Feu Mamie, de et avec Inès de Broissia (Théâtre La Flèche)

Avec une excentricité joyeuse, Feu Mamie, le premier ‘seule en scène’ d’Inès de Broissia nous entraine dans une veillée funèbre percutée par l’incendie de Notre-Dame ! De ces deux événements, la comédienne chanteuse brosse une tranche de vie familiale intime et collective, à la fois poétique et burlesque au Théatre La Flèche jusqu’au 14 mars 2025. Sa capacité à endosser un florilège de personnages singuliers et attachants, nourrie des trouvailles scéniques de Romain Francisco, ne se contente pour Olivier Olgan de faire rire mais aussi de méditer sur le temps qui nous construit. Inès de Broissia s’est confiée à Singular’s

Feu Mamie, de et avec Inès de Broissia, mise en scène de Romain Francisco Théâtre La Flèche) photo Luca Bozzi. 

Courir pour ne pas perdre

Elle arrive en courant sur scène à la recherche fébrile d’un bijou de sa grand-mère. Bien au-delà d’une valeur improbable, il signifie surtout beaucoup de souvenirs et d’affections pour la petite-fille !
Dans un rythme trépidant, à la fois poétique et intime, Inès de Broissa prend le spectateur par le col et ne le lâchera plus. Au besoin elle l’interpelle.
Difficile de rester assagi tant il est sollicité dans cette vague d’introspection, d’interactions, et de situations toujours à la limite du drame.

Un florilège de personnages singuliers

Et la comédienne sait y faire pour faire claquer les mots et mettre en mots des images. Et quand ils ne suffisent pas, elle les chante ! Irrésistiblement, elle nous plonge dans une tranche de vie familiale à la fois cadrée – la veillée funèbre d’une grand-mère aimée – et excentrique, par l’association de portraits de famille savoureux.

Le croquant du transgénérationnel

Inès de Broissia incarne un florilège de personnages familiers, Feu Mamie (Théâtre La Flèche) photo DR (2)

Le tempérament exubérant de la comédienne fait fuir toute once de tristesse pour métamorphoser le départ de sa grand-mère en hommage bienveillant au transgénérationel.
Rien ne lui échappe, les traits un peu bouffons d’un oncle, ceux coincés d’une tente, le décalage d’une mère débordée par les évènements,… Si elle a pris le parti de la légèreté, Inés de Broissia enveloppe d’un voile de bienveillance les aspérités d’une famille à la fois très individualisée et aussi très universelle. L’hilarante intervention d’ une thanatopractrice plutôt sans filtre en témoigne !

Difficile de ne pas se reconnaitre dans tel ou tel personnage croqué avec humour. On envie presque cette famille d’excentriques qui a la particularité d’habiter dans le même immeuble.

L’attention sur le corps, la voix et l’émotion

Le cas échant, le spectateur savoure l’entrain de cette jeune femme empêtrée dans ses souvenirs, mais qui sait aussi en garder le meilleur. Bien écrits ses mots se nourrissent du dit et non-dit, du visible et de l’invisible que l’on trouve dans chaque famille. Ils savent aussi fait éclater sa reconnaissance (voir son identité) pour cette famille, qui n’a pas  besoin d’ un lourd secret pour exister. Les caractères et les situations brossées avec une espièglerie tonique, jamais mièvre, ni compassée, suffisent!

Au feu Notre Dame

Inès de Broissia mise en scène de Romain Francisco, Feu Mamie (Théâtre La Flèche) photo Luca Bozzi. 

D’autant que le rythme des saillies, des chants et de trouvailles scéniques de Romain Francisco ne baisse jamais.
Au contraire, déjà survolté, le seul en scène s’accéléré quand la veillée funèbre est perturbée par l’incendie de Notre Dame ! et plus rien devient anodin !

Entre émotions intimes et collectives

Feu Mamie éclaire avec une gourmandise bienveillante la complexité d’une famille débordée par sa mémoire et s’invente une nouvelle façon décomplexée d’en retenir la saveur. Il se déguste, persiste dans la mémoire, se distinguant de la cohorte des « strand-upeur »

« J’aborde la mort avec foi et tendresse, cherchant ce qui se consume et ce qui renaît » revendique Inès de Broissia.

Il ne s’agit pas seulement de faire rire, mais aussi de nous impliquer avec légèreté sur la fragilité, la transformation et l’espoir. Le pari réussi.

Inès de Broissa répond aux questions de Singular’s

Loin d’être anodine, d’où est venue l’idée de rendre cet hommage un peu décalé à ta grand-mère ?

Inès de Broissia, auteure interprète de Feu Mamie (Théâtre La Flèche) photo Luca Bozzi. 

Inés de Broissia. C’est en incarnant Les Carnets de Françoise, un spectacle à la fois historique et personnel, où je relatais le témoignage de mes grands-parents au Chili en 1973, que l’idée de Feu Mamie ! a germé. Cette fois-ci, à travers ce seul-en-scène où ma grand-mère s’invite, j’ai voulu porter un regard à la fois créatif et tendre sur la filiation et l’héritage familial, des questions qui étaient particulièrement présentes à ce moment-là.

Pendant la pandémie, je me suis souvenue de la mort de ma grand-mère et de la chance que nous avons eue de la veiller, de l’honorer selon les rituels qu’elle nous avait transmis.

Ce souvenir a renforcé mon envie de lui rendre hommage, tout en partageant ce moment intime avec une touche d’humour et de légèreté.

Quelle est la part de fantaisie et de véracité dans cette tranche de vie si intime ?

Je suis partie de faits réels, de mes souvenirs et de mon vécu, et j’en ai tiré un fil fictionnel en y introduisant des personnages hauts en couleur et archétypaux. Ce qui est vrai, c’est que ma grand mère avait une collection de Schtroumpfs qui a bercé notre enfance et que nous étions a son chevet quand Notre-Dame brûlait.

Ce moment précis, à la fois intime et historique, a marqué un tournant dans ma réflexion et a nourri la création de ce spectacle.

Quelle fut sa réception par la famille que tu peins sans trop de frein ?

Je vois le théâtre comme un espace de liberté et d’amusement, un lieu où l’on peut jouer avec la réalité et la fiction sans contrainte. Avec Romain Francisco, mon co-metteur en scène, nous avons choisi de travailler sur des personnages amplifiés avec les codes du « masque », tout en préservant la sincérité. Je n’ai pas eu de retours négatifs de la part de ma famille, car je pense qu’ils comprennent la démarche. Même si certaines scènes peuvent paraître audacieuses ou décalées, elles sont avant tout une manière de rendre hommage, avec humour et bienveillance, à ce qui nous lie. Je crois que ma famille l’a perçu ainsi, même si certains ont peut-être esquissé un sourire un peu gêné !

J’étais stressée à l’idée de présenter le spectacle à ma mère. Je pense qu’elle a apprécié et a été touchée. D’ailleurs, le personnage de la mère rencontre un grand succès auprès du public, ce qui m’a aussi un peu rassurée.

Propos recueillis par Olivier Olgan le 15 janvier 2025

Jusqu’au vendredi 14 mars 2025, tous les vendredis à 19h,  La Flèche, 77 rue de Charonne, 75011 Paris – Réservations : info@theatrelafleche.fr