Galerie : Furor I, de Daniel Richter (Thaddaeus Ropac)

Jusqu’au 20 novembre 21, Galerie Thaddaeus Ropac, Marais, 7 rue Debelleyme Paris

Peu importe que vous connaissez ou non, l’œuvre de l’artiste Daniel Richter (sans lien avec Gerhard), vous serez happés par la force immersive de sa nouvelle série, Furor I présentée par la galerie Thaddaeus Ropac jusqu’au 20 novembre. Inspirées d’une carte postale de 1916 de soldats amputés, ses compositions de grand format submergent une culture visuelle étourdissante tout en restants une peinture explosive.

Daniel Richter, Furor I (Thaddaeus Ropac) Photo OOlgan

Une passionnante orgie picturale 

« Je trouve les œuvres d’art, en particulier les peintures, les plus intéressantes lorsqu’elles cherchent à transmettre au spectateur quelque chose qui n’est pas entièrement traduisible par le langage, ou même par la raison. Lorsque l’art tient sa promesse, il élargit quelque chose en nous et offre une sorte de vérité – quelle que soit la construction. » Situer l’œuvre de l’ allemand Daniel Richter, dans l’arc esthétique de ces vingt dernières années, nous éloignerait de sa volonté assumée d’effacer toute étiquette. Sa peinture – issue d’un punk musical décomplexé et d’un graffiti urbain expressionniste – témoigne d’une lutte permanente contre tout schéma pratique et surtout sécurisant.
En la submergeant de (tous) sens, son questionnement de la peinture se vit de l’intérieur comme une entreprise raisonnée de déconditionnement, de ‘déculturisation’ du cadre de la peinture dans la société contemporaine.

Daniel Richter, Furor I (Thaddaeus Ropac) Photo OOlgan

Remettre en question de toute représentation figurative et de propagande.

L’ancien assistant du peintre abstrait vitaminée Albert Oehlen dans les années 1990, se consacre à tout -ou partie- du corps, inséré dans un entrelac de matières et d’imageries de la culture contemporaine et de l’histoire de l’art. : « Il s’agit davantage de systèmes de représentation que de la représentation du corps en tant que chose charnelle et biologique » déclare Daniel Richter en dévoilant son action de peindre comme un saut sans filet « J’essaie de tirer le maximum d’une seule idée, en essayant d’être aussi peu analytique le plus possible d’une part et le plus rationnel possible de l’autre. J’essaie de le contrôler jusqu’à un certain point, jusqu’à ce que je ne puisse plus le contrôler, puis je lâche prise ». Il en demande autant au regardeur qui doit se laisser happer par la mise en espace de la galerie Ropac.

Des enchevêtrements chaotiques de corps fragmentés

Daniel Richter, Furor I (Thaddaeus Ropac) Photo OOlgan

Inspiré d’une carte postale de 1916 représentant des soldats amputés de leurs jambes sur des béquilles, l’artiste allemand annonce une Armistice pas comme les autres. Laissant les murs à des figures changeantes, mouvantes, plongées dans un réseau de lignes, des zones de couleurs vives et des zones d’espace négatif. Chaque toile, malgré l’effet étourdissant de série, crée et entraine un mouvement spécifique, une tension unique, libérant une « fureur » comme le suggère le titre. Dans ce Cri à la Munch, les traces humaines et non humaines se combinent avec ou au cœur de champs multicolores cernés de contours austères, assumés par l’artiste comme un « encerclement, une sorte de pressage, d’entrelacement, de serrage », qui crée une irrésistible confrontation des sens, ne laissant pas le spectateur indemne.

L’ensemble de l’exposition revisite la relation complexe entre l’imagerie historique (celle de soldats déformés et mutilés) et la façon dont la propagande (nazie) l’a reprise. Pêle-mêle, s’ imbriquent des références aux horreurs de la (Première) Guerre à la façon d’un Goya ou d’un Kirchner, au grotesque de la peinture allemande de l’entre-deux-guerres d’un Max Beckmann, inséré dans un espace structurant à la Bacon.

Etat de conscience et artificialité

Daniel Richter, Furor I detail (Thaddaeus Ropac) Photo OOlgan

Décrits de manière expressive par l’usage de bâtons d’huile noir, les figures anthropomorphes composées de membres évasés et les bouches béantes transmettent une charnalité agressive renforcée par l’orgie de couleurs contrastées. Poussé dans ses retranchements sensoriels, l’œil n’est jamais au repos. «La dynamique de mon travail, explique Richter est principalement basée sur le fait de pousser et de bousculer, ou sur des éléments qui sont confrontés les uns aux autres – se mêler, pousser, tirer»,

Daniel Richter, Furor I (Thaddaeus Ropac) Photo OOlgan

Un arrière-plan structurant

« Mon souci est la surface, ce schéma plat, enchevêtré et invariable de constellations de figures, à l’intérieur comme à l’extérieur. » Dans Furor I, si la palette de couleurs est explosive, elle s’exprime sur des arrière-plans volontairement réduits à deux couleurs : une au-dessus et une au-dessous de l’horizon, avec une seule ligne de séparation entre elles. Ses lignes de perspective, selon ses propres termes  » façonnent ce faux horizon comme dans une peinture de paysage ‘sublime’, créant des variations déformées et troublantes sur la notion d’horizon en peinture d’une manière qui rappelle les arrière-plans désorientants en réalité augmentée. »

Ne pas laisser le regardeur à la surface.

Daniel Richter, Furor I détail (Thaddaeus Ropac) Photo OOlgan

«Je trouve du plaisir à étaler tous ces éléments propres, et une fois que je les ai étalés, je force les choses que j’ai faites à reprendre une forme. C’est une façon de penser, de faire les choses et d’expérimenter ; et certains sont très analytiques et d’autres plus amusants. L’essentiel est de me surprendre au moins un peu. »
Le drame où l’agressivité côtoie l’imprécation et la sensualité dans une atmosphère fluide, concentrant sans filtre les équivoques de notre monde troublé. Ce qui lui permet d’agir profondément sur nos consciences avec cette synthèse de la sauvagerie de la matière, de la délicatesse de l’espace et des élans obscurs de l’imaginaire.
Furor I n’est sans nul doute qu’une étape dans cette trajectoire créative d’une puissance peu commune.

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