La Foire de Madrid, d'après Lope de Vega (Théâtre de l'Epée de Bois)
Théâtre de l’Epée de bois, Cartoucherie, Route du Champ de Manœuvre, 75012 Paris – Réservations
Les jeux de l’amour et de l’Alcazar selon le père de la comédie farce du Siècle d’Or, Lope de Vega. Ronan Rivière adapte et met en scène cette Foire de Madrid, inédite en France au Théâtre de l’Epée de bois, jusqu’au 25 septembre 2022. Il s’appuie sur une troupe, jeune et engagée, le Collectif Voix des plumes pour libérer les sucs de cette commedia dell arte dont Molière et Racine surent eux aussi capter tous les éclats de vérité.
Le jeu de l’amour et du hasard
L’intrigue classique permet de nuit comme de joiur de toutes les combinaisons de l’amour et du hasard. A Madrid, une poignée de jeunes gens bousculent leur ennui en jetant des défis et des coups d’œil affamés sur la gent féminine des alentours. Des regards se croisent, des touches s’enchaînent en dialogues, les mots aux étreintes. Joies et drames se succèdent au fil de cette chronique de sentiments et d’honneur. Pour le meilleur et parfois le pire.
Si La Foire de Madrid écrite en 1587 ou 1588 une œuvre dite « de jeunesse », de Lope de Vega (1562-1635) n’a jamais été jouée en France, elle est la quintessence de l’auteur le plus fécond de la littérature espagnole, facilité poétique inoui qui a étonné ses contemporains, 1800 comédies,, 400 autos sacramentales.
Une bigarrure de sentiments
Ce charme du mélange, ce goût du composite et du changement crée un genre qui aura une vaste postérité où Lope affirme qu’il faut représenter « tout ce qui va de la Genèse au Jugement Dernier » et de donner dans une même pièce « la tragique au comique mêlé ». Cette bigarrure de sentiments, de situations et d’atmosphère, où le psychologique et l’action priment sur l’édification.
Pourtant rappelle Ronan Rivière « elle a inspiré très clairement L’Ecole des Femmes de Molière, dont certaines scènes sont quasiment transposées. Il est d’ailleurs amusant de voir que Molière puis Marivaux ont largement puisé dans les pièces de Lope de Vega, ce qui a rendu le public français familier à son style et nous en fait comprendre facilement les codes et les ressorts comiques. » Son adaptation réussit comme il le revendique à être » sonnante » tant pas la qualité de la traduction que la légèreté de la langue. Il prend la liberté de passer des redondillas et tercetos en vers libres, qui favorise bien » les respirations, le placement des attaques et des finales, en essayant ainsi d’y conserver une notion d’accents toniques et de rythmes’.
Enflammer les esprits et les corps
Ce parti pris garde l’esprit tout en en respectant le dessein psychologique ciselé, aux sources du théâtre populaire, à l’origine de la comédie delle arte classique. Nous sommes dans des ressorts de comédie bien connus : « Le jour on courtise et on parade sous les pleins feux, la nuit c’est le royaume des intrigues et des ombres où l’on se dissimule, c’est l’attente inquiète d’une fenêtre qui s’ouvre ou d’une embuscade ». Ronan Rivière jongle avec des touches de dépaysement et de modernité notamment la musique de Manuel de Falla, très cadencée sous les doigts d’Olivier Mazal, pianiste de la troupe pour des respirations salutaires .
Dans la magnifique salle en pierre du théâtre de l’Epée de bois, le décor stylisé d’Antoine Millian participe brillement au dépaysement, aux jeux du théâtre, dans « un Madrid fantasmé du temps de Velasquez, des capes et des éventails, des rapières et des guitares avec le regard d’une troupe d’aujourd’hui » assume Ronan Rivière. La troupe du Collectif Voix des plumes dont la jeunesse des acteurs fait mouche dans l’imbroglio des sentiments, nous entraine dans un tourbillon d’émotions qu’elle nous fait vivre et partager, des joies des rapports galants jusqu’au drame.
Un véritable bijou patrimonial
De velours, d’ors et de sang, toute la troupe fait revivre non seulement un véritable bijou patrimonial, mais le creuset d’un modèle de théâtralisation. Grâce à cette adaptation cherchant à renouer avec la vérité des sentiments, Lope semble faire vivre sous nos yeux par la grâce d’hommes et femmes inspirés la dynamique – drôle parfois cruelle – de la comedia dell arte, véritable précipité de vie quels que soient les époques, et les scènes.
#Olivier Olgan