Exposition Jean-Pierre Formica, L’émergence du visible [Galerie Pierre-Alain Challier]

Jusqu’au 31 juillet. Galerie Pierre-Alain Challier 8 rue Debelleyme, Paris 75003
Jusqu’au 15 août, Chapelle du Méjan Place Massillon -13200 Arles – mejan@actes-sud.fr
Monographie. Jean-Pierre Formica, L’émergence du visible, Olivier Kaeppelin, Aymeric Mantoux, Actes Sud, 2020, 69.00€

Dessinateur, peintre, sculpteur, graveur, Jean-Pierre Formica est tout à la fois. Ses « papiers colorés entaillés », au cœur de deux expositions (Galerie PA Challier, Paris  jusqu’au 26 juillet, et Chapelle du Méjan, Arles jusqu’au 15 aout) et d’une monographie chez Actes Sud réunissent ses techniques dans une maitrise fascinante de la couleur et de ses épaisseurs. A partir de feuilles colorées qu’il sculpte au cutter, l’ancien compagnon  Supports/Surface fait ressortir un somptueux jaillissement de formes. La confrontation avec l’épaisseur de la couleur et de l’espace définit ses sujets, projetés dans une autre dimension, faite de papier, de couleurs et de liberté.

Matisse découpait la couleur, Formica l’entaille

Si le natif du Sud né 1946 a eu ses périodes, ses phases comme le révèle sa première monographie chez Actes Sud, L’émergence du visible, avec des textes d’Olivier Kaeppelin, et d’Aymeric Mantoux, les deux expositions (Galerie Challier et Chapelle du Megan, Arles) se concentrent sur son récent travail de papiers colorés entaillés. Le résultat – cohérent et joyeux – est un enchantement de couleurs et de jaillissements, très bien mis en valeur par l’éclairage du parcours à la Galerie Challier, qui invite à regarder de loin et de prés pour pénétrer les interstices des couleurs.

Si les œuvres sont souvent sans titre, le visiteur peut voir jaillir ou reconnaitre à la surface des feuilles colorées souvent accrochées à même le mur; fleurs, portraits, paysages, cartes du monde, références à la tauromachie, allusions à des tableaux iconiques, d’une infante, d’un pape de Vélasquez ou d’un personnage de Bacon … « Je me vois comme un archéologue qui révèle quelque chose d’enfoui qui redevient une image et raconte sa propre histoire » revendique-t-il dans son long entretien avec Aymeric Mantoux. Mes papiers déchirés ne sont pas comme ceux de Raymond Hains ou de Jacques Villeglé. Je devrais d’ailleurs parler de mes papiers arrachés ou plutôt révélés. Ce ne sont pas des accumulations de papiers déjà établis. Je peins des tableaux l’un sur l’autre : et se découvre in fine un tableau à l’intérieur d’un autre tableau. »

Epuiser le recouvrement

Formica JP, Sans titre 2020,L’émergence du visible [Galerie PA Challier] Photo OLGan

Déceler, reconnaitre, retrouver, ce que le regardeur qui se donne la peine découvre deviendra personnel, singulier, au-delà des attentions et des intentions du peintre.
« Une peinture, chez lui, n’est jamais un programme mais un acte qui se vit comme une séquence où l’artiste initie une scène qu’il créé en puisant, dans ses vies, ses vies de peintre, sans savoir où ces chemins le mènent. nous éclaire Olivier Kaeppelin. Il se veut le journalier de ce mouvement qui l’entraine comme le courant de sa pensée. Il cherche l’esprit des formes. »

Formica, Innocent X, 2016 L’émergence du visible [Galerie PA Challier] Photo OLGan

Travail autant de mémoire que dans l’épaisseur du présent

D’une technique volontairement simple, l’accumulation de cinq feuilles peintes de Canson de 220 grammes, toujours identiques, Formica en fait un révélateur inouï de formes, où la surface devient mouvante, et émouvante. Comme pour les papiers découpés de Matisse, la couleur jaillissante des profondeurs du papier révèle une vérité autant que le dessin. Un aboutissement d’un travail autant de mémoire que de l’épaisseur du présent, qu’il taille à vue. « Par la déchirure, ou l’accès que permet l’entaille, je fais venir plus ou moins devant une couleur. confie l’artiste. Toute la mémoire passée, antérieure, du dessin, ou de la couleur ou du volume, ressurgit. En réapparaissant, elle donne forme au sujet. Ceux-ci sont différents selon les jours, l’humeur et l’interprétation. C’est mon travail au quotidien. L’image, même si elle n’est pas toujours apparente, est en réalité sous-jacente. La mémoire, c’est le sens profond de ma création et de mon travail de peintre. »

La couleur déborde, la beauté aussi

Formica JP, Sans titre 2020,L’émergence du visible [Galerie PA Challier] Photo OLGan

Sans cadre, sans raccord, mais surtout de tailles différentes, les tableaux sont confrontés à une surface délimitée, mais la fermentation active de la couleur déborde. Le jeu coloré d’aplats issu de la confrontation avec cet espace en trois dimensions définit le sujet qui accède à la surface.

Nul ombre dans ses jaillissements, Formica assume à sa manière d’exprimer le beau. « Ma peinture, c’est une certaine idée de l’harmonie, insiste encore l’ancien compagnon du mouvement Rapports/Surface qui luttait contre le tableau, ses lois académiques, son cadre pour s’en échapper, privilégiant l’expression picturale, les jeux avec le hors-champ..  Matisse disait : ‘On dit que ma peinture est décorative. Si elle l’est, je suis fier d’être décorateur.’ Il sublimait la beauté et j’ai fait mienne cette démarche. Moi, c’est la lumière, c’est la couleur, une certaine exaltation de la forme par rapport au sujet, qui m’inspirent. Les tableaux se suffisent à eux-mêmes. »

Le maitre sourcier de la couleur 

Formica JP, Sans titre 2020,L’émergence du visible [Galerie PA Challier] Photo OLGan

En découvrant les nombreuses séries exposées, – d’Innocent X aux Ménines – le visiteur saisit mieux à quel point l’intemporalité en art revendiqué par Formica est essentielle, tant il puise dans l’ensemble d’un patrimoine, d’une  « sédimentation » comme il dit que l’histoire et la mémoire lui ont transmis. « Ma peinture, de la même manière, est une sorte de puzzle. Il reste encore quelques fragments pour achever l’histoire, quelques éléments à livrer. On cherche tous l’absolu. »

« Dans ce “tissu”, éclaire Olivier Kaeppelin, la “chair” de la peinture est la résultante de différentes peaux qui ne se perçoivent pas nécessairement mais expriment, profondément, le sens incarné dans ces multiples accouplements de surfaces. Au cœur du réel, elle vous laisse croire au gain de la partie, avant de se dérober dans la profondeur d’éclats de nuit et de couleurs lancées. Interdits, nous voyons la peinture s’enfoncer au-delà des voiles, au-delà des reflets, puis remonter à la surface, devant nos yeux, avec tous ses pouvoirs d’illusion et de vérité. »

En espérant vous avoir convaincu qu’il est temps d’aller vous plonger dans l’épaisseur picturale de ce maitre sourcier de la couleur.