Hommage à Phantom of the Paradise, de Brian de Palma (Grand Prix Avoriaz 1974)
En 20 ans (1973-1993), feu le Festival international du film fantastique d’Avoriaz aura récompensé une tripotée de bons films. Certains pouvant même être qualifiés de chefs d’œuvres dont Duel (1973), Blue Velvet (1987), Braindead (1993)… D’autres sont devenus des références incontournables de la culture populaire : Mad Max 2 (1982), Terminator (1985)… Parmi eux, auréolé Grand prix 1975, Phantom of the Paradise, de Brian de Palma fête cette année ses 50 ans. Cette œuvre cultissime est à elle seule pour Calisto Dobson, un monument rassemblant tous les éléments de la perfection, de la fusion de mythes littéraires (Faust, Fantôme de l’Opéra, Dorian Gray, …) à la bande son, signée Paul Williams. Bonne nouvelle, il est disponible en VOD HD Canal+ ou en bluray.
Welcome to the Paradise
Si vous n’avez jamais eu l’occasion de voir Phantom of the Paradise ? Un demi-siècle après sa sortie, il serait temps que vous vous jetiez dessus. Lorsque Brian de Palma réalise cette perfection de film, il a décroché une notoriété grâce à sa précédente réalisation Soeurs de Sang. Un thriller horrifique dans lequel il a montré ses appétences hitchcockiennes. Qu’il va proprement transcender dans cette monstruosité narrative, esthétique et disruptive d’une grandiloquence proprement effarante.
Quand Faust et Dorian Gray rencontrent Le Fantôme de l’Opéra (rock)
Plusieurs traits de génie sont à l’œuvre, à commencer le scénario dont de Palma est l’auteur, porteur de la très bonne idée de mêler plusieurs grands mythes littéraires, Le Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux, Faust (déjà présent dans le roman comme élément narratif) et Dorian Gray d’Oscar Wilde.
Réinitier cette dramaturgie hybride pour en faire un opéra rock en réhausse d’autant plus l’originalité (nous sommes en 1974…) et le degré narratif. Surtout qu’il s’agit d’en faire une satire féroce du show business et de l’industrie musicale en particulier.
Cerise démoniaque sur le gâteau
Qui dit opéra rock, dit musique et aller chercher un musicien tel que Paul Williams, on se demande comment a-t-il pu trouver cette brillante idée. Les Daft Punk, eux-mêmes fans absolus du film (leur casque tire son inspiration du masque du personnage du fantôme), l’ont invité sur Random Access Memories leur album final.
Mise en abime, le compositeur joue un rôle de producteur faustien
À ma connaissance, il s’agit du seul compositeur d’une bande originale de film dans lequel il interprète un des rôles principaux. Inspiré par le démiurge psychopathe Phil Spector, le personnage de Swan est un producteur multi-platiné obsédé par la recherche d’une musique d’exception pour l’ouverture de son Paradise, un palais dédié au rock’n’roll.
Le film s’ouvre sur une iconographie tournant sur elle-même à la façon d’un 33 tours. En gros plan une silhouette de volatile rouge fondu dans un violet pour passer au bleu puis au vert pour finir blanc sur noir se resserre au fur et à mesure et laisse découvrir un genre de moineau mort sur le dos.
Death Records, le label de Swan
Cette image en dit long, elle cristallise tout ce qu’exprime le film. De par sa nature mortifère recyclée en une parfaite représentation qui se veut subversive cache en réalité une duplicité qui révèle la superficialité de ce qu’elle est censée porter aux nues.
La voix off de Rod Sterling (créateur de la série télévisée La Quatrième Dimension), légèrement autotunée avant l’heure, introduit le contexte. L’une des plus brillantes introduction de l’histoire du cinéma :
Son passé est un mystère, mais son œuvre est déjà une légende. Il a écrit et produit son premier disque d’or à 14 ans; depuis, il en a gagné tellement d’autres qu’il a essayé un jour de les déposer à Fort Knox. Il a apporté le blues en Grande-Bretagne. Il a apporté Liverpool en Amérique. Il a réuni le folk et le rock.
Son groupe, les Juicy Fruits, a donné naissance à lui seul à la vague nostalgique des années 70. Il est maintenant à la recherche du nouveau son des sphères, pour inaugurer son propre Xanadu, son propre Disneyland : le Paradis, l’ultime palais du rock. Ce film est l’histoire de cette quête, de cette musique, de l’homme qui l’ a créée, de la fille qui l’a chantée…et du monstre qui l’a volée. »
Le tout d‘un ton enrobé d’une couche de mythification qui s’avère profondément ironique.
Swan… sa légende n’a pas d’autre nom.
Le générique se déploie en s’ouvrant sur la première séquence du film et le premier titre de la merveilleuse bande originale (entièrement composée par Paul Williams), chaque titrage en éclairage pétillant de luminosité à la façon de luminaires sur Broadway.
Le morceau intitulé sommairement Goodbye, Eddie, Goodbye dénonce avec acuité et sarcasme dans sa forme, l’exploitation des morts tragiques par l’industrie du spectacle. Les Juicy Fruits (on notera la connotation caustique de l’apparente inoffensivité du patronyme), présentés comme le groupe phare du marionnettiste Swan, déroule une prestation pour le moins sarcastique par leur attitude.
Dans une veine de rock rétro au bord du rockabilly, leur impertinence grandguignolesque donne un bon aperçu du mode satirique voulu par Brian de Palma.
Une spoliation artistique prémonitoire
Aidé par son âme damnée Philbin divinement incarné par le méconnu George Memmoli, notre démiurge n’aura de cesse de manipuler, utiliser, posséder et/ou détruire ceux qu’il juge dignes de l’être.
A cet égard, au début du film, la scène de l’aparté entre Swan et Philbin au sujet d’une chanteuse qu’ils ont transformé en star qui leur a fait faux bond résume en un clin d’œil une partie du propos. La naïveté d’un public crédule face à ce qu’il considère comme de grands artistes.
L’intégralité de la bande son est un pastiche génial de tout un panorama de la musique pop et rock des 70 ‘s.
Du morceau susnommé Goodbye Eddie Goodbye à la malicieuse contrefaçon Beach Boys, Upholstery (Tapisserie sic…) par les Beach Bums (Les Clochards de la Plage re-sic…),
en passant par les morceaux de bravoure, Special to Me, l’audition de Phoenix, merveilleusement interprétée par Jessica Harper.
ou encore le hard rock de Somebody Super Like You mis en scène avec maestria.
Sans oublier Life At Last par l’impayable Beef (Gerrit Graham inénarrable), risible prima donna façon David Lee Roth avant l’heure.
Le tour de force de Paul Williams est d’avoir réussi avec chacun de ces morceaux, sublimé l’intention de pastiche en produisant un ensemble de titres irrésistibles.
Chaque séquence enrobée d’une illustration musicale appropriée déroule le fil de l’histoire conçue comme une série de tableaux scéniques. Jusqu’à la scène à la théâtralité grandiloquente de l’inauguration du fameux Paradis du rock.
Au risque de me répéter tout est parfait dans ce film.
La quintessence des 70’s
Sa cinématographie en écran partagé alliée à une direction artistique dotée d’une esthétique qui magnifie chaque plan, nous offre une vision paradoxale de l’univers qu’elle dépeint. L’intention de parodier avec outrance le show business et l’adulation portée au rock’n’roll en en ridiculisant la superficialité dégénérée, finit par produire chez le spectateur un sentiment d’éblouissement.
A la fois sophistiqué de par le soin apporté à sa mise en scène, sa cinématographie et le glamour de son esthétisme, il parvient à garder une simplicité de traitement qui frôle la série B. Ce qui apporte cette touche d’authenticité nécessaire à l’évocation de la culture du rock’n’roll.
En filigrane, De Palma y exprime aussi un fond d’amertume.
Dépossédé par la Warner du film Get You Know Your Rabbit suite à un profond désaccord avec le producteur John Calley, il trouve un exutoire à dénoncer la vacuité mercantile de ceux qui financent les films. Malgré cette volonté, il en a très certainement fait l’un des meilleurs films sur le rock jamais tourné. Les producteurs de comédie musicale et autres opéra de pacotille putréfiés façon Mozart Rock devraient sérieusement s’intéresser à recréer sur une scène la fantasmagorie échevelée déployée dans Phantom of The Paradise.
50 ans après vous pouvez voir et revoir ce chef-d’œuvre sans que ne cesse la fascination (et le plaisir) qu’il exerce.
avec William Finley, Paul Williams, Jessica Harper, George Memmoli et Gerrit Graham. (92 mn) en VOD Canal+
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