Hommage assumé à Alain Delon, star de cinéma (1935-2024)

La mort d’Alain Delon, acteur magnétique à la beauté solaire, a suscité une vague d’émotions et de réactions en chaîne. Entre tristesse révérencieuse pour une majorité admirative d’une personnalité au charisme irrépressible et mépris d’une minorité pour ses engagements ambiguës à l’égo boursouflé. L’homme de paradoxes et aux relations tranchées d’une sincérité totale a toute sa vie refusé de jouer la comédie. Calisto Dobson revient sur la filmographie préférée de la star absolue de cinéma, loin des références convenues.

Il ne s’agit pas ici de considérer, selon le mot de Chilon de Sparte, que d’un mort dont on ne dit que du bien. Ni d’en livrer une image thuriféraire, ni non plus de dénigrer l’homme en pointant d’un doigt acrimonieux tout ce qui paraît exécrable chez lui. Mais plutôt de sonder le mystère d’un homme, à l’aune de ce qu’Alain Delon a pu générer de contradictions et de part d’obscurité. Son adoration pour la Vierge Marie n’étant pas des moindres.

Tous les visages d’Alain Delon (montage Cnews)

Une jeunesse tumultueuse

C’est méconnu, le père naturel d’Alain Delon était directeur de cinéma. Au divorce de ses parents à l’âge de 4 ans, il est confié à une famille d’accueil, ce qui a frappé d’un sceau indélébile son existence. Sa scolarité chaotique passe par une pension catholique et surtout toute une série de renvois.

Récupéré par sa mère après son remariage avec  un boucher charcutier, sa prime jeunesse est mouvementée. De par un tempérament impétueux, il enchaîne les écarts et les inconduites jusqu’à même se faire renvoyer de l’armée après plusieurs déboires.

Dans sa vingtaine il fréquente Pigalle et son milieu interlope. Cependant le vertige que procure sa beauté au charisme irrésistible en fait rapidement un apprenti vedette de cinéma. Mais c’est son apparente désinvolture carrossée d’un caractère tranché qui va lui permettre de révéler son tempérament de star et en faire la figure iconique que l’on connaît.

Aucun acteur ne lui est comparable.

Doté d’une suffisance que d’aucuns jugent au mieux démesurée, au pire insupportable, il le disait lui-même, Alain Delon est Alain Delon. Il est unique, il n’y en a pas d’autres, point à la ligne.

Fascinant, envoûtant pour certains, repoussant, abject pour d’autres, Alain Delon, à l’image d’une époque où tout est piétinable, polarise.

Alain Delon pouvait et savait trancher

Plusieurs types de caractères émergent de ses films dont certains en totale opposition avec celui qu’il imposait parfois avec l’assurance digne d’une guillotine, d’autres fois avec un magnétisme d’une éloquente prestance, quelquefois les deux en même temps.

Faire émerger de sa filmographie un semblant d’éclairage sur la singularité qu’il incarnait n’est pas forcément aisé.

Dans sa carrière, parmi ses quelque 90 films il y a bien sûr les chefs-d’œuvres indiscutables, une grosse louche de cinéma populaire de qualité, pas mal de polars qui ont sûrement pris un coup dans les dents à l’instar de ceux de son meilleur rival Jean-Paul Belmondo et puis certaines curiosités.

À tout seigneur tout honneur, le film préféré d’Alain Delon dans sa filmographie est Le Professeur de Valerio Zurlini.

Cette production italienne de 1972 (Delon le parlait couramment) dont le titre original La Prima notte di quiete  (La Première nuit de tranquillité) évoque un vague sentiment ambigüe, entre résolution, aboutissement et finalité. La mélancolie constante qui émane du film est sans aucun doute un premier indice. Le personnage principal dépressif tombe amoureux d’une de ses élèves, ce qui s’avère une impasse funeste. Enfonçons cette porte ouverte et nous trouvons au cœur de cet homme tourmenté une blessure insondable portée sur les fonds baptismaux par un abandon précoce suivi d’une enfance chaotique.

Posons le cliché, une âme sombre revêtue d’une beauté solaire.

Voilà pour les bases ceci expliquant ne serait-ce qu’en partie cela. Sans omettre le mot de François Truffaut : « ce n’est pas parce qu’on a eu une enfance difficile, qu’il faut la faire payer à tout le monde. » Ce qui fût sans doute le cas de Delon, ses colères homériques ainsi qu’une violence latente ont été à maintes reprises rapportées par ses deux fils. Le même Truffaut lui dira d’ailleurs : « vous me faites peur. »

Depuis l’annonce de sa mort, tout a été dit, décortiqué, relevé, analysé, mâché et recraché.

Delon est mort 27 fois dans ses films, est-ce à dire qu’il s’agit là d’un signe d’une appétence du scorpion qu’il était pour la camarde ? En revanche, combien de fois a-t-il tué quelqu’un ? Difficile de dénombrer, sans doute beaucoup plus que vingt-sept.

Adepte du contrepied

Pourvu de l’appellation acteur « de droite », Alain Delon n’a jamais caché ses idées politiques. Revendiquant son amitié avec Jean-Marie Le Pen (ils se sont connus pendant la guerre d’Indochine), il n’a pourtant jamais appelé à voter pour le Front ou le Rassemblement National. Tout autant que son adoration pour la Vierge Marie, Delon a  voué toute sa vie une admiration sans borne au Général de Gaulle. À chaque 18 juin, il se rendait à Colombey-les-Deux-Églises sur la tombe du Général et pour faire bonne mesure, il avait acheté aux enchères le manuscrit original de l’Appel radiophonique qu’il avait gracieusement offert aux Compagnons de la Libération. Tout ça lui vaudra d’être traité au mieux de réactionnaire au pire de facho, ce dont il se défendra sans renier ses idées de droite.

Des choix paradoxaux d’acteur

Dans la vie, partisan avéré de la peine de mort,  il interprète auprès de Jean Gabin et Mimsy Farmer dans Deux hommes dans la ville de José Giovanni, plaidoyer accablant contre la peine capitale, un ex-détenu guillotiné après avoir été harcelé et poussé à bout par un policier (Michel Bouquet), particulièrement retors.

Adulé par les masculinistes, il est dans Un amour de Swann, de Volker Schlöndorff le flamboyant Baron de Charluus homosexuel revendiqué.

Tout comme on aurait plutôt attendu un acteur “de gauche” pour son rôle dans Monsieur Klein, de Joseph Losey sans doute son dernier chef-d’œuvre. Producteur du film aux côtés de son ami Norbert Saada, il s’avère que c’est  Costa Gavras qui est à l’origine du projet qu’il devait tourner avec Jean-Paul Belmondo. Une blessure de ce dernier, un conflit de producteurs, à ce moment Delon s’en mêle et veut le produire, Costa Gavras se retire…faut-il en penser quelque chose ? Nous ne le saurons sans doute jamais à moins de poser la question à Gavras lui-même, homme de gauche revendiqué…

La star embauche Losey (loin d’être un réalisateur connu pour ses idées de droite, c’est le moins que l’on puisse dire), avec qui il a déjà travaillé sur L’Assassinat de Trotsky. Le sujet intrigue, cette variation kafkaïenne pendant l’occupation, un homme confondu par son patronyme avec un juif est envoyé à la mort. Delon lui-même insista pour que la fin soit tragique.

À ces trois, si on y ajoute L’Insoumis, d’Alain Cavalier, film de 1964 foncièrement anti-militariste, est-ce suffisant pour faire de Delon un paradoxe fait acteur.

Une impénétrable aura de mystères

Une chose est sûre, comme tout personnage hors norme, il gardera pour l’éternité une aura de mystère tout en se confondant avec ses rôles pour lesquels il revendiquait lui-même n’être qu’un acteur. Est-ce la clé ? Le goût d’être acteur l’emportait-t-il sur les propos tenus et le discours du film à la façon d’un défi ? Jusqu’à Jean-Luc Godard qui lui fait dire dans Nouvelle Vague : « je suis une merde. »

Détesté ou adoré, Delon avait son film préféré, l’un des plus sombres (CQFD) du réalisateur à qui il faisait peur, La Chambre verte de François Truffaut.

Le mystère Delon reste entier.

Calisto Dobson