Hyper-réalisme (Musée Maillol) & Hyper-sensible (Musée Beaux Arts Nantes)

jusqu’au 3 septembre 2023,Musée des arts de Nantes, 10 rue Georges Clemenceau; , ouvert tous les jours sauf le mardi, de 11h à 19h, nocturne jusqu’à 21h le jeudi.
Catalogue Silvana Editoriale, 2023 28 € 

Pourquoi ces corps figés à jamais dans des postures usuels nous fascinent-ils tant ? Cow-boy ou pin-up, enfant ou adulte, couchés, appuyés contre un mur ou allongés dans un transat, nus ou en habillés, ses sculptures si vraies défient le temps, notre regard, mais plus profondément, la condition humaine. Après Hyper-réalisme, ceci n’est pas un corps du Musée Maillot en début d’année, Hyper sensible, un regard sur la sculpture hyperréaliste au Musée des Beaux Arts de Nantes jusqu’au 3 septembre, une quarantaine d’œuvres – en silicone ou en bronze peint – signées d’artistes dit hyperréalistes, de 1960 à aujourd’hui de l’exposition itinérante. révèlent la fragilité humaine tout en interrogeant le statut de l’œuvre d’art, et ses liens ambigus avec la réalité.

L’éventail des sentiments que ces œuvres traduisent et induisent, l’humanité profonde qui s’en dégage, la technique éblouissante des artistes, la manière dont l’ensemble reflète l’obsession du corps dont fait étalage notre époque, tout contribuait à faire de cette visite une expérience artistique, intellectuelle et historique unique.
Olivier Lorquin, Président du Musée Maillol

John DeAndrea. American Icon – Kent State, 2016 (bronze) Hyper-réalisme, Ceci n’est pas mon corps au Musée Maillol Photo OOlgan

Une scénographie très immersive

La scénographie qui place les salles dans la pénombre pour mieux en faire ressortir chaque œuvre par la lumière – surexposant chaque peau et ses détails – contribue à amplifier la fascination – voir parfois la gêne – qu’exerce le parcours de cette exposition immersive. « L’illusion de la réalité est parfaite, et l’œuvre ainsi créée est tantôt amusante, tantôt dérangeante, voire angoissante, mais toujours une figure résolument contemporaine. » précise le directeur artistique de Tempora.  La société responsable de ce show qui a beaucoup voyagé – 12 dates de Bilbao à Rotterdam, de Canberra à Lyon – sait ménager, construire et libérer ses effets dramatiques dans les pièces labyrinthiques du Musée Maillol.

Nous sommes assaillis par toute une gamme d’émotions humaines :
la compassion et la tendresse, l’émoi érotique et le sentiment d’horreur, la fascination et le malaise…
Des mythes surgissent, heureux comme celui de Pygmalion et de sa Galatée,
ambigus comme celui de Pinocchio, tragiques comme le Golem de Prague ou Frankenstein,
et toujours fascinants puisqu’il s’agit, excusez du peu, de créer la vie en se substituant au Créateur.

Benoît Remiche & Maximilian Letze, commssaires

Duane Hanson. Cowboy with hay, 1984-89 (bronze) Hyper-réalisme, Ceci n’est pas mon corps au Musée Maillol Photo OOlgan

Des chocs délibérés

Nul besoin de recul, ni de cartel pour recevoir de plein fouet les émotions savamment délibérées de ces œuvres plus vraies que nature. C’est d’ailleurs une des principales raisons du succès de ces expositions – pour une fois avec des vraies œuvres à la différence des Ateliers des Lumières  qui se contentent d’images projetées et de musique – l’émotion est assurée sans aucun savoir préalable. En cela la revanche des hyperréalistes sur les modernes est totale. L’art est consumériste, ludique et accessible à tous.

Ron Mueck. Untitled (man in a sheet), 1997 (silicone) Hyper-réalisme, Ceci n’est pas mon corps au Musée Maillol Photo OOlgan

Comme tout courant artistique, l’hyperréalisme n’est pas tombé du ciel.

C’est le mérite du catalogue que de fournir une véritable perspective esthétique à l’exposition. Par ses nombreux essais et la qualité de ma mise en page il constitue un indispensable ouvrage pour celles et ceux qui veulent comprendre les profonds ressorts de l’Hyperréalisme

Si l’on cherche à lui trouver des antécédents, on peut même remonter au David de Michel-Ange, peut-être la première sculpture hyperréaliste moderne, dont les critères restent valables pour les artistes se revendiquant de ce courant jusqu’à nos jours. (…) En effet, lui n’idéalise pas le corps, il l’observe en clinicien, tel qu’il est, avec ses défauts et sa vérité, souvent cruelle.
Benoît Remiche & Maximilian Letze

Sam Kinks. Woman & Child, 2019 (technique mixte) Hyper-réalisme, Ceci n’est pas mon corps au Musée Maillol Photo OOlgan

Plus que jamais dans l’histoire des sociétés humaines, la nôtre est obsédée par le corps.

Le paradoxe de l’Hyperréalisme, courant esthétique apparu dans les années 60 est d’avoir tourné le dos à l’abstraction pour une représentation du corps humain fidèle de la nature, si minutieuse que les spectateurs se demandent parfois s’ils ont affaire au corps vivant lui-même. Alors que la sculpture moderne a tordu ou s’est échappée des canons grecs, puis académiques, et romantiques – l’hyperréalisme au contraire investit la reproduction de la nature pour mieux en précipiter la perfection dans une autre dimension critique.

J’aime les rides et les muscles affaissés, témoignages d’un corps qui a vécu et souffert, dit-il. Je ne me moque pas de ces gens ; au contraire, je les trouve beaux. J’identifie des fragments de l’existence, sincères et porteurs de sens. Avec une évidente mélancolie. La musique la plus triste n’est-elle pas la plus bouleversante ?
Duane Hanson (1925-1996)

Duane Hanson. Two workers, 1993 (bronze) Hyper-réalisme, Ceci n’est pas mon corps Musée Maillol Photo OOlgan

Au fur et à mesure que le spectateur prend ses marques, d’autres aspects de ce courant artistique prennent forme. Toutes les thématiques universelles liées à l’existence humaine se reflètent dans l’esthétique intemporelle de ses œuvres. Les avancées technologiques, les changements sociaux et culturels, ainsi que notre perception de la notion d’identité dans un monde toujours plus globalisé et numérique, ouvrent la voie à de nouvelles formes et à des manifestations innovantes de ce qu’est la sculpture.

Les œuvres choisies interrogent de manière intime et sans détours la condition humaine à l’ère de la mondialisation et de l’interconnexion aux médias de masse tout en conservant un lien avec le désir très ancien d’examiner notre existence à la lumière de la représentation réaliste.
Otto Letze. La condition humaine : l’image de notre corps au regard de la sculpture hyperréaliste

Jacques Verduyn. Pat & Valérie, 1974 (polyester)Hyper-réalisme, Ceci n’est pas mon corps Musée Maillol Photo OOlgan

A chacun de porter son attention vers les enjeux sociétaux que les artistes hyperréalistes adressent avec leurs objets qui semblent vivants pour mieux réfléchir notre condition humaine.

#Olivier Olgan

Pour aller plus loin :