Exposition : Qu'il était bon mon petit français, de Livia Melzi (Salon de Montrouge)

[Photographie d’aujourd’hui (1)] L’artiste brésilienne Livia Melzi a présenté au 65e Salon de Montrouge (du 22 au 31 octobre 21) une installation décapante issue de sa recherche intitulée Exposition : Qu’il était bon mon petit français, de Livia Melzi (Salon de Montrouge), partie de son Étude pour un monument Tupinambá, autour des manteaux des indigènes Tupinambás. La lauréate du Grand Prix de cette 65eme édition sera exposée au Palais de Tokyo l’année prochaine.

Une Étude pour un monument Tupinambá, autour des manteaux des Tupinambás.

Livia Melzi Qu’il était bon mon petit français (Salon de Montrouge) Photo Marcella Marer

Au Salon de Montrouge, l’installation de Livia Melzi nommée Qu’il était bon mon petit français, partie intégrante son Étude pour un monument Tupinambá, se compose de trois œuvres : une photographie d’un manteau Tupinambá, peuple originaire de la côte brésilienne, conservé dans le Musée Art & Histoire de la Belgique, à côté d’elle une tapisserie produite à partir de la gravure Peuple cannibale nu (1592) de Théodore de Bry et sur le sol entre les deux, une table garnie d’un grand service français servant des viscères en céramique.

Ainsi composée, l’œuvre crée un dialogue entre deux rituels alimentaires collectifs.

  • D’une part, le service de table traditionnel représente l’art du repas occidental pris en commun, dans lequel l’étiquette traduit la civilité et indique l’évolution de la société.
  • De l’autre, une pratique alimentaire indigène disparue, fondée sur le cannibalisme représentant donc la partie la plus primitive de l’existence humaine.

Livia Melzi Tapisserie (détail) à partir de la gravure Peuple cannibale nu (1592) de Théodore de Bry Photo Marcella Marer

La gravure de Théodore de Bry (1528 -1598), à l’origine de la tapisserie exposée, appartenant à l’ouvrage Grands Voyages: America Tertia Pars, une collection de rapports sur le Nouveau Monde publié entre la fin du XVIe siècle et le début du XVIIe qui dépeint les indigènes comme des guerriers barbares, dangereux et dévoreurs d’humains.

Livia Melzi Table (détail) garnie d’un grand service français servant des viscères en céramique Photo Livia Melzi

Les rituels d’anthropophagie impliquaient des cérémonies où, en mangeant un autre être humain, les indigènes croyaient qu’ils allaient assimiler leur force, qu’il s’agisse d’ennemis ou de parents décédés. Ainsi, pour un individu capturé, devenir la nourriture de la tribu représentait le plus grand honneur. Ce serait décevant de montrer de la peur face à la mort et de refuser d’être dévoré. Avant d’être mangés, les détenus étaient attachés et exhibés devant toute la tribu, qui accomplissait autour d’eux ses rituels festifs. Les plus grandes menaces pour les populations indigènes étaient les Portugais, et certains de ces colonisateurs sont devenus de l’alimentation pour les tribus Tupinambás.

Une autre dimension par le documentaire

Livia Melzi Photographie du manteau Tupinambá (détail de Qu’il était bon mon petit français, Salon de Montrouge) Photo Marcella Marer

Le film Como era gostoso o meu francês (Qu’il était bon mon petit français, 1971) du réalisateur brésilien Nelson Pereira dos Santos, qui donne le nom à l’œuvre de Melzi, montre les rituels du point de vue des indigènes brésiliens qui voyaient leur existence menacée par les étrangers. Le film se déroule en 1594, où un aventurier français, spécialiste de l’artillerie, est fait prisonnier par les Tupinambás, qui entendent acquérir leur pouvoir dans l’utilisation des canons.

Les manteaux étaient utilisés par les indigènes pour des rituels anthropophagiques et ont été enlevés du Brésil au XVIIe siècle. Ainsi, la photographie du manteau Tupinambá constitue un contrepoint aux rituels alimentaires représentés par la tapisserie et le service de table. On y voit un manteau indigène sacré qui a été « capturé » et qui est exposé dans un musée européen. Il n’en existe aujourd’hui que 11 exemplaires, tous conservés dans différents musées de l’Europe.

Une installation qui apporte des réflexions

Par association, l’installation nous amène à questionner si les vernissages dans les musées sont comme des rituels anthropophagiques où, dans ce cas, le public acquiert des connaissances autochtones en faisant la fête autour de la grande capture.

Livia Melzi Qu’il était bon mon petit français (Salon de Montrouge) Photo Livia Melzi

Malgré la violence de la thématique, l’ensemble de l’œuvre est extrêmement forte réalisé de manière exquise. Cependant, l’essentiel dans l’œuvre de Melzi ce sont les diverses questions contemporaines générées par son regard sur le passé.

Parmi eux, nous pouvons souligner les suivants: les objets sacrés d’autres peuples qui enrichissent les collections des musées européens, la conservation de ces exemplaires qui se fait en dehors de leur pays d’origine, l’accès à ces pièces, la représentation des indigènes habituellement liés à des peuples dangereux alors qu’en fait, ils tentaient de se défendre de leurs agresseurs et la possibilité qu’une représentation caricaturale réalisée par un artiste étranger soit assimilée comme un portrait fidèle de l’époque.

Entre restitution et portée historique

Alors que les objets restent « capturés » dans les musées européens et que les retours sur leurs terres et peuples d’origine sont débattus au cas par cas, la recherche de Melzi fonctionne comme une source de réparation historique pour l’un des peuples originels du Brésil.

Manteau Tupinambá, Musée Branly Photo Livia Melzi

A l’instar de Théodore de Bry qui réalisait ses illustrations en prenant pour référence les récits ethnographiques et les gravures réalisées par les voyageurs, les photographies de Livia Melzi inversent cette perspective anthropologique. Grâce aux échanges d’informations et au dialogue avec l’artiste indigène Glicéria Tupinambá, les photographies des manteaux prises par Melzi servent comme une des références pour la reconstitution du manteau sacré du peuple Tupinambá.

Le travail de Melzi est toujours en cours et comprenne des pratiques hybrides, ainsi que d’autres photographies de manteaux de Tupinambás. Son carnet de recherche est disponible en ligne pour ceux qui souhaitent le suivre.
Attendons avec impatience ce que ses témoignages nous présenteront au Palais de Tokyo, comme fruit de son lauréate du Grand prix du Salon de Montrouge.

@MarcellaMarer, chercheuse et commissaire en photographie