Hannah Villiger saisit son corps comme sujet d’exploration au Centre Pompidou
Sculptures, corps et photographies en regard
À un endroit de l’exposition que le Centre Pompidou consacre à la photographe Hannah Villiger (1951-1997), on voit, parmi les documents réunis sous une vitrine – cartons d’invitation, brochures – témoignant de l’audience de son travail dans les années 80 et 90, le nom de la photographe Sophie Riestlehubert aux côtés du sien. Comme les deux plasticiennes étaient contemporaines, que Sophie Riestlehuber (1949) faisait récemment dialoguer ses photographies avec les sculptures de Giacometti à la fondation éponyme, et que sculpture et photographies ensemble font précisément signe vers l’œuvre de Hannah Villiger, on ne peut s’empêcher de penser à un chemin de création qui aurait atteint aujourd’hui sa pleine maturité s’il n’avait été stoppé net par la maladie en 1997.
Reconnue dans les années 70 pour ses sculptures en matériaux naturels influencées par les mouvements artistiques de l’arte povera et de l’art conceptuel, c’est en documentant ses œuvres par l’image qu’Hannah Villiger arrive à la photographie. Dès lors, le medium devient central dans sa pratique artistique sans que jamais la sculptrice disparaisse en elle ce dont témoignent les images tirées des séries Arbeit, Skulptural, et Blocks que présente l’exposition.
Les photos doivent être grandes pour que je puisse entrer en elles.
Hannah Villiger, carnet de notes.
« Arbeit », travail donc, on ne peut pas mieux dire, Hanna Villiger se met au travail et fait ses gammes. Elle photographie avec un appareil 35mm ses sculptures, telle cette entaille dans le plexiglas posée au sol dans son atelier, et ce qui les entoure, air, eau, feu, plume, végétaux, dans un mouvement qui, en les décontextualisant, semble porté par l’absolu désir d’en révéler la matérialité, et pose les bases de son œuvre à venir.
Son propre corps comme le sujet central
Même vocabulaire en effet lorsqu’ensuite – alors qu’atteinte de tuberculose, elle a passé plusieurs semaines à l’hôpital de Bâle en 1980 – son propre corps devient le sujet central de son travail. Celui-ci n’est jamais montré en entier. Avec son appareil polaroid, Hannah Villiger photographie un cou, des cheveux, un talon, une main… autant de détails qu’elle rephotographie et agrandit ensuite au centuple pour les grands formats de la série Skulpural.
Jamais le corps n’apparaît alors autant comme le lieu d’une quête, d’une exploration et d’une interrogation.
En observant le pigment de la peau agrandie, on songe aux cellules sous la lunette d’un microscope. Hannah Villiger documente son corps comme autrefois ses sculptures. Plus tard, à partir d’un montage de ses polaroids autour d’un même motif, elle assemble ses photographies en des Blocks monumentaux.
Pourquoi l’agencement en bloc ? Présence accrue ; dédoublement ; il doit s’agir d’un tout, et chaque partie doit fonctionner indépendamment ; taille ; le cadre des espaces intermédiaires donne une structure claire ; en raison des différentes parties, plus précis dans le sens de plus complet ; surdimensionné par rapport à l’être humain ; remplit le mur, est donc un élément architectural…
Hannah Villiger, carnet de note
Quand elle rencontre Joe Kébé, son futur mari d’origine sénégalaise, « corps matériau » et étoffe issue de la culture africaine, bientôt, ne font naturellement plus qu’un, en un poignant serment d’amour.
Dans des compositions au cadrage très serré, elle manie un miroir près de son corps tout en le photographiant. Par-là, elle donne une forme complexe à l’entremêlement du corps et de l’étoffe colorée qui l’enserre. Le tissu, qui redouble, protège ou se substitue à sa peau, devient ainsi un élément matriciel de nombre de ses compositions. Par sa souplesse et son caractère tactile et modulable, il revêt une dimension sculpturale propre.
Julie Jones, Commissaire, note de cartel