Culture

Paysages. Fenêtre sur la nature (Louvre Lens - Lienart)

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 28 juin 2023

Jusqu’au 24 juillet 2023Louvre Lens, 99 rue Paul Bert 62300 Lens – Tél : +33 3 21 18 62 62

Si le paysage fait l’objet de multiples expositions et beaux-livres, la réussite exemplaire de Paysage. Fenêtre sur la nature, du Louvre Lens, jusqu’au 24 juillet 2023 et son catalogue édité par Lienart tient à l’ambition du propos, revenir à l’évolution de la place l’artiste-créateur et du langage artistique face à la nature, de l’instant éphémère jusqu’à la vision d’éternité. L’inventivité de la scénographie rythmée par les quatre temps de la fabrication du paysage signée par le plasticien Laurent Pernot sait accompagner ce vaste panorama créatif : des « humeurs » de la nature, du réalisme à l’impression, de la géolocalisation à l’intériorité, associant décors, jeux d’éclairages, variation de matières et de couleurs, pour une véritable immersion dans la fascination toujours renouvelée de l’homme pour la nature. Le catalogue en approfondit tous les enjeux contemporains.

La création avant le paysage, entrée créée par le plasticien Laurent Pernot, Fenêtre sur la nature (Musée Louvre Lens) Photo OOlgan

La création avant le Paysage

Le parcours débute dans un vaste espace où sont projetées des images de la nature avant sa représentation. Car c’est bien l’enjeu réflexif de cette magnifique exposition – dotée d’un catalogue indispensable – éclairer le rapport de l’homme à la nature. C’est aussi le premier volet d’un triptyque que le Louvre Lens souhaite déployer (avec les animaux fantastiques en autres). La démarche est passionnante, car elle associe toutes les dimensions de la sensibilité face à la « Terra Incognita », du mythologique (égyptienne et grecque) à l’ ornemental (via des vocabulaires visuels), de l’imaginaire au métaphysique, et tous les enjeux esthétiques de sa représentation.

Le Louvre-Lens s’inscrit lui-même dans un paysage, et un paysage complexe, fruit de la relation – parfois tumultueuse, longtemps industrielle aussi – de l’homme et de la nature, qui est au cœur du sujet de notre exposition.
Marie Lavandier Directrice du musée du Louvre-Lens

Le parcours conçu par le plasticien Laurent Pernot est à la fois immersif et une métaphore des éléments constitutifs de Paysages, Fenêtre sur la nature (Musée Louvre Lens) Photo OOlgan

Rendre vie aux tableaux

Ruisdael, Champ de blé, Le coup de soleil, vers 1660. Paysages, Fenêtre sur la nature (Musée Louvre Lens) Photo OOlgan

Quand on s’attarde à la notion artistique de paysage, le vertige nous saisit vite, tant ses enjeux esthétiques sont multiples, Sa définition, ‘Une invention de peintre ?’ s’interroge Justine Balibar dans le catalogue. Ses perspectives au sens propre et figuré puisque sa représentation occidentale, très différente de l’orientale (voir François Julien, lu par Domecq) a été révolutionnée par la perspective de la Renaissance et le point de vue du peintre. Les découvertes scientifiques se substituant aux mythes (voir Terra Incognita, de Corbin), la nature acquiert de nouvelles dimensions, de nouvelles significations. Toutes ses métamorphoses du regard et les questions esthétiques voir politiques qui y sont attachés sont largement explorées et sobrement restitués par les signatures du catalogue (Justine Balibar, Florian Métral, Emilie Beck-Saiello, Pierre Watt) qui le rendent indispensable.

Dans notre monde, aujourd’hui totalement métamorphosé par l’activité humaine, les thèmes du paysage et de la nature sont d’une actualité brûlante ; les œuvres les questionnent à leur manière et démontrent, s’il le fallait, à quel point sont liés art et paysage.
Vincent Pomarède, co-commissaire

L’expérience immersive et sensorielle  – sans de véritables limites – voulue par Laurent Pernot rapproche d’une nature revue par le regard de l’art, Paysages, Fenêtre sur la nature (Musée Louvre Lens) Photo OOlgan

Une histoire de points de vue

Au fil d’une déambulation subtilement immersive – absence proprement dit de salles au profit d’un espace paysagé, rythmé par de vastes décors aux marquages colorés.  La force de la scénographie signée du plasticien Laurent Pernot est de sans cesse nous faire revenir « sur terre » à travers les yeux et les outils – parfois élémentaires – de ces « créateurs du monde » qui cherchaient à en capter le mystère, la fugacité et les merveilles.

Scénographier est non seulement mettre en scène des œuvres mais aussi structurer le vide, articuler des espaces narratifs comme on compose un scénario, ouvrir et déjouer des perspectives, accompagner ou affranchir le visiteur, introduire des images, des couleurs, des sons et des lumières… Scénographier, c’est créer une atmosphère. Ainsi, l’exposition est envisagée comme une expérience immersive et sensorielle proche de la nature.
Laurent Pernot, plasticien et scénographe

Il faut saluer la bienveillance des conservateurs qui ont accepté – non sans réticence, une première sans doute au Louvre – de répondre à la demande du plasticien de faire varier l’éclairage de plusieurs tableaux, dont Le Printemps de Jean-François Millet, ceux prennent vie sous nos yeux.

La relation troublante et intrinsèque entre le mouvement et les émotions est au cœur du rapport entre déambulation et fixation du regard. Paysages, Fenêtre sur la nature (Musée Louvre Lens) Photo OOlgan

De la confrontation à l’évacuation de la nature

Joan Mitchell, Champs, 1990 Paysages, Fenêtre sur la nature (Musée Louvre Lens) Photo OOlgan

Les quatre sections que le plasticien organise suivent les « quatre temps de la fabrication du paysage : « A l’origine des mondes », de l’esquisse fragmentaire préparatoire qui nécessite la maîtrise des « Ornements de la nature » notamment des représentations de l’arbre, du rocher, des nuages et de l’eau. « La grande confrontation », c’est celles des artistes qui se lance le défi de capter la nature, de sa pulsation à ses furies. «Au rythme de la nature » avec la représentation des saisons, des humeurs de la nature, de la lumière. Très astucieusement, la dernière section interroge « Un regard théâtral » , qui suggère la « mise en scène » des paysages, à « Réinventer la nature » restitue la dynamique de ne plus imiter la nature, mais de chercher dans ses émotions, cheminement vers une abstraction,  et l’évacuation « tout objet réel, d’une nature mise à distance à un environnement partagé avec vivant et non-vivant » selon Vincent Pomarède.

L’art du paysage allait progressivement se restructurer à partir du XVIIIe siècle autour d’une quête de perfection conçue grâce à ce savant dosage de démarche rationnelle et d’approche sensible ; fondamentalement, c’est cette quête d’équilibre entre la raison et le cœur, l’intellect et la sensibilité, qui allait animer toutes les générations de peintres jusqu’à la fin du XIXe siècle, et au-delà…
Vincent Pomarède. 

Difficile de déployer la richesse d’une telle ‘œuvre‘ singulière et collective qui aborde avec un regard pénétrant et gourmand toutes les évolutions – en ouvrant de nombreuses fenêtres – sur le paysage…
Aussi un seul conseil : rendez vous au Louvre-Metz avant le 24 juillet et lire le catalogue qui fera date, vous ne regarderez plus la nature (et sa représentation) sans surprises. Votre plaisir sera enrichi de cette érudition réflexive et joyeuse !

#Olivier Olgan

Pour aller plus loin sur le Paysage

Catalogue : sous la direction de Marie Lavandier, directrice du Louvre-Lens, Vincent Pomarède, et Marie Gord. Une synthèse indispensable d’une thématique plurielle éclairée par les essaus passionnants de Justine Balibar,  Florian Métral, Emilie Beck-Saiello, Pierre Watt. Co-édition Louvre-Lens-Lienart, 392 p., 39 € :  » L’élaboration culturelle du paysage est multiforme : d’une part, le paysage est cultivé dans sa matérialité même, par toutes les formes possibles de modification de l’environnement (agriculture, sylviculture, architecture, travaux hydrauliques, construction de routes, etc.); d’autre part, il est cultivé dans l’expérience que nous en faisons, expérience du corps et de l’esprit qui s’appuie aussi bien sur l’éducation du regard et des autres sens, sur la référence à des modèles artistiques et littéraires que sur des connaissances théoriques et intellectuelles nous permettant de comprendre et d’interpréter les paysages, ainsi que sur la maîtrise de pratiques corporelles ou techniques nous permettant de les parcourir. » Justine Balibar, Le paysage, une invention des peintres ?

« Qu’on le définisse comme «manière de voir 1 » ou que l’on considère qu’il rend visible l’histoire humaine dans sa relation à l’environnement naturel, le paysage est une notion éminemment politique : un genre portant l’empreinte d’une idéologie, voire d’une autorité. Se confronter au paysage consisterait, dès lors, non pas à regarder un fragment de nature isolé par le choix d’un artiste, mais à saisir le type de contrôle politique qui s’exerce ainsi, telle l’une des puissances à l’œuvre dans le paysage. » Pierre Watt. Appropriation. Paysage et politique

A voir

Laurent Pernod a scandé le parcours à la fois d’une musique et de deux espaces cinématographique pour permettre au visiteur de mieux s’immerger.

Playlist d » Une nature marquée par l’absence d’empreinte humaine ».

Koyaanisqatsi, Godfrey Reggio (1982)
Planet Z, Momoko Seto (2011)
La Leçon de piano, Jane Campion (1993)
Partie de campagne, Jean Renoir (1946)
Sans Soleil, Chris Marker (1983)
La Forêt de Mogari, Naomi Kawase (2007)
Les Mondes engloutis, Nina Wolmark (1985)
Nostalgie de la lumière, Patricio Guzmán (2010)
Les Plages d’Agnès, Agnès Varda (2008)
Où est la jungle ?, Iván Castiñeiras Gallego (2015)
Montagnes, Laurent Pernot

Playlist « présent et anticipation du futur, questionnant le devenir des paysages refaçonnés par l’être humain »

Apocalypse Now, Francis Ford Coppola (1979)
La Terre outragée, Michale Boganim (2012)
Echo chambers, Guillermo Moncayo (2014)
Podesta Island, Stéphanie Roland (2020)
Stalker, Andreï Tarkovski (1979)
Ondes noires, Ismaël Joffroy-Chandoutis (2017)
Le Scaphandre et le Papillon, Julian Schnabel (2007)
Le voyage, Fernando Solanas (1992)
Soleil vert, Richard Fleischer (1973)
La Légende de la forêt, Osamu Tezuka (1987)
La Tortue rouge, Michael Dudok de Wit (2016)
Le Pays où rêvent les fourmis vertes, Werner Herzog (1984

A lire

François Julien, Vivre de Paysage, ou L’impensé de la raison (Folio) « Un « paysage à vivre » n’est pas tant un objet qu’une source qui recrée celui qui le regarde. Et cette « mise sous tension » du paysage chinois peut aider à penser le paysage européen abusivement géométrisé. En nous mettant sur la voie d’une vision dynamisée de l’étendue, elle nous invite à un autre équilibre entre le vide et le plein, le proche et le lointain. Selon la tension qui naît d’un détail ou selon le tracé d’un horizon, cet espace qui s’ouvre devant nous, notre avenir immédiat, apparaît ainsi comme notre cartographie intérieure.  »

Jacques Rancière, Le Temps du paysage, aux origines de la révolution esthétique (éd. la Fabrique). « Au XVIIe siècle encore, la nature n’avait rien à voir avec les ruisseaux, les champs, les arbres… La nature, c’était l’ordre des choses, un enchaînement de causes et d’effets que l’art devait imiter dans ses propres compositions. Au XVIIIe siècle, elle va s’identifier au contraire à la liberté, à ce qui est le contraire de l’artifice humain. Le paysage est l’œuvre d’une artiste d’un genre nouveau, la nature, qui fait du beau parce qu’elle ne veut pas faire de l’art. C’est cette nature toute nouvelle que l’art des jardins se propose d’imiter. »

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