades sur le mur avec les différentes couleurs de la Led. Les perceptions visuelles, sonores et spatiales s’accordent et se confondent.
Sur une plaque métallique qui s’incline, nous voyons un QR code géant d’où de l’encre dégouline avant de tomber dans de l’eau. Germain Ipin s’intéresse ici aux « organisations graphiques non figuratives et à cette symbolique des formes répétitives, des motifs ».
Le fameux QR code représente tout à fait cette boîte qui nous permet d’obtenir des informations via notre smartphone. Une forme qui s’est imposée à tout le monde pendant la pandémie du Covid 19, avec le passe sanitaire notamment. Ces QR codes qui étaient destinés initialement à des objets, ont été associés à nos identités, à chacun d’entre nous, permettant un contrôle et une traçabilité sanitaire dans nos vies quotidiennes.
Pour décrire ces travaux, Germain Ipin imagine le terme de « dystopies graphiques ». En observant ce glissement, l’artiste l’observe cette fois-ci dans le réel, dans l’évolution de sa forme plastique, en lui fabriquant une rampe. Ce processus propose une rencontre entre le vivant et le terram : la terre crue, l’eau, la présence du visiteur, et l’immatériel, le Super terram. « En scannant ce QR code, nous arrivons sur la page de la définition de la biométrie, sur comment nous reconnaissons un humain avec ses caractéristiques physiques et biologiques » précise Julie Meunier.
Dans une autre pièce, nous découvrons un labyrinthe avec des plaques en verre, sur ces plaques transparentes se trouvent des gravures de statues greco/romaines ou chrétiennes de couleur verte. La démarche expérimentale de l’installation est au fondement de la recherche artistique de Gonzalo Borondo, notamment en multipliant les ressources picturales et les supports (verre, paille, céramique, bois). Avec des personnages qui révèlent du sacré, l’artiste met en lumière la psyché humaine, souvent lié à la religion. « Les deux types de sculptures vont se mélanger pour former une iconographie nouvelle lorsque nous nous déplaçons » dévoile Julie Meunier.
L’artiste consacre ses recherches sur l’animation de la peinture à travers des processus analogiques innovants, où l’interaction du son, de la lumière et de la vidéo, synthétisée sur le verre, devient le cadre de tableaux dynamiques oscillant entre le visible et l’inapercevable.
La transformation des sociétés
Cette pièce remplie de bouquets de fleurs sèches, sur des branches d’arbres sans feuilles, interroge les notions de mouvement, de migration et de survie. Cette approche est observée à travers l’histoire de Rabia, une femme rencontrée sur le marché de Saint-Denis lorsque Addam Yekutieli alias Know Hope travaillait sur son installation.
D’origine algérienne, Rabia est marchande de bijoux et de cosmétiques sur le marché depuis trente ans. Après avoir fui un mariage violent, elle quitte l’Algérie pour s’installer en France avec ses trois enfants. Face à une xénophobie répandue, Rabia ne se laisse pas abattre et décide de défendre le multiculturalisme comme une source d’enrichissement. Les fenêtres de la pièce sont recouvertes de grands rideaux, comme si la femme s’était protégée du regard des autres pour mieux faire pousser ses plantes et préserver sa paix intérieure. L’œuvre invite à l’empathie et à réfléchir sur comment nos peurs peuvent se traduire en de nouveaux imaginaires.
La transformation des mentalités
L’américain Michael Beitz travaille et vit à Roswell, Nouveau-Mexique aux Etats-Unis. Son travail met en scène des objets de quotidien, comme des chaises ou un tapis, en les transformant avec un sentiment d’aliénation, de perte et de conflit. Glanées dans les environs de Paris, ces chaises et canapés recyclés ont été mis à profit pour son installation. A travers ses différentes installations, l’artiste crée une expérience intime et invite à réfléchir « sur notre recherche du confort à tout prix, confort qui devient aliénant où les humains deviennent des tapis » remarque Julie Meunier.
Tech care, titre ironisant sur le ‘take care’ (prends soin de toi) mais cette fois ci avec le tech de technologie, le Collectif Cela pose la question de sa capacité réellement capacité à prendre soin de nous. L’œuvre présente un réseau de trois branches métalliques composées de feuilles en aluminium, des poches d’eau semblables à celles des hôpitaux sont suspendus à la structure. Ce système d’irrigation autonome et automatisé fonctionne goutte à goutte. L’eau, élément essentiel au maintien de la vie est transporté via ces feuilles de métal, approvisionné par ces poches plastique qui contiennent le liquide vital.
Avec un son amplifiant le cheminement des gouttes sur les plaques d’aluminium, ces sonorités métalliques explorent comment un montage industriel contraste avec l’attention nécessaire au bon déroulement de la culture d’un organisme.
Cette vision ironique de l’approche fordiste de toutes les formes d’activités questionne sur l’automatisation déshumanisée des systèmes de culture, également basée sur la performance et le rendement.
L’œuvre est inspirée par deux voyages que l’artiste française Seth a effectué en 2017 et 2019 pour peindre et réaliser des ateliers dans une école à Popasna, petite ville située dans le Dombass, région opposant la Russie à l’Ukraine depuis 2014. Aujourd’hui, l’école a été totalement détruite et la zone est contrôlée par l’armée Russe. Les créatures du mobil central sont tirées de l’œuvre de la peintre Maria Primachenko, figure de l’art populaire Ukrainien du XXème siècle.
Ces figures déclinées en ombres chinoises qui tournent dans la pièce autour de l’enfant, inspirées de la faune et des comptes locaux, paraissent menaçantes et encerclent l’enfant, vu comme une proie face à ces démons. Toutefois, la lumière au-dessus du chérubin peut faire office d’espoir, seul remède face à une période sombre et cruelle.
Super Terram n’est pas une exposition moraliste, ni catastrophiste,
on ne parle pas de fin de monde ni d’écologie, on est dans quelque chose de sensible, de brut.
Les artistes sont peut-être les derniers fous qui s’amusent.
Gaël Lefeuvre, artiste-curateur de Super Terram
Un temps de déconnexion
En contrepoint de Colors Festival qui joue la saturation de l’espace, Super Terram fascine par ses espaces dépouillés plongés dans l’obscurité où les artistes contextualisent avec force effets scéniques leur dialogue avec l’environnement.
Au visiteur de se laisser prendre pour mieux se recentrer sur « sa » réalité terrienne, afin de retrouver du concret et du calme dans une vie toujours plus trépidante. On est loin du graff traditionnel de l’art urbain !
#Baptiste Le Guay