Exposition : Une seconde d’éternité (Collection Pinault, Bourse du commerce)

Jusqu’au 2 janvier 2023. Bourse du commerce collection Pinault. 2 rue de Viarmes, Paris 1e
17 et 18 septembre 22. Journées européennes du patrimoine, ouverture gratuite de 11h à 19h, sur réservation

Parmi les six expositions en cours à la Collection Pinault, Singulars conseille Une seconde d’éternité qui explore avec plus de vingt artistes les ‘sens’ du temps, présent, fuyant ou infini jusqu’au 2 janvier 2023. Emma Lavigne, sa présidente et commissaire prévient : « L’intensité de la présence des corps et des images se mesure à l’aune de leur fugacité ». Promesse tenue – de Felix Gonzalez-Torres à Philippe Parreno, l’art assume, littéralement, une pratique esthétique qui donne une voix au temps.  Toute urgence semble ici comme suspendue.

Le temps véhicule

Nous avons tout fait pour nous le cacher. Nous avons tout fait pour nous en débarrasser.
Pourtant, le temps n’a rien de purement mathématique.
Il n’est pas le résultat du jeu de quantités abstraites et immatérielles. (..)

Il n’y a pas un instant sans saveur. Il n’y a pas une seconde sans émotion. Il n’y a pas une heure sans désir.
Emanuele Coccia, Le temps sensible. extrait du catalogue de l’exposition

Philippe Parreno, Echo2, Collection Pinault Photo Baptiste Le Guay

Il y a comme toujours l’effet de surprises crée par le mur de l’architecte japonais Tadao Andō imaginé comme « un trait d’union entre le passé, le présent et le futur ».
Au franchissement de la Rotonde au rez-de-chaussée, se trouve Echo2, de Philippe Pareno et une musique signée Arca, une « exposition héliotropique » animée par le soleil et la lumière produite par celui-ci. Grâce à l’aide d’une intelligence artificielle, un bioréacteur recompose indéfiniment en interprétant les données biologiques et climatiques de son environnement (température, bruit, humidité, luminosité). Ce bioréacteur est connecté à un écran métallique qui produit des tâches de lumières de manière alternative, même si le spectateur peut se demander si ces projections lumineuses ne sont pas les mêmes d’un jour à l’autre.

Ce sont des machines mais il y a quelque chose d’animal dans leur composition.
Philippe Pareno

Ann-lee, Anywhere Out of the World, de Philippe Parreno. Collection Pinault Phot Baptiste Le Guay

A la rencontre des avatars de Ann Lee

Sur cet écran géant (4 mètres sur 7), Anywhere Out of the World, 2000 aussi de Philippe Parreno fait interagir en directe Annlee, personnage du studio Anime, adolescente aux grands yeux vides et aux cheveux violets. Tout en racontant son histoire, elle interroge, tout au long de la vidéo, sa condition fictionnelle et le caractère factice de son existence. «  En s’affichant comme le résultat d’un processus d’édification, Annlee affirme une position d’externalité face au monde » confirme Anne Lavigne.
A ses cotés, Tino Sehgal pousse plus loin le brouillage avec des vrais actrices parlant anglais sur scène.
Enfin Dominique Gonzalez-Foerster confronte Annlee à son état d’être-miroir … Autant de manières de mélanger fiction et réel afin que le spectateur puisse se demander si tout personnage de fiction ne finit pas par exister et s’incarner.

L’expérience temporelle

Toujours au rez-de-chaussée dans la Galerie 2 se trouve l’installation de Roni Horn « Well and Truly » (2009-2010). L’élément de l’eau y est mis à l’honneur avec dix blocs de verre opaques, contentant chacun différentes nuances de bleu. L’artiste joue avec nos perceptions en mélangeant le mouvement et le statique, l’état solide et liquide, les jeux avec la lumière naturelle et la transparence.

La société contemporaine évolue dans une direction très éloignée du réel parce qu’elle en détruit la majeure partie.
Une partie du problème est simplement la fin de la nature
.

Roni Horn

Felix Gonzalez-Torres, Untitled » (Blood) 1992. Collection Pinault. Photo Baptiste Le Guay.

L’installation de Felix Gonzalez-Torres « Untitled » (Blood), (1992), est un rideau de perles en plastique suspendu entre deux pièces. L’artiste stipule que son œuvre doit être installée sur toute la largeur d’un passage pour que les visiteurs passent à travers de manière naturelle.
En résulte une expérience à la fois corporelle et conceptuelle. La forme du rideau de perles évoque une sphère domestique où l’on passe d’une pièce à l’autre, sauf que cette fois l’installation est à grande échelle, s’élevant sur plusieurs mètres de haut. Le choix des perles rouges et d’un nombre réduit de perles transparentes, évoque les globules sanguins et l’épidémie du sida, virus qui engendre une importante réduction du nombre de globules blancs dans le sang.

Le suspens de l’eau

Le tableau de Miriam Cahn : « Mare Nostrum » (2008), est une expression latine désignant la mer Méditerranée. Il montre deux migrants affolés tombés dans l’eau avec les mains en l’air. Les protagonistes se dissolvent et paraissent sombrer dans les abysses d’un fond marin. Ces migrants ressemblent à des fantômes, ils sont oubliés du reste du monde, comme si personne ne les entendait crier ni ne pouvait les voir. L’œuvre semble intemporelle où ce genre de scène aurait pu se produire hier, tout comme aujourd’hui ou demain. Souvent perçue comme un loisir, la mer devient ici un espace politique et symbolique, théâtre de nombreuses vies perdues.

Miriam Cahn, Mare Nostrum, 2008, huile sur toile, Collection Pinault. Photo Baptiste Le Guay.

« Repeating the Obvious », (2019) une œuvre signée Carrie Mae Weems montre 39 tirages d’archives numériques encadrés en toutes sortes de tailles. Chaque photo est identique, représentant un homme en sweat à capuche et casquette, mais l’image bleutée est assez floue pour ne pas distinguer le visage de l’individu.

Carrie Mae Weems. Repeating the Obvious, 2019, Collection Pinault. Photo Baptiste Le Guay.


Felix Gonzalez-Torres, Sturtevant, America, 2004, Collection Pinault. photo Baptiste Le Guay

Sturtevant crée une réplique presque exacte de l’installation « Untitled » (America), de Felix Gonzalez-Torres (1957-1996). A travers cette répétition, l’artiste s’attaque aux critères d’unicité et d’authenticité associés à l’œuvre d’art, tout en interrogant sur la notion d’auteur (à la manière de Rudolf Stingel). La version de Gonzalez-Torres ébauche une réflexion sur l’entité de l’Amérique au sens multiple. L’œuvre s’adapte aux différents contextes qui l’accueillent, la décision des modalités d’expositions étant à la discrétion des institutions.

L’infini de la création

Créé en 2016, Standing Walls, les trois triptyques de Rudolf Stingel font écho aux « silver paintings », une série de tableaux argentés amorcée en 1998. Chaque panneau regroupe trois œuvres pour un total de neuf tableaux. L’année suivante, l’artiste fit paraître une brochure en six langues expliquant, étape par étape, sa technique de production : il mélange la peinture à l’aide d’un fouet électrique, l’applique sur la toile, la recouvre d’un tissu de tulle froissé, puis vaporise la peinture émaillée argentée avant de retirer le morceau de tissu, ultime étape du processus. Stingel interroge la notion d’auteur en publiant une notice où chacun peut reproduire ses tableaux, supprimant ainsi le mystère autour de la production de ses œuvres.

Rudolf Stingel Untitled, 2016 Collection Pinault, Photo Baptiste Le Guay

La fusion du temps 

Rudolf Stingel, Standing walls II, Larry Bell, 1968-2016, Collection Pinault. hoto Baptiste Le Guay.

En continuant le sens de l’exposition, des grandes plaques de verre se juxtaposent entre elles. Standing Walls II, un jeu de parois créé par Larry Bell où le visiteur devient une composante de l’œuvre en se voyant apparaître et disparaître dans le reflet des plaques. Au total, treize panneaux en verre agencés en angle droit, chacun mesurant 2,44m de hauteur et 1,83m de largeur, décomposant et recomposant les points de vue. Les dimensions de l’œuvre renvoient à l’échelle du corps humain : Larry Bell renverse le précepte hérité de la Renaissance, d’après lequel la structure se définit d’abord par sa capacité à représenter une figure sous plusieurs angles. C’est notamment grâce aux jeux de transparence et de reflet, que l’expérience de la sculpture permet une forme de fusion entre l’œuvre, le spectateur et le lieu qui les accueille.

Une autre œuvre de Rudolph Stingel est exposée ensuite, elle correspond à une pièce entièrement recouverte d’une matière argentée, à la manière du papier Aluminium qu’on retrouve dans une cuisine. Toute cette matière a peu à peu été remplie par les visiteurs, au départ par des inscriptions gravées puis des dessins réalisés au marqueur, ainsi que de nombreuses notes, feuilles de papier ou tickets en tous genres collés par-dessus. Une manière de conserver la trace des personnes qui sont passées devant et s’approprient chacun l’œuvre à leur façon.

Le futur des quasi objets

Dans une autre pièce, des ballons gonflables en forme de poisson flottent dans les airs grâce au mouvement des spectateurs accompagné d’un piano en plein milieu, diffusant d’une enceinte une musique enregistrée. L’œuvre de Philippe Parreno s’appelle « My room is a Fish Bowl » (2014-2022).

Selon l’artiste, les ballons gonflables sont des « quasi objets », c’est-à-dire à mi-chemin entre le sujet et l’objet : ni vraiment sujet car il ne s’agit pas d’un humain, ni vraiment objet car la chose peut contrôler l’agissement des humains, (comme une balle peut faire des sujets humains ses objets par exemple, car ils deviennent dépendants de ses trajectoires). « Parce qu’à un moment le quais objet produit quelque chose autour de lui. Donc c’est soit un objet moins, soit un objet plus. Moi je pense que c’est un objet plus et je pense que c’est souvent que ça peut être une définition qu’on pourrait donner d’un objet d’art. C’est un objet incomplet. Mais qui en produit un tout. Quand il est activé. » insiste Philippe Parreno dans une interview disponible sur le site.

Philippe Parreno. My room is a Fish Bowl. Collection Pinault Photo Baptiste Le Guay

De ce parcourt riche, parfois perturbant, le visiteur repart avant autant d’images fortes que de questions structurantes sur la nature du « temps » … et ses images. Passionnant loin de stériles polémiques.

#Baptiste Le Guay 

Pour aller plus loin : le catalogue, ouvrage collectif sous la direction d’Emma Lavigne, Coédité par la Bourse de Commerce et les éditions Dilecta. 208 p. 45€