Zao Wou-Ki, Il ne fait jamais nuit (Hôtel de Caumont - infine éditions)
Catalogue, avec des textes de Yann Hendgen et Erik Verhagen, co-commissaires, et Dominique de Villepin, In Fine éditions d’art
Plus que quelques jours pour découvrir la plénitude chromatique de Zao Wou-Ki (1920-2013) Il ne fait jamais nuit, à l’Hôtel de Caumont jusqu’au 10 octobre 21. L’exposition (et le catalogue) suivent l’ accomplissement d’une quête existentielle pour ‘atteindre au silence’, synthèse entre l’allusion chinoise qui habite l’espace du dedans et le lyrisme occidental qui lance des espaces illimités. Bien au-delà du visible.
A travers les grands étapes et influences de celui qui fut le plus français des peintres chinois, la remarquable scénographie chronologique – et le catalogue – de l’exposition de l’Hôtel de Caumont dont le titre Il ne fait jamais nuit, emprunté à l’écrivaine Florence Delay, souligne la fusion « entre forces nocturnes et forces diurnes empêchant la nuit de tomber ».
Une dynamique explaire qui porte la trajectoire solaire du peintre et balaye l’idée reçue que l’ambition de représenter la lumière, le vide, l’espace et la couleur exclurait les conflits intimes – les rencontres, les voyages, les liens amoureux et familiaux, mais aussi l’expérience de l’exil, de la maladie, du deuil – générés par cet entre-deux pictural et culturel qui définit l’identité unique de Zao Wou-Ki qui assume « une peinture méditée plutôt qu’une peinture frappante ».
Sous le soleil de Cézanne
« C’est Cézanne qui m’aida à me trouver moi-même, à me retrouver peintre chinois » affirme le peintre arrivée en France en 1948 à la fin de sa vie, lui qui dès son adolescence était fasciné par « la légèreté de la lumière ou son épaisseur » du peintre aixois.
Dès la première salle, une composition Nature morte aux pommes de 1935-1936 en montre l’influence, jusqu’à la dernière salle, avec cet émouvant Hommage de 2005.
« Ici, écrit Domnique de Villepin dans son texte « Sous le soleil de Cézanne » le rêve du fulgurant poète de la modernité rejoint son peintre majeur, un rêve qui s’incarne dans la volonté d’associer deux principes : le jaillissement de la création et la recherche d’une « nouvelle harmonie ». La formule, qui obséda autant Rimbaud que Cézanne, est seule capable de percer le mystère de la Traversée des apparences, pour reprendre le titre de l’un des tableaux-clés de Zao Wou-Ki peint en 1956 – au passage de la figuration à l’abstraction. »
Une peinture méditée plutôt qu’une peinture frappante
« Je peins ma propre vie mais je cherche aussi à peindre un espace invisible, celui du rêve, d’un lieu où l’on se sent toujours en harmonie, même dans des formes agitées de forces contraires » écrit dans l’un de ses carnets de voyage (qui fait l’objet de tout une section du parcours). Un tel défi – se débarrasser des distinctifs du figuratif – ne peut s’accomplir sans doute, ni combat intérieur. D’autant c’est la force de cette exposition est de souligner la charnière intime et créative de 1955. Les tableaux de cette année marque une rupture affective : le couple qu’il forme avec Lalan depuis 1941 ne fonctionne plus. Elle le quittera en 1956; Ils portent « cette même impression de mort, l’engloutissement de mes sentiments dans une certaine douleur » reconnaitra le peintre dans son Autoportrait publié en 1988.
La liberté de l’aquarelle
Quelques soit le médium de la peinture à l’huile puis l’encre de chine, puis à la fin de sa vie l’aquarelle, il s’agit pour le peintre, de capturer les signes invisibles de la nature. Cézanne dans la dernière salle – dévoilent et prolongent leur questionnement : « « J’étais fasciné par la multiplicité de l’espace à la surface de l’eau, la légèreté de la lumière ou son épaisseur entre le lac et le ciel. […] Ce que je cherchais à voir, c’était l’espace, ses étirements et ses contorsions, et l’infinie complexité d’un bleu dans le minuscule reflet d’une feuille sur l’eau. Je me posais toujours les mêmes questions : comment représenter le vent ? Comment peindre le vide ? Et la lumière, sa clarté, sa pureté ? » Au fil des salles et de la lecture, Wou-Ki a crée son espace.
La signification de l’idéogramme mandarin Wou-Ki ‘illimité’
Avec son fascinant Hommage à Matisse de 1986, inspiré de la Porte-fenêtre à Collioure (1914), Wou-ki reconnait ce qu’il lui doit dans sa quête. « Car, devant cette porte, vide et pleine en même temps, il y a la vie, la poussière, l’air qu’on respire, mais derrière que se passe-t-il ? C’est un espace noir, immense. Pour nous tous, c’est une porte ouverte sur la vraie peinture ».
« A sa façon, écrit Erik Verhagen dans son texte ‘ZaoWou-Ki ou la manifestation d’une lumière’ intérieure, Zao Wou-Ki nous rejoue avec ses notes la partition des « origines de l’abstraction » telle qu’elle s’est déclinée dans l’histoire de l’art des XIXe et XXe siècles. Des origines témoignant d’une « antériorité de la lumière sur la forme » qui selon Pascal Rousseau serait « l’une des leçons du fameux Traité de couleurs de Goethe, qui inaugure, à bien des égards, [la] généalogie impressionniste de la perception pure ». La légèreté ou l’épaisseur de la lumière. »
Préférer la nature au paysage
L’autre qualité de l’exposition est de mieux cerner les intentions du peintre : « Zao Wou-Ki n’aime pas le mot « paysage ». insiste Yan Hendgen, dans son texte Les voyages de Zoa Wou-Ki, Une quête de lumières Il préfère le mot, plus vaste, de « nature » proposé par Henri Michaux. Regarder un paysage n’implique pas de le copier mais d’y trouver un souffle. 10.01.86 donne une dimension nouvelle à la perspective cavalière de la peinture chinoise : on peut parcourir, pénétrer les domaines de ce tableau, franchir les masses, se perdre dans les brumes lumineuses, se laisser porter par l’élévation des couleurs. »
Le visiteur ne peut que constater, à l’issue de cette quête héroïque, même si elle était silencieuse, que « la lumière était peut-être finalement tout simplement en lui. »
#OlivierOlgan
le catalogue : avec des textes inédits de Yann Hendgen, Erik Verhagen et Dominique de Villepin, catalogue de 178 p., 29 € : «Zao Wou-Ki, peintre des forces élémentaires et du surgissement de l’être, une vie d’homme passée à sonder et à scruter les formes et le sens en jetant à la rencontre l’un de l’autre l’Orient et l’Occident, chercheur d’absolu qui enferme dans la couleur les paysages de l’esprit, chaman des initiations et des métamorphoses.»
Dominique de Villepin
la Fondation Zao Wou-Ki, basée en Suisse. Paradoxale continuité !… alors que Wou-Ki a vécu l’essentiel de sa vie créative à Paris et qu’il a souhaité être enterré au cimetière Montparnasse. L’histoire se répète aprés Giacommeti et bien d’autres, miracle de l’entregent ministériel.