Exposition : Paul Andreu, L’architecte et le peintre (Galerie Éric Dupont)

jusqu’au 25 septembre 21, Galerie Éric Dupont, 138 rue du Temple, 3e
T + 33 1 44 54 04 14 – info@eric-dupont.com
Paul Andreu, architecte, Centre Pompidou, depuis le 7 septembre 21

L’architecte Paul Andreu (1938-2018) n’a pas seulement créé des constructions comme une vingtaine d’aéroports de Roissy à Shanghai ou de bâtiments comme la Grande Arche de La Défense ou l’Opéra de Pékin auxquels Le Centre Pompidou consacre deux salles, l’artiste polyvalent laisse aussi des textes et de dessins mais aussi des peintures exposées jusqu’au 25 septembre à la Galerie Éric Dupont.

Une peinture à l’abri des regards, mais pour porter plus loin le regard

Paul Andreu 17.12.15 Galerie Eric Dupont Photo OOlgan

« J’ai fait de l’architecture à cause de la peinture (…) Mais je ne pouvais pas annoncer à mon père que je souhaitais faire de la peinture ; le malheureux n’y aurait pas survécu ! Ce n’est pas sérieux comme carrière, à ses yeux. J’ai donc opté pour une discipline à mi-chemin. Sans n’avoir jamais rencontré un architecte de ma vie, j’ai décidé que je deviendrais architecte. C’était une décision artistique : ma motivation n’était pas d’élever des murs ou de construire des bâtiments. Après, j’ai été capturé par l’architecture. Cela m’a occupé, et comme je suis quelqu’un de sérieux, j’ai pensé que je n’avais pas de temps à perdre en dehors de l’architecture. J’ai oublié mes premières passions. » glissait l’immense bâtisseur Paul Andreu.

Libre de tout engagement, terriblement marqué par le procès à la suite de l’effondrement d’une des gares de Roissy, Il s’y consacra les sept dernières années de sa vie. Un curieux sentiment d’imposture, lui qui a dessiné toute sa vie d’architecte, le fit garder cette activité quasi secrète dans le silence de l’atelier : « Je ne sais pas si c’est bien et je ne suis pas pressé qu’on me le dise, parce que j’ai trop peur que l’on me décourage. Je fais de la peinture à quatre pattes, par terre, et ça personne ne peut m’en empêcher ».
C’est probablement le talent de ce polytechnicien dans le sens renaissance du terme qui est le moins connu. « J’aimais beaucoup discuter avec les peintres. reconnaissait-il à ses intimes. Je me disais que cet art était parfaitement complémentaire à ce que la science pouvait apporter par ailleurs. »

Une pratique sincère, profonde

Paul Andreu triture de papier pour l’ouvrir à d’autres espaces Galerie Eric Dupont Photo OOlgan

C’est cet engagement loin des tumultes que présente la Galerie Éric Dupont : « En gardant ainsi ses œuvres secrètes, insiste Eric Dupont dans le catalogue,  il sut conserver intacte la force créatrice qui les fit naître et préserver son perpétuel désir de parvenir à une forme impalpable, une forme d’excellence et de vérité. Il ne voulait pas qu’un regard extérieur interfère dans sa pratique, il tenait à garder l’intégralité de son énergie ; il craignait qu’un œil trop hâtif ne vienne altérer son engagement et entamer son enthousiasme. Il n’y pas que les machines qui tuent, les mots aussi ! »
Et d’ajouter. « Ce sont des œuvres d’essence abstraite, elles sont bien trop empreintes de mystère et d’esprit pour les donner rapidement en pâture aux regards dévorants d’un monde trop pressé. Elles sont à l’image de leur auteur : à la fois discrètes et emportées, pudiques et délicatement enflammées, habitées d’une agitation semblable peut-être à ces maux qui le tourmentaient et qu’il taira jusqu’au bout. »

Et l’espace proposé, si bien habité (dans tous les sens du terme) par ses œuvres abstraites, méditées constitue un apaisant havre de quiétude dans ce Marais effervescent !

Dialogue avec le papier

Sans de réelle surprise tant il fut proche de la culture chinoise, le travail pictural de Paul Andreu est influencé par l’héritage paysager chinois. D’abord par le support. Le papier devient une expression à part entière, provoquée par la peinture ;   il froisse, le pli, l’étale toujours dans l’attente qu’il réponde à l’artiste. Cette symbiose du fond et de la forme est au cœur d’une philosophie de l’écoute de l’autre mais aussi de soi-même que Paul Andreu a approfondie toute sa vie. S’il la croit nécessaire, la beauté pour lui ne se calcule pas. « L’important pourrait être davantage de reconnaître la beauté que de la produire ; et il faut accepter qu’il n’y ait pas de règle ou de recette mais seulement du désir. Pour l’architecture, si profondément liée à l’économie, à l’utilité, c’est encore plus difficile, que pour les autres arts, mais aussi nécessaire. »

Je ne cherche pas l’impossible

Paul Andreu 17.11.26 Galerie Eric Dupont Photo OOlgan

« Des paysages et des empreintes alors apparaissent, elles révèlent un mouvement naturel, espéré, sans jamais être contrôlé. C’est le mouvement d’un cœur silencieux qui cherche à faire entendre parmi les plis et les fissures du papier le murmure de l’âme chinoise. » écrivait Christine Cayol, Fondatrice de YISHU 8, commissaire de l’exposition Dialogue avec le papier à Pekin en juin 2017.

Lors de l’inauguration, Paul Andreu expliquait : « Dans tout ce que je fais y compris dans les dessins d’architecture, je tiens à dessiner à la main et pas à l’ordinateur parce que parfois la main va plus vite que la tête, la tête la rattrape. C’est une espèce de jeu entre la tête et la main, une sorte de rétroaction, l’un poussant l’autre. L’ordinateur est desséchant à côté de ça… (…) La peinture que je fais et la manière dont je pense sont très abstraites. Aucune de mes peintures n’a de titre. De la même façon lorsque j’écris, aucun de mes personnages n’a de nom. J’ai toujours envie que ce soit un peu générique. Je ne cherche pas l’impossible et je n’y prétends pas. Mais, je pense que je peux faire passer dans la peinture cinquante ans de regard, d’attention à l’espace. Certains de mes réflexes, plus ou moins spontanés ou contrôlés vont apporter quelque chose. Pourquoi, je ne sais pas.».

L’attachement au paysage.

Paul Andreu 17.02.04 Galerie Eric Dupont Photo OOlgan

« J’ai compris qu’on n’était jamais architecte, pas plus qu’on n’est peintre ou poète, mais qu’on pouvait chaque jour le devenir un peu plus, écrit Paul Andreu dans son roman Kaléidoscope (Alma éditions, 192 pages, 18 €). Dans ses écrits, Paul Andreu a glissé de jolies réflexions qui éclairent sa personnalité comme son œuvre notamment dans Échelles, Coldefy & Associés, 2018) : « Si je cherche un mot pour résumer cette démarche qui commence, le plus approprié me paraît aujourd’hui « l’attachement au paysage ». Cela signifie la volonté de ne rien briser inutilement de ce qui nous lie aux origines, mais en même temps de ne pas nous retirer dans le passé, qui est la mort. De rechercher, au-delà des satisfactions et des intérêts individuels, à préserver et à développer, pour le transmettre, ce bien commun qu’est le paysage, de renoncer à la domination destructrice que les progrès techniques mettent aujourd’hui à notre disposition. De porter enfin attention à ce qui est faible, fragile, plein d’une irremplaçable richesse. »
Sa peinture porte cette force tranquille et mérite que l’on plonge dans le Marais pour y trouver la paix.

#OlivierOlgan

Visite de l’exposition en 3D Artland

A lire : Faire et refaire, de Paul Andreu, essais, préface de Marc Lachière-Rey (Alma éditions, 240 p., 23 €)

Pour ce créateur polymorphe, architecte, dessinateur, peintre, « l’écriture a toujours accompagné la réflexion comme la création », rappelle Nadine Eghels en introduction de Faire et refaire. « Quand il ne dessinait pas, ne peignait pas, n’élaborait pas de projet de bâtiment, ne concevait pas une structure ou n’étudiait pas un matériau … Paul écrivait », confie celle qui partageait la vie de l’architecte. La multitude de thèmes abordés dans cette somme de textes courts offre une passionnante réflexion sur l’architecture, et au-delà, sur la création. Si l’architecture y occupe une place centrale, la transversalité de la discipline et la curiosité de son auteur nous embarquent dans toutes sortes de champs de réflexion aussi variés que l’outil informatique, la pratique du dessin, en passant par le paysage, la nature, le théâtre, la poésie, ou encore la communication, nous invitant à méditer sur notre monde, sur la mondialisation, sur l’éclatement des villes, sur le développement durable, ou encore sur le temps, que l’on cherche sans cesse à réduire.