Culture
Irving Penn, l’œil ascète
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 16 janvier 2018 à 15 h 57 min – Mis à jour le 22 mai 2018 à 12 h 04 min
La remarquable rétrospective du Grand Palais marque le centenaire de la naissance du photographe Irving Penn (1997-2009) dont l’art dépouillé concilie simplicité et élégance, pureté formelle et passion picturale.
L’œil qui capte la lumière des êtres
Au fil des onze salles aux murs privilégiant les nuances de gris, certains retiennent les photos de mode sophistiquées : Penn signa 165 couvertures de Vogue auquel il collabora plus de cinquante ans, de 1953 à 2004. Ses portraits de célébrités (elles ne manquent pas de Picasso à Dali, de Hepburn à Dietrich, de Colette à Duchamp) fascinent ceux qui apprécient les instantanés psychologiques tant le photographe privilégie des dispositifs radicaux comme l’inconfort dans un angle formé par deux cimaises, l’essentiel à l’anecdote. Penn ne cherche pas l’harmonie mais la vérité singulière des corps ou des formes. Mode et people, le travail de Penn constitue une véritable comédie humaine de la haute société bourgeoise occidentale, mais le contre sens serait de le réduire à cette futilité éphémère.
Un univers de la démesure
D’autres s’arrêtent au contraire sur ces plongées quasi ethnologiques vers les ‘petits métiers’ dans leurs tenues de travail (souvent disparus, vendeurs de concombres, de charbon ou de peaux de chamois) ou vers les peuples du monde (de Cuzco au Dahomey, en passant par la Nouvelle-Guinée et le Maroc). Ou encore à ses études du nu, ses compositions de nature mortes, ou plus fascinant encore de mégots, transformés par la démesure de l’objectif et du tirage en des formes hybrides à la fois menaçantes et déshumanisées.
Dépouillement, composition architecturale, travail uniquement en studio ; ce n’est pas seulement le regard d’un artiste que cette exposition donne à voir, mais sa quête de l’essentiel. Avec un enjeu que les plus jeunes pourtant bien équipés de tablettes pour construire leur propre parcours ne pourront pas comprendre : la puissance des tirages, objet d’une recherche technique constante, avec sa dimension tactile, physique voir chimique (le passage de la gélatine d’argent au platine entraîne une perception plus nuancée aux tonalités plus exacerbées).
« Connecter » photographie et peinture
En artisan méticuleux et inventif (son père était réparateur de montres, son frère Arthur réalisateur) Penn sublime la technique – de l’éclairage et du tirage – pour mettre la photographie dans la continuité des grands maîtres classiques. « L’appareil photo est une machine neuve, confie -t-il dans Photography Within the Humanities d’Eugenia Parry Janis et Wendy (MacNeil, 1977) cité dans le Catalogue, mais la photographie n’est rien d’autre que l’étape actuelle de l’histoire visuelle de l’humanité. Mais ce à quoi j’aspire en tant que photographe est de devenir quelqu’un qui va connecter le travail des photographes avec celui des peintres et des sculpteurs du passé.»
Acuité du regard et attention au détail…
Le passage le plus émouvant de l’exposition au bas de l’escalier du Grand Palais – qu’aucun catalogue ne peut restituer tant le vieil objet résume à la fois un espace et une (absence de) perspective – est constitué par le vieux rideau de scène gris et taché que des décennies durant Penn a utilisé pour isoler du monde extérieur ses sujets photographiques sans distinction inertes ou vivants, pauvres ou célèbres. «En tant que photographe, revendiquait-il, le réalisme du monde réel est quelque chose de pratiquement insupportable pour moi. Il y a trop de douleur accidentelle dedans».
… Un travail d’artisan en atelier
Cette démarche d’atelier – véritable chambre d’enregistrements, d’échanges et de rencontres – lui a permis toutes les audaces : radicaliser les silhouettes, entreprendre les compositions les plus audacieuses toujours vers plus de dépouillement. Et sans cesse de se réinventer et ce faisant, hisser la photographie au rang d’art. « Ses œuvres sont éternelles comme les grands tableaux classiques. constate Jérôme Neutres, un des commissaires auteur du magnifique Catalogue. Il réagit en photographe poète, imposant un style, une signature tout en exécutant des commandes pour la presse. Il démontre que photographie commerciale peut rimer avec art. »
Visite de l’exposition
Jusqu’au 29 janvier 2018 – Grand Palais, Galeries nationales, entrée Clemenceau : 3, Avenue du Général Eisenhower, 75008 Paris
Horaires: du jeu. au lun., de 10 h à 20 h. le mer., de 10 h à 22 h.
Et…
-du 24 mars…
Visite de l’exposition
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Jusqu’au 29 janvier 2018 – Grand Palais, Galeries nationales, entrée Clemenceau : 3, Avenue du Général Eisenhower, 75008 Paris
Horaires: du jeu. au lun., de 10 h à 20 h. le mer., de 10 h à 22 h.
Et…
-du 24 mars au 1er juillet 2018- Foundation C/O de Berlin : Amerika Haus, Hardenbergstraße 22–24-Berlin
-du 21 août au 25 novembre 2018- Instituto Moreira Salles : Av. Paulista, 2424, Bela Vista, São Paulo-Brésil
Catalogue
Irving Penn/Le centenaire, textes des trois commissaires Maria Morris Hambourg, Jeff L. Rosenheim et Jérôme Neutres, éd. de la RMN-Grand Palais avec The Metropolitan Museum (372 pages, 367 illustrations, 59 €).
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