Histoire de mes seins, de Monique Ayoun, par Rabiaa Tlili (Studio Herbetot)
Seins de femme, regards d’homme
Il fallait osé! Monique Ayoun a osé. D’une enquête journalistique, l’histoire de ses bonnets de soutien-gorge est devenue – après un livre illustré par Wolinski – une pièce de théâtre. Trois actrices aux caractères et physiques bien trempés –
– incarnent dans une série de scénettes bien croquées, et sans temps mort, dope tout l’esprit personnel de ce témoignage à mi-chemin de la biographie intime et d’un engagement féministe. Avec le partis pris d’en rire pour mieux décrire d’infinis imaginaires.
Entre intime et politique
Au contraire, le ton est fédérateur, efficacement léger, troublement grave. Car tout commence par le joug de la famille, puis de la rue, et des représentations. Puis, navigue entre trois registres : celui de la banalité – le corps que l’on voit sans voir –, celui de la sexualité – le corps érotique que l’on désire – et celui de la beauté – le corps esthétique que l’on admire.
Auteur de l’un des rares ouvrages sur un aspect du sujet, Corps de femmes, regards d’hommes. Sociologie des seins nus, de Jean-Claude Kaufmann (Nathan, 1995), rappelle que rien d’anodin dans le regard, fut-il exercé à la plage
« Il n’est guère de lieu, où ce qui est livré publiquement aux regards soit si privé, où le privé se livre aussi intensément au public sans se livrer. (…)
Si rien n’est interdit, affirme-t-il, les regards et les mille petits messages inaudibles font comprendre à ceux qui dérogent qu’ils sont la cible des critiques. Ils sont tolérés mais irrévocablement disqualifiés. »
Jean-Claude Kaufmann
Un jeu de miroir savoureux
Il faut aller savourer ce spectacle fédérateur qui en dit beaucoup sur le corps et nous offre un miroir sur notre regard. Les traits sont malicieux pour faire sourire et réfléchir et offre un recul introspectif salutaire. Ne cédant ni totalement dans la banalité, ni exapérant la beauté, ou le désir : la dynamique joue sur les effets de miroir entre deux ou entre trois plans.
La mise en scène de Rabiàa Tlili mêle humour et sensualité, distanciation et implication faisant feu de tout bois, de chansons à la vidéo, et l’énergique transformation des actrices pour nous faire perdre (un temps ?) la tranquillité naïve à laquelle nous sommes peut être un peu trop habitués. Cela paraiy obsolète ? Rappelons que toute image de sein est censurée sur les réseaux sociaux qui revendiquent pourtant le sacré de la liberté d’expression …
Olivier Olgan
Quelle a été l’inspiration de cette pièce ?
Monique Ayoun. Tout a commencé par un article (un spécial dossier « Seins ») que j’avais écrit pour un magazine. Le jour de sa parution en kiosque j’ai eu l’heureuse surprise de découvrir qu’il avait été illustré par Georges Wolinski ! Quand je l’ai rencontré, il m’a confié qu’il avait été ému par mon texte parce que cela lui rappelait le moment où les seins de ses filles avaient commencé à pousser. Il m’a incitée à creuser et gonfler le sujet (c’est le cas de le dire !) pour en faire un livre.
Je me suis amusée alors à raconter toute ma vie à travers cette seule partie du corps. C’était comme un exercice de style. J’ai commencé un, puis deux chapitres…Et je n’ai plus pu m’arrêter !
Pourquoi avez-vous souhaité l’adapter au théâtre ?
Après la parution du livre publié par Olivier Orban aux Editions Plon, j’ai reçu beaucoup de témoignages ! J’ai ainsi reçu les confidences d’une Anglaise, d’une Américaine, d’une Africaine, d’une Italienne, d’une Japonaise. C’était à chaque fois très personnel et très différent.
Au point que j’ai eu envie de donner un prolongement théâtral à mon livre. J’avais envie de voir incarnées sur scène toutes ces femmes aux corps multiples, différents, variés, généreux. C’était comme un voyage autour du monde. Dans toutes les cultures, les seins c’est tellement différent et tellement la même chose !
Et puis plus je travaillais dessus, plus je me rendais compte de la richesse du sujet !
C’est un thème universel et pourtant très peu exploré ?
Cette transformation du corps de la femme est si particulière, et si peu évoquée. Je n’ai pas vu de films ou lu de livres à ce sujet. Essayez de consulter internet par exemple avec le mot « sein », ce qui ressort c’est tout de suite le cancer du sein, et puis des pages entières sur « le sein pornographique ». Mais le « sein quotidien » celui dont je parle, le sein de tous les jours porté et ressenti au travers du regard d’une femme, ça on en n’entend pas beaucoup parler !
Votre livre n’a qu’une seule narratrice. Mais votre adaptation théâtrale est composée de trois comédiennes. Pour quelles raisons ?
J’avais envie de montrer des corps de femmes sur scène, des physiques très différents. La multiplication des profils de femmes et de seins (petits, gros, moyens) et les divers comportements concernant le corps des femmes dans des cultures et des pays différents ouvrent largement le débat…
Ma pièce est surtout humoristique mais en filigrane sont abordés des sujets comme la transmission, le fait de vouloir ressembler à sa mère ou de s’en démarquer, les complexes, le diktat de la norme.
L’image du corps dans nos sociétés est soumise à une grande pression normalisatrice…. Ce qui génère beaucoup de complexes ! J’aimerais qu’après avoir vu ce spectacle, toutes les femmes s’affranchissent des peurs, des complexes que génère l’apparition plus ou moins volumineux de leur poitrine afin que seule la fierté domine leur vie…
Plus regard empathique que manifeste culpabilisant, quel est votre parti pris esthétique ?
Mon choix esthétique consiste à marier l’image projetée et l’aspect direct du théâtre où se mêlent action dramatique, chanson, musique et danse pour emmener le spectateur au plus près de ces personnages où la femme prend une dimension symbolique. Le buste de Luna (sculpture de Jacky Kooken) s’érigera à l’avant-scène tel un obélisque appelant le public à s’embarquer dans l’histoire de toutes ces femmes qui jouent, racontent et chantent.
Propos recueillis par Olivier Olgan le 17 décembre 2024
jusqu’au 26 février 2025, Histoire de mes seins, de Monique Ayoun, Les mercredis à 21 h – dimanches à 19h, Studio Hebertot
Livre aux Editions Plon avec 80 dessins de Georges Wolinski, adapté par Monique Ayoun, mis en scène par Rabiàa Tlili
Avec Ophélia Grimm, Maud Vincent et Rabiàa Tlili
Dramaturgie : Mariane Zahar
Compositions originales : Hervé Cohen
Images vidéos : Faical Abassi
Sculpture : Jacky Kooken
Production : La Compagnie des Saïs