Faith Ringgold, Black is beautiful (Musée Picasso)
Redessiner le mot, l’image et le réel.
Née à New-York en 1930, Faith Ringgold grandit à Harlem, quartier noir localisé dans le nord de Manhattan. Ce quartier populaire devient la capitale symbolique de l’éveil culturel des communautés noires, propulsée par l’ouvrage The New Negro (1925) de l’écrivain Alain Locke.
Dès ses premières œuvres au début des années 1960, l’artiste afro-Américaine témoigne des relations interraciales conflictuelles aux Etats-Unis et s’emploie à créer un art avec sa propre identité, mettant en avant ses racines africaines.
L’artiste transpose sa vision révolutionnaire du Black Power en adoptant une approche inédite de la théorie des couleurs et des techniques, notamment avec une forme biographique proche de l’autofiction. C’est particulièrement le cas dans son tableau figuratif Die où elle semble être l’une des protagonistes du tableau. L’artiste soulève la question de comment vivre et se comporter en tant que noir en Amérique.
Il n’y avait aucun moyen d’échapper à ce qui se passait à l’époque [les années 1960] ; il fallait prendre position d’une manière ou d’une autre, car il n’était pas possible d’ignorer la situation : tout était soit noir, soit blanc, et de manière tranchée
Faith Ringgold.
Ce tableau racontant une scène violente avec des larges dimensions, est inspiré de Guernica, l’œuvre iconique de Pablo Picasso (1937). Elle dépeint l’horreur de la guerre civile espagnole (1936-1939) et la brutalité du régime franquiste, appuyée par l’aviation allemande.
La black light en guise d’inspiration
En 1967, dans un contexte social particulièrement tendu, l’artiste peint avec une palette sombre et subtile des toiles dites Black Light (Lumière noire). Elle y célèbre la beauté afro nouvellement reconnue, notamment avec le slogan « Black is Beautiful ». Une phrase qui résonne étrangement avec aujourd’hui où l’acceptation de ses différences est encore mise en avant, preuve que ce n’est toujours pas une évidence dans notre société actuelle.
Cette série de douze toiles monochromes qui jouent avec les codes de l’abstraction sera montrée en janvier 1970, lors de sa deuxième exposition personnelle à la galerie Spectrum de New-York.
Je voulais m’engager désormais dans la « lumière noire », dans des nuances chromatiques subtiles et dans des compositions basées sur mon intérêt nouveau pour les rythmes et les motifs africains.
Faith Ringgold.
En parallèle, l’artiste s’engage dans le mouvement Black Power en créant des affiches militantes aux couleurs du panafricanisme (rouge, vert et noir), avec des compositions typographiques particulières. Le panafricanisme est un mouvement lancé dans les années 1920 pour rallier les Africains émancipés de la diaspora et ceux du continent africain, dont se réclame le Black Power. Une série d’affiches accompagne la mobilisation internationale contre l’arrestation et l’emprisonnement d’Angela Davis, figure de proue du mouvement des droits civiques et membre des Black Panthers.
Les américains croqués par Faith Ringgold
C’est en 1964 que le Civil Rights Act est voté aux Etats-Unis, permettant légalement de mettre fin aux ségrégations et aux discriminations dans le pays. C’est à ce moment que Faith Ringgold décide d’entamer une longue série sur le racisme ordinaire baptisée American People.
Avec cette série, la peintre pose une critique acerbe sur l’American way of life au lendemain de la ségrégation raciale, avec des compositions figuratives stylisées, adoptant un style réaliste. Dans un contexte particulièrement violent lors de l’été caniculaire de 1967, où le « Long hot summer » connaît plus d’une centaine d’émeutes raciales dans les villes de la côte Est. C’est ainsi que l’artiste clôt sa série avec trois tableaux qui reflètent la situation politique et sociale : The flag is bleeding (le drapeau saigne), US Postage stamp (l’avènement du pouvoir noir) ou Die (meurt).
Je ne voulais pas que les gens puissent regarder et détourner le regard, parce que beaucoup de gens font ça avec l’art. Je veux qu’ils regardent et voient. Je veux agripper leurs yeux et les maintenir ouverts, parce que c’est ça, l’Amérique.
Faith Ringgold
Des scènes revisitées de l’histoire dans « the French collection »
D’après ses souvenirs d’un voyage à Paris et d’une résidence dans le sud de la France à La Napoule, Faith Ringgold peint douze tableaux entre 1991 et 1997. Faith Ringgold déploie ainsi des situations imaginaires, pleines de fantaisie, mettant en scène des acteurs réels historiques, des lieux de la scène française mais aussi des personnalités afro-américaines historiques et contemporaines. A travers ses tableaux, elle propose une lecture des idéaux de la Renaissance de Harlem qui interrogent notamment le lien entre les objets africains et l’inspiration qu’ils suscitent dans l’art contemporain.
Avec « The French Collection », je voulais montrer qu’il y avait des Noirs à l’époque de Picasso, de Monet et de Matisse, montrer que l’art africain et les Noirs avaient leur place dans cette histoire
Faith Ringgold.
Nous pouvons voir ces personnages noirs dans tous ses tableaux, que ce soit au café des artistes ou de la scène dans les tournesols avec Van Gogh. Elle témoigne également de l’importance de l’art africain dans l’art contemporain, comme nous pouvons le retrouver dans L’atelier de Picasso.
Dans les années 1970, j’ai découvert mes racines dans l’art africain et j’ai commencé à peindre et à créer un art correspondant à mon identité de femme noire. J’ai fait des poupées et des masques inspirés de ma peinture. J’ai commencé à écrire dans mon art et à raconter mon histoire non seulement avec des images mais aussi avec des mots et des performances masquées.
La force de l’exposition qui aborde des thèmes sociétaux centraux et plus que jamais d’actualité aux Etats-Unis, que ce soit la violence envers la communauté afro-américaine (Black Live Matter) ainsi que l’acceptation de soi en embrassant ses différences démontre qu’un art engagé reste de l’art. Si sa peinture résonne avec l’histoire douloureuse de la ségrégation et des luttes raciales, elle reste visuellement puissante. Ses œuvres délivrent un message d’espoir et de fantaisie notamment avec la French collection.
Son influence pour l’émancipation des noirs est visible sur l’art d’aujourd’hui en général, et urbain en particulier.
Pour aller plus loin :
Faith Ringgold, Black is beautiful, sous la direction de Cécile Debray, Musée national Picasso-Paris, 256 p., 35€. Plus qu’un catalogue, il est la première monographie française sur l’ artiste militante dont le discours est de dire : « On a effacé les Noirs de l’histoire, mais mon art va reraconter l’histoire ; mon art est ma voix. » Il la restitue, à travers les photos d’époque et les dialogues, dans sa globalité au-delà du contexte, puisqu’elle est une femme qui raconte un moment de sa vie à travers son art, notamment avec trois textes majeurs dont par exemple, Dancing at the Louvre écrit par Faith Ringgold est le récit de sa rencontre avec La Joconde à travers le personnage de Willia Marie, une artiste à Paris.