Culture
Histoires de regard : Les frères Nadar, Dorothea Lange et Robert Doisneau
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 20 décembre 2018 à 11 h 10 min – Mis à jour le 21 décembre 2018 à 15 h 31 min
A l’heure des flux torrentiels d’images, trois expositions permettent un recul stimulant sur les ressorts de notre mémoire visuelle. Le regard humaniste des frères Nadar, de Dorothea Lange et de Robert Doisneau s’est mué, par la technique, en art. Au-delà de l’Histoire, leurs portraits nourrissent en profondeur notre imaginaire.
Les Nadar, une légende photographique (BnF – François-Mitterrand)
Attention un Nadar peut en cacher un autre !
Felix [Tournachon] Nadar (1820-1910) a su imposer sa marque avec de géniales trouvailles marketing comme ce Panthéon ambitionnant de dessiner plus de 3000 personnalités de son temps. Si seulement 300 seront finalement croquées, Nadar a su se faire un nom dans toute l’élite française… réussissant avec son « portrait individualisé » à occulter Niepce et Daguerre comme inventeurs de la photographie. Son art du portrait attire les plus grands. Avec un tropisme pour l’art, Delacroix, Dumas, Sand sont fascinés par ce nouvel outil « dans lequel la personne et la personnalité ne se nuisent plus mais s’épaulent » (Michel Frizot, L’Homme photographique).
Ce savoir-faire est transcendé par Adrien Tournachon (1825-1903), le demi-frère et collaborateur de Félix qui prendra rapidement son indépendance artistique, non sans vouloir signer lui aussi Nadar, ce qui produira l’un des tout premiers procès sur le statut d’auteur photographe … qu’il perdra ! On lui doit les portraits de Nerval, Gustav Doré, encore Baudelaire…
Paul (1856-1939) le fils de Felix reprendra le nom et poursuivra la transformation d’un studio d’artiste en entreprise commerciale, multipliant et soutenant les avancées techniques et scientifiques. Il devient le distributeur exclusif de Kodak en France et développe une solide affaire jusqu’en 1939. Les prises de vues magiques de Sarah Bernhardt en costume de scène ou surprenantes des égouts de Paris sont de lui. Le parcours joue habilement des formats et des innovations (comme les photos aériennes) et favorise une plongée passionnante dans un art en train de se pendre en main.
Robert Doisneau et la musique, Musée de la Musique – Philharmonie de Paris
Il les a tous aimé, couvant de son regard tendre et bienveillant musiciens de rue anonymes ou vedettes en devenir ! Pendant plus de 40 ans, au fil de pérégrinations solitaires Rolleiflex en bandoulière ou en studio, Robert Doisneau (1912-1994) réussit à capter l’imaginaire des musiciens, aussi divers que Brassens, Bourvil, Pierre Boulez, Jacques Higelin (photographié en 1991 au parc de la Villette, dans le décor en construction de la Cité de la musique), Renaud ou les Rita Mitsouko.
L’itinéraire conçu par Clémentine Deroudille, commissaire et petite-fille du photographe rend hommage à cet amour pour la prise instantanée, captant un regard, un imaginaire ou un univers évoqué par la seule puissance du cadrage ou de la situation. Avec une mention spéciale pour les séries dédiées à Prévert, et l’irrésistible Maurice Baquet, son « professeur de bonheur » et compagnon de pitreries visuelles et sonores pendant plus de cinquante ans. « Dans mon école idéale de photographie, disait le photographe, il y aurait un professeur de bouquet et un professeur de musique. On ne formerait pas des virtuoses du violon, mais on expliquerait le rôle de la musique qui donne une lumière sur les civilisations passées, formation complémentaire très nécessaire ». La ballade joyeuse au milieu des 200 clichés – avec l’invitation à s’arrêter aux tables de troquet pour savourer la mise en musique par Moriarty – n’est pas dépourvue d’une certaine nostalgie. L’exposition se prolonge au sein de la collection permanente du Musée de la musique, où l’espièglerie dynamique des clichés se joue des imaginaires statiques des instruments de musique.
Dorothea Lange, Politiques du visible. Jeu de Paume – Paris
Peu de photographes peuvent se targuer d’inscrire une icone non seulement dans l’histoire de leur art, mais dans l’imaginaire collectif. Une image comme Migrant Mother (1936) de Dorothea Lange (1895-1965) plonge directement le regardeur au cœur de la tragédie de l’histoire – celle que John Steinbeck a su écrire dans Les Raisins de la colère, paru en 1939 – de ces émigrés forcés de quitter des terres arides pour traverser dans des conditions misérables leur propre pays.
La force de ses photos reste intacte par leur sobriété émotionnelle mais aussi par leur éthique rigoureuse de la pratique documentaire : « Je ne vole jamais une photo, jamais, disait-elle. Toutes les photographies sont réalisées en collaboration, car elles font partie de leur réflexion comme de la mienne. » Préférant parler de collaboration avec le sujet, elles constituent un témoignage engagé contre la honte et l’indifférence.
Cette humaniste qui – comble de l’humilité s’est considérée toute sa vie comme une « archivistique » – consacrait beaucoup d’énergie à rédiger et informer les légendes qui accompagnent ses photographies, comme en témoignent les différents objets lui ayant appartenu, carnets de notes et planches-contacts.
Pour le couple qu’elle format avec Paul Schuster Taylor, professeur d’économie à l’université de Californie à Berkeley avec lequel elle travaillera pendant 30 ans, il s’agissait de revendiquer « l’appareil photographique comme un outil de recherche », de documenter inlassablement la réalité de façon quasi ethnographique.
Si ses reportages de la Grande Dépression débutée en 1929 sont indélébilement marquants – avec sa cohorte poignante de chômeurs sans-abris, de journaliers sans terre et de travailleurs migrants mexicains – celui dédié aux milliers d’Américains d’origine japonaise internés par précaution au milieu d’un désert durant la Seconde Guerre mondiale est tout aussi poignantes, surtout qu’il fut ‘classé Défense’ avant 2006. Le sobre reportage sur le travail d’un avocat commis d’office bouleversera les amateurs de Série Noire. Par ses cliches, Dorothea Lang préfigure les lanceuses d’alerte s’appuyant sur la dignité et le courage de ses figures – hissées au niveau d’archétypes – pour dénoncer l’injustice et infléchir l’opinion publique.
Informations pratiques
-Les Nadar, une légende photographique, BnF – François-Mitterrand
… Jusqu’au 3 février 2019
Galerie 2 BnF I François-Mitterrand Quai François Mauriac, Paris XIIIe
Du mardi au samedi 10h > 19h
Dimanche 13h > 19h
Fermeture…
Informations pratiques
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-Les Nadar, une légende photographique, BnF – François-Mitterrand
… Jusqu’au 3 février 2019
Galerie 2 BnF I François-Mitterrand Quai François Mauriac, Paris XIIIe
Du mardi au samedi 10h > 19h
Dimanche 13h > 19h
Fermeture les lundis et jours fériés
Tarifs : ?
–>Exposition virtuelle Exposition virtuelle et ressources en ligne
Catalogue de l’exposition, 352 pages, Editions de la BnF. ? €
-Robert Doisneau et la musique, Cité de la musique
… jusqu’ au dimanche 28 avril 2019
Horaires Mardi au vendredi : 12h – 18h Samedi : 10h – 20h Dimanche : 10h – 18h
Fermé le 25 décembre 2018 et le 1er janvier 2019
Tarifs (comprenant l’entrée à la collection permanente du Musée de la musique) plein : 9€
Tarif réduit : 5€ Jeunes de moins de 26 ans, demandeurs d’emploi, bénéficiaires de minima sociaux.
Gratuité : Enfants de moins de 6 ans, personnes handicapées et leurs accompagnateurs.
Visite guidée Les samedis et dimanches de 11h à 12h, du 2 février 2019 au 7 avril 2019.
Tarifs : Jeune de moins de 28 ans : 10€; Adulte : 12€
Catalogue de l’exposition, 192 pages, Flammarion. 29,90€
-Dorothea Lange, Politiques du visible, Jeu de paume, place de la Concorde
… jusqu’au 27 janvier 2019
Du mercredi au dimanche, de 11 heures à 19 heures ; le mardi jusqu’à 21 heures
Tarifs : 7,5 € et 10 € (adulte / enfant ?).
Précaution : En raison de l’affluence il est recommandé, pour votre confort, de privilégier les horaires suivants : 13h-14h / 17h-19h.
Catalogue de l’exposition : Sous la direction d’Alona Pardo. Coédition Barbican / Jeu de Paume / Prestel : 39,95 euros
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