Exposition : Sean Scully, entre ciel et terre (Thaddaeus Ropac Paris)
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Catalogue, Sean Scully, Un Art de la nécessité, de Pascal Rousseau. 87 p. 49€
A 75 ans, le géant irlandais au sens propre et figuré de l’abstraction, Sean Scully prouve par un accrochage Entre ciel et terre, de ses peintures récentes à la galerie Thaddaeus Ropac dans le Marais, que sa préoccupation formelle méticuleuse se conjugue avec une vitalité exubérante. Rien de moins figé que ses constructions géométriques où s’échappent un puissant condensé de vie, des « compressions » selon ce magicien de l’espace, d’expériences autant esthétiques que spirituelles. Rayonnantes.
Cézanne & Scully, unir le ciel et la terre
« Je cherche à rendre visible ce que nous ressentons. Non pas seulement ce que je ressens, mais ce que nous ressentons. » déclarait déjà Sean Scully dans les années 70. Depuis, le géant n’a pas varié de trajectoire artistique. Son accrochage Entre ciel et terre à la galerie Thaddaeus Ropac dans le Marais transcende la capacité de ce maître de la ligne, horizontale et verticale à élargir l’horizon. A ceux qui l’identifie à une certaine tradition romantique – de Friedrich à Rothko – Pascal Rousseau dans l’essai Un Art de la nécessité, du catalogue, a raison de changer de perspectives, et de « lignage généalogique » pour le rapprocher de « celui d’un artiste qui a su si bien allier air et terre dans ses toiles atmosphériques : Paul Cézanne ».
Pas seulement parce que Scully s’est installé à Aix après une nouvelle virée au Maroc. Il y a de l’ordre et de la continuité dans cette œuvre puissante, réfléchie et libre. Ce qui frappe le spectateur au premier coup d’œil, c’est la beauté des couleurs, la richesse des textures et l’équilibre des formes. Il y a chez Scully un amour puissant de la matière. Celle-ci n’est pas d’abord instrumentalisée à des fins symboliques ou narratives, mais aimée pour elle-même. La filiation saute aux yeux tant par la complicité des factures, un façonnage hautement matériel de la touche ou encore la quête de transcrire une sensation vraie. Il s’agit aussi en s’immergeant physiquement dans le plan du tableau, de (re)vivre de manière corporelle l’expérience des lieux…
Un art de la nécessité
Pour Scully, avance Pascal Rousseau, Cézanne a préfiguré l’abstraction par son « approche systématique de la peinture : « Cézanne n’a connu l’abstraction qu’à la fin de sa vie, bien qu’il en ait été le pionnier par la systématisation de sa peinture. Mais à sa façon, il a laissé la structure recouvrir l’apparence ». Pour préciser, « cette part calculée de « l’excessif » chez Cézanne, Sean Scully la traduit dans une densité picturale croissante, obtenue au moyen de l’abandon progressif, dans la fin des années 1970, de la matité plate de l’acrylique au profit d’une ductilité de la peinture à l’huile étalée soigneusement dans l’empreinte charnelle de la brosse. (…) Tout comme Cézanne, Sean Scully préfère l’action de « manipulation » de la couture à l’activité de séparation de la coupure. Il ne disjoint pas les parties composites de ses toiles; il les coud, tel un patchwork. »
Mais Scully refuse d’être enfermer dans une géométrie asséchante. « C’était une sorte de géométrie de la saturation qui m’intéressait. À partir d’un ordre, faire émerger du chaos. »
La plasticité d’un textile tricoté
« Cet ascendant textile de l’enchevêtrement des bandes inspire toute l’œuvre de Scully, insiste Pascal Rousseau de l’ agencement de pierre de Wall of Light Cubed (2007), une sculpture monumentale installée à Aix, sur les terres provençales du Château La Coste aux tableaux des deux dernières années exposées ici. alors que le paradigme constructif du « revêtement » s’impose plus que jamais à l’artiste décloisonnant sa pratique dont la mère lui a appris à tricoter.
Un effet de masse et de légèreté au sens dynamique
Pour Pascal Rousseau, « l’aspect visuel induit par les éléments individuels d’une construction ne se résume pas à leur simple nature géométrique, il résulte aussi de leur effet de masse au sens dynamique; ils impressionnent l’esprit par l’entremise des yeux […]. Les effets visuels et dynamiques ne vont pas de pair ; ils forment des contrastes dont l’équilibrage permet de déterminer la taille idéale d’une unité de base par rapport aux autres éléments et vis-à-vis du tout […]. Il aurait pu exister dans le domaine musical une infinité de clés et d’intervalles si la pratique artistique ne les avait pas ramenés à un nombre que l’on pouvait. C’est là une manière de déchiffrer l’usage du terme « sublimation » dans le vocabulaire de Scully, de cette sublimation du matériau qui prend justement fonction dans l’acte même de nouer ensemble les parties d’une composition, les zones de l’assemblage. »
Rendre compte de la sincérité matérielle du tissu de la peinture
Ce rapprochement entre Scully er Cézanne définit un sublime « art de la nécessité » où « il est inlassablement question de rendre compte de la sincérité matérielle du tissu de la peinture » (Rousseau) et qu’il ne faut rater sous aucun prétexte. Tant ce que Scully nous brosse, incite à l’émerveillement.Ce qui se libère derrière ou grâce au pinceau de Scully : c’est son profond amour de ceux à qui sa peinture est destinée. « Je fais en sorte de rendre accessible pour d’autres la tendresse de mon cœur », disait Matisse, l’artiste dont Sean Scully est aussi spirituellement le plus proche. Mais c’est une autre histoire.