Les modèles Jaguar, L’âge d’or du Grand Prix de Monaco, Gary Cooper, l’homme qui incarna l’Amérique : les beaux livres de Jean-Philippe Domecq

Fidèle à ses lectures sortant des sentiers battus, la sélection de « Beaux-livres » de Jean-Philippe Domecq revendique qu’il n’y a pas que l’art, l’histoire ou la gastronomie pour offrir de la beauté : la mécanique automobile et ses courses ont elles aussi leurs beautés, voire leurs vertiges; l’auteur de Ce que nous dit la vitesse (Pocket, 2013) est resté envoûté par deux lectures savantes autant que superbement illustrées aux éditions Glénat : « Jaguar, tous les modèles de sport de la SS1 à la F-Type » dir. de Paul Walton, et « Le Grand Prix de Monaco – L’âge d’or 1950 – 1965 » par Edward Quinn. Le fou de cinéma recommande aussi « Gary Cooper,  Personne n’est parfait, 17 chapitres sur l’homme qui incarna l’Amérique », de Christophe Leclerc (éditions Capricci), magnifique biographie du héros du Train sifflera trois fois. Des pistes pour déclencher toutes les curiosités.

Le génie d’ingénieur

Il faut entendre le mot de « génie » qu’il y a dans « ingénieur ». Tant de mécanismes simples, comme tire-bouchon ou coupe-ongle, nous le mettent sous les yeux sans qu’on s’avise de la trouvaille qu’il y a là-dedans ; combien plus fascinante encore la complexe mécanique d’une voiture ; alors, combien passionnante à suivre la genèse et l’évolution de celles qui restent dans les mémoires comme autant de chefs d’œuvres comme en art.
La marque britannique Jaguar, typiquement britannique et marque vraiment, ne laisse pas d’arrêter notre mémoire par sa gloire esthétique autant que mécanique. Leonard de Vinci ne désavouerait pas, qui laissa tant de croquis et inventions mécaniques mêlés à ses dessins picturaux.

La saga Jaguar

Un nouvel ouvrage, de Colin Salter, et non des moindres parmi tous ceux qu’a suscités la légendaire marque Jaguar, nous y replonge en racontant et montrant les plus belles œuvres comme autant de chapitres de l’aventure du chevalier-artisan d’industrie que fut Sir William Lyons (1901 – 1985). Dès ses 21 ans, celui-ci fonde la Swallow Sidecar Company, qui deviendra « Jaguar » en 1945 vu la sinistre connotation qu’avaient prises les initiales « SS » qui désignaient ses modèles jusqu’alors.

Jaguar, Une sportive à l’anglaise, tous les modèles de sport de la SS1 à la F-Type, page intérieure Glénat

Mais n’oublions pas que du mot « sidecar » à celui de « Jaguar », l’artisan est parti d’un garage d’associé qui fabriquait des sidecars pour motos : le fuselage est dans l’ADN initial de la marque au félin bondissant. Plus tard il s’inspirera aussi des fuselages d’avions, lorsque les Jaguar inscriront leur nom, durablement, au palmarès des 24 Heures du Mans, de 1951 à 1956.

« La plus belle voiture du monde », admet Enzo Ferrari

De là naîtra en 1961, en inspiration directe si vous comparez les photos entre les bolides et le nouveau modèle, la fameuse Jaguar « E », voiture de « tourisme » grand sport qui a l’audace d’avoir la même basse ligne de caisse que la « D » victorieuse, même proportion entre longueur de capot et le reste, même profilage des ailes jusqu’à l’arrière enveloppant… Plus belle encore d’avoir un toit incurvé, des chromes sertis autour des phares sous verre comme des ouïes, des portières étroites qui rappelaient l’audace des premiers modèles à portières échancrées à hauteur des coudes des spartiates sportifs qu’aiment être les drivers anglais… Lorsque la Jaguar « E » fut présentée à la presse au Salon de Genève en 1961, Enzo Ferrari, dont les bolides rouges avaient été battus au Mans par les félins à couleur vert anglais, eut un soupir de maître connaisseur : « c’est la plus belle voiture de tous les temps »…

Comme pour les chefs d’œuvre d’arrondi et de galbe profilé qu’avaient été dans les années 50 les Jaguar modèles XK 140 et 150, la demande fut foudroyante, Clark Gable en voulut trois tout de suite ; dès la première semaine l’usine de Coventry dut multiplier par vingt ses anticipations de ventes. On a beau connaître la Jaguar « E » née il y a plus de soixante ans, les photos de ce beau livre d’art mécanique nous laissent souffle coupé devant cette forme qui reste fascinante  de simplicité, de fluidité née de la pénétration dans l’air. La pénétration dans l’air, c’est ce que les ingénieurs appellent le « CX » : eh bien c’est le cas de faire la multiplication du coefficient aérodynamique par « l’éternel dans le transitoire » en quoi Baudelaire définit la beauté moderne.

L’époque des champions à tous risques

Le photographe anglais Edward Quinn s’est, tout jeune et ensuite, posté aux endroits décisifs du complexe circuit urbain de Monaco, le plus célèbre des Grands Prix de Formule 1 en raison de ses virages entre les fastes de la Principauté. Ses toutes premières photos furent brouillées par l’accident qui, sous ses yeux à l’époque où il n’y avait pas de rail de sécurité comme aujourd’hui, fit s’enchevêtrer huit bolides à la sortie d’un des virages vers les tribunes, heureusement sans incendie (comme cela arrivera plus tard au malheureux Lorenzo Bandini qui périra dans les flammes de sa Ferrari en 1966…) parce que le carburant était un alcool, moins inflammable que l’essence.

Le plus spectaculaire de l’accident, c’est que l’homme de tête, Juan Manuel Fangio qui à 46 ans remporte sa première victoire cette année 1950 où fut institué le Championnat du monde de Formule 1, n’avait pu voir l’accident et déboulait donc ensuite le premier sans visibilité sur ce qui se passait de l’autre côté de l’épingle à cheveu.
Pourquoi ralentit-il dès l’entrée du virage suffisamment pour se faufiler ensuite entre les voitures enchevêtrées de ses camarades ? Il l’a dit après la course : « Parce que j’ai vu que le public ne me regardait plus alors que j’étais en tête »…

Prince et princesse, stars et rallye de Monte-Carlo

Ce livre aux légendes et narrations très circonstanciées n’en apprend pas seulement aux amateurs comme aux connaisseurs. Il fait aussi revivre l’époque où Grace Kelly fit la rencontre, deux semaines avant le Grand Prix de 1955, avec son futur époux le Prince Rainier, amateur de belles Lancia notamment. Cette même année, les pilotes firent les yeux doux à Bella Darvi, actrice dans Le Cercle infernal, de Henry Hattaway, rare film à s’être essayé à la compétition automobile (nous attendons pour début 2024 le, paraît-il, formidable film sur Ferrari autour de la dramatique année 1957 qu’a réalisé Michael Mann…). On voit le séduisant Stirling Moss jucher la belle Bella dans sa « flèche d’argent » Mercedes W196 n°6. Le sympathique et populaire pilote français Jean Behra fait de même en la plaçant dans le cockpit de sa Maserati 250F – au détail près que trahit la photographie : sur le flanc du bolide à gros groin avant comme étaient alors les voitures de course avant la révolution technique du moteur central arrière, l’écurie a fait une faute d’orthographe et a bravement peint « Bhera »…

L’une des qualités de cet ouvrage réside aussi dans les photos de pilotes entre eux car c’est un document d’histoire morale : ils ont tous quelque chose du fair play et de l’émulation chaleureuse, loin du lissé de com’ et de la froide concurrence du chacun contre tous d’aujourd’hui. Et, à propos d’époque toujours, le livre s’arrête en 1965 avant que les monoplaces changent radicalement d’allure avec leurs couleurs de publicité et leurs multiples appendices et ailerons aérodynamiques.

Grand Prix de Monaco, L’âge d’or, 1950 – 1965 page intérieure Glénat 2023

Mais aussi, c’était l’époque où le Rallye de Monte-Carlo démarrait des quatre coins d’Europe pour converger vers la Principauté et les épreuves classificatrices. L’originelle dimension voyage du rallye, par conséquent. Les photos en témoignent où l’on voit des voitures de route, une Jaguar évidemment pour ne pas citer la berline MK VII victorieuse de l’édition 1956, mais aussi d’imposantes Hotchkiss dignes de votre grand-père, et de moins imposantes mais glorieuses 4CV, et même 2CV, arrivée 323ème   en 1954… !

Gary Cooper se consolait avec belles bagnoles et belles femmes

Et puis juste après vos lectures de Noël, paraîtra la biographie d’un grand acteur de cette même époque, Gary Cooper, qui prisait aussi les belles voitures, entre autres. Cette biographie que narre Christophe Leclerc a le ton qu’il faut pour cet homme charmant, séducteur, à qui tout réussit, mais qui, dès que s’éteignent les lumières des plateaux, est le premier à douter, de tout. Pas seulement de lui-même, mais aussi de son talent, qui lui a pourtant donné d’interpréter des rôles fort divers, comédie ou mélodrame, western ou film d’aventure ; de sa carrière, même après son dernier grand oscar pour Le train sifflera trois fois, qui nous vaut, en plein midi de place publique, une vertigineuse vue en plongée sur la solitude qui nous reste face à l’adversité ; de son mariage, compensé il est vrai par une carrière de séduction tous azimuts ; jusque de sa religion il finit par douter.
Comme le résume le sous-titre malicieux qu’a choisi l’auteur de cette biographie cinéphilique autant qu’américaine et glorieuse :

« Gary Cooper – Personne n’est parfait »…
Ce que confirmait son ami Ernest Hemingway : « Gary est un homme juste trop bien pour être vrai ».

Jean-Philippe Domecq

A lire :

  • Jaguar, Une sportive à l’anglaise, tous les modèles de sport de la SS1 à la F-Type, par Colin Salter, sous la direction de Paul Walton, éditions Glénat, Couleurs, 160 pages, 29,99€.
  • Grand Prix de Monaco, L’âge d’or, 1950 – 1965, par Edward Quinn, éditions Glénat, Couleurs et Noir et blanc, 240 pages, 49,95€.
  • Christophe Leclerc, Gary Cooper, « Personne n’est parfait, 17 chapitres sur l’homme qui incarna l’Amérique », éditions Capricci, 120 pages, 11,50€, à paraître le 19 janvier 2024