Galerie : Charles Dufresne (1876-1938) (Larock – Granoff Paris)
Dans une mise en scène chaleureuse de la Galerie Larock-Granoff jusqu’au 10 décembre, les couleurs chatoyantes d’une trentaine de toiles couvrent pratiquement toute la période créative de Charles Dufresne (1876-1938).
L’exposition monographique – digne d’un musée à part l’absence d’un texte scientifique – offre la jolie balade synchronique d’un caméléon actif dans les deux mouvements artistiques, fauvisme et cubisme, qui révolutionnent le concept même d’œuvre d’art tout en ondoyant – et c’est sa faiblesse – dans un figuratif rayonnant.
Une exposition monographique d’une très belle signature.
Charles Dufresne mérite enfin une exposition monographique ! Celui qui crée La société nationale des beaux-arts, en 1903, dont le Salon des Tuileries de 1923, en 1923 sous l’égide des frères Perret et d’Albert Besnard sera le prolongement s’intègre comme un caméléon actif dans les mouvements artistiques qui viennent révolutionner le concept même d’œuvre d’art tout en ondoyant – et c’est sa faiblesse – dans un figuratif rayonnant.
Un artiste, synthèse originale des années 20
Né le 23 novembre 1876 à Millemont dans les Yvelines, au sein d’une famille de marins pêcheurs de Granville et des Îles Chausey, il travaille dès ses 11 ans chez un graveur de médailles, puis rejoint l’Académie des Beaux-Arts de Paris où il devient l’assistant d’Alexandre Charpentier.
Mais le jeune Charles est irrésistiblement attiré par la peinture. Il expose au salon des Beaux-arts dès 1903 et se lie d’amitié cette même année avec André Dunoyer de Segonzac ainsi que le graveur américain Herbert Lespinasse, avec qui il voyage en Italie et s’attarde au passage à la Villa Médicis. Il fréquente dans les années 1905 les cabarets et guinguettes à la mode, et produit ses premiers pastels dans l’esprit Toulouse Lautrec, comme Les danseuses, circa 1905.-1907, reflète cette première période de l’artiste.
Sous le soleil d’Alger
Un élément déterminant va orienter sa peinture, il va gagner avec un pastel, le premier Prix Abd-el-Tif en 1910 et part pensionnaire pour 2 ans dans la villa Abd-el Tif à Alger. Sous le soleil d’Alger, Charles Dufresne tombe sous le charme de l’orientalisme, abandonne le pastel pour la peinture à l’huile mais garde un joli coup de crayon comme cette gouache, L’Équipage de chameaux, 1910-1913.
Cette influence apparait tout de suite dans ses toiles, de retour à Paris en 1912 où sa palette devient plus flamboyante, et les scènes orientales prennent places à la façon d’un Delacroix, dont le patio Alger incarne ce tournant. L’influence dans des formes plus simplifiées et des couleurs plus luxuriantes est notable dans ses tableaux jusqu’en 1930.
Mobilisée en 1914, Charles Dufresne sous les ordres de son ami André Dunoyer de Segonzac sera lourdement atteint par les gaz, et sera transféré à la section camouflage auprès des peintres Roger De La Fresnaye et Charles Despiau. Les horreurs de la guerre lui inspirent une toile radicale aux inspirations très cubistes, La Guerre de 1916.
Une monographie qui embrasse toute la carrière de l’artiste
Dès 1920 la peinture de Charles Dufresne devient plus majestueuse, à l’image des grands formats exposés jusqu’en 1930. Citons les tableaux bibliques mais également les scènes mythologiques réalisés durant cette période : Passage de la mer Rouge (circa 1926) ou Nu assis (circa 1923-1925). Je retiens la capacité – alors qu’à l’époque il fut quasi seul – de Charles Dufresne a capté et synthétisé la quintessence des deux mouvements artistiques dominants, le fauvisme et le cubisme.
Deux tableaux qu’un Fernand Léger ou qu’un Cézanne auraient produire résument la singularité d’un peintre trop méconnu : Les Fleurs, de 1923 et Nature morte au compotier, circa 1928.
Un esprit de la peinture collective
Animateur d’associations de jeunes peintres qu’il anime dans un esprit fédérateur, Charles Dufresne a gardé un activisme pour la modernité artistique. Dès son retour d’Italie il rompt avec son ami Herbert Lespinasse laissant la vie de dandy de côté pour se consacrer exclusivement à son art : la peinture.
Les années 20, l’effervescence des arts décoratifs
Charles Dufresne se fait aussi remarquer par son œuvre de décorateur : la compagnie de arts français lui commande en 1921-1923 des tapisseries ornant un canapé de salon, sur le thème de Paul et Virginie, la composition extrêmement moderne va ravir le public ainsi qu’un collectionneur qui deviendra également un de ses principaux clients-admirateurs : Charles Pacquement. Aujourd’hui ce canapé se trouve au Conseil constitutionnel au Palais Royal.
Il réalise également les panneaux décoratifs du grand foyer du Palais de Chaillot pour l’exposition universelle de 1937. L’Etat lui commande en 1938 cinq peintures murales pour habiller l’amphithéâtre de la Faculté de pharmacie de Paris. Cette reconnaissance clôt une carrière dense et renouvelée. L’artiste attachant et polyvalent s’éteint à La Seyne sur Mer dans le Var le 8 août 1938.
Cette belle rétrospective est digne de celle d’un musée, même si on peut regretter l’absence de texte synthétique et scientifique sur la place de Charles Dufresne aujourd’hui.
Mais cela n’éteint ni le travail, ni le savoir-faire d’une galerie quasi centenaire.
#Régine Glass
A lire : François Fosca, Charles Dufresne. La Bibliothèque des arts, 1948