La Nouvelle Physique, comprendre les lois ultimes du cosmos, de Yann Mambrini (Albin Michel)
Ce qui nous traverse, ce qui nous dépasse…
De quoi sommes-nous constitués ? Regardez votre main ; regardez autour, choses et gens ; levez la tête et voyez le ciel : c’est la matière, la physique. Pascal, qui s’y connaissait en physique et mathématiques mieux que quiconque en son temps, englobait cette totalité entre les pointes de compas de ses « deux infinis » : l’infini à notre portée, et l’infini divin. Si ce n’était que cela…
Si ce n’était qu’infini…!
Si encore il n’y avait qu’un infini, ou deux !… mais non. L’infini est la façon qu’ont les humains de désigner ce qu’ils savent les dépasser et par quoi ils ne se résoudront jamais à être dépassés – c’est leur petit honneur dans ce vaste infini qu’est l’univers.
L’homme n’a pas de plus grand désir, de plus grande libido, que de vouloir comprendre, comprendre même ce qui est le plus éloigné de lui : le cosmos.
En plus, non seulement celui-ci le dépasse, mais il s’étend, sans cesse dans une expansion infinie. Mais alors, dans quoi s’étend l’Univers ? Question naïve, la vérité est plus paradoxale que cela, comme nous l’explique notre (très) pédagogue physicien, Yann Mambrini : « Lorsqu’on travaille dans un espace en expansion, que ce soit lors des premiers instants de l’Univers pour le Big Bang ou dans un cosmos en expansion accélérée, l’espace est une substance élastique, mouvante, diluable à l’infini. » (…) Immanquablement « une voix s’élève pour me demander « Dans quoi, monsieur ? »(…) « Pour vous aider, imaginez une feuille infinie de matière caoutchouteuse.
La particularité de l’infini, c’est que, si j’ajoute de l’infini à l’infini, j’obtiens toujours de l’infini. Deux fois l’infini ne sera rien d’autre que… l’infini. Si j’étire ma surface infinie de caoutchouc, (…) elle ne sera pas étendue « dans quelque chose », elle se sera étendue dans elle-même ! »
Et pourquoi n’y aurait-il qu’un seul Univers ?…
Les « multivers » ont été popularisés par la science-fiction et la culture cinématographique, mais ils ne sont pas si fumeux ni utopiques qu’on pourrait le croire. Il faut bien se rendre compte que la physique et l’astrophysique ne nous parlent que de l’Univers observable.
Observable, c’est-à-dire que, « la lumière ayant une vitesse de propagation finie (300 000 kilomètres-seconde), nous ne « voyons » que l’espace parcouru par la lumière durant 13,8 milliards d’années, date de la libération de la première lumière du fond diffus cosmique.
Il nous est donc impossible de véritablement savoir comment est l’Univers au-delà de cette frontière cosmique ».
A ces mots de « frontière cosmique », nous faisons mieux que rêver, nous rêvons au-delà du rêve car nous pouvons envisager que ce que nous appelons « l’Univers » n’est qu’en deçà de l’horizon cosmologique, et donc, au-delà, il y aurait… il y a quoi ? Y a-t-il, même, quoi que ce soit ?
Les « limites » de l’Univers = les limites de notre esprit ?

Kupka, Le premier pas, c.1910-1913. exposition Vincent Van Gogh et les étoiles (Fondation Van Gogh) Photo OOlgan
Poursuivons sur cette voie plus que Lactée, vers ce que les enfants, beaucoup plus métaphysiciens que les adultes, appellent avec émerveillement « l’au-delà d’au-delà ! ». Dans le scénario où la constante cosmologique serait véritablement constante, l’expansion accélérée de l’Univers ne nous laisserait plus que les galaxies voisines, la Voie lactée et Andromède, liées encore par la gravité.
Les autres constellations non seulement continueraient de s’éloigner, mais s’éloigneraient de plus en plus vite, « jusqu’à ce que la vitesse d’expansion du dernier objet visible dépasse la vitesse de la lumière et se retrouve de l’autre côté de l’horizon cosmologique », tant et si bien que la vitesse de la lumière elle-même serait dépassée ; elle ne nous parviendrait tout simplement plus, aucun télescope ni instrument ni calcul ne nous permettrait d’observer ces confins et l’Univers, ce serait la solitude humaine dans le cosmos.
Par solitude dans le cosmos
N’entendons pas que nous espérions d’autres êtres avec qui communiquer ; non, nous n’avons pas besoin de cette hypothèse pour penser que le pascalien « silence de ces espaces infinis » nous concerne au plus haut point humain : preuve en est que nous l’explorons depuis l’aube des temps, depuis qu’homme est homme.
On peut penser que le cosmos est vaste exactement comme le potentiel de l’esprit humain. Auquel cas nous sommes faits pour ce et le vertige. C’est une hypothèse que j’émets, parce qu’elle ne me paraît pas personnelle.
Lorsque vous lisez La Nouvelle Physique et sur l’histoire des regards scientifiques vers le ciel, vous constatez que le cerveau va constamment de modélisations mathématiques en confirmations expérimentales, et d’observations surprenantes en théorisations qui les expliquent et changent ce qu’on pensait de l’ensemble autour et auparavant. Cela en fonction des ressorts et limites de ce que l’on pouvait penser à chaque époque, autant d’étapes. Nous tendons donc bien notre esprit vers l’infini de l’Univers apparent et non-apparent ; quand nous buttons ou trouvons, c’est notre esprit que nous découvrons. Yann Mambrini, notre initiateur chercheur, le résume ainsi en fin d’étapes de son livre :
« Ce domaine est donc à la frontière même de ce que définit une théorie scientifique. »
Une des découvertes de Sakharov
Le président soviétique Mikhaïl Gorbatchev prit la peine de discuter inopinément, en pleine séance de Parlement, la position d’Andréï Sakharov, le plus célèbre dissident, Prix Nobel de la paix et surtout physicien de réputation mondiale. Dans son immense culture, il n’y a pas de danger qu’une telle initiative arrive à l’actuel président de la Russie pourtant sortie du communisme. Avant la liberté de parole ouverte par la « Glasnost » de Gorbatchev, Andréï Sakharov a vécu en exil, enfermé avec sa femme et filmé en continu dans un appartement de Gorki, à 400 kilomètres de Moscou.
Ce qui ne l’empêche pas de penser au monde extérieur, et intérieur, puisqu’il médite toujours sur le problème qui l’a fait connaître du monde entier, mais qui le tracasse : Pourquoi sommes-nous faits de matière, et non d’anti-matière ?…
Convenez qu’il y a de quoi se vérifier les mains
Toujours est-il qu’il faudrait, pour qu’il y ait matière dans nos mains comme dans l’au-delà du visible, résoudre le problème de la rupture de symétrie dans la structure de la matière. Sakharov rédige trois conditions d’hypothèse. Mentionnons au moins la première, qui vous donne déjà idée… : que la création produise plus de matière que d’anti-matière. Et, puisque la symétrie paraît être le fondamental pli de miroir (si vous me permettez cette image pour expliquer) que les scientifiques trouvent au fin fond du fond de notre matière et de l’Univers, le savant russe propose une nouvelle symétrie dite CPT, « c’est-à-dire que l’image dans le miroir (P) d’une expérience mettant en jeu des anti-particules (C) en remontant le temps (T) serait identique à celle-ci. »
Ce qui signifie, et je laisse la parole au scientifique qu’est Yann Mambrini pour qu’on ne lise pas ce qui suit comme une inflammation poétique : « Il imagine donc une seconde flèche du temps, à rebours. En la suivant, il serait possible de remonter le fil de l’histoire jusqu’à la singularité du Big Bang. Une fois celle-ci passée, en continuant la route vers les temps négatifs de l’Univers, Sakharov imagine se retrouver dans un autre monde, mais cette fois-ci constitué uniquement d’anti-matière, et donc d’anti-galaxies et d’anti-nous.
Le Big Bang serait dans ce cas un portail entre notre monde et un anti-monde. »
Tout ça…
« Anti-monde » pour qu’il y ait « loi de symétrie » partout dans ce monde… ; « anti-matière » qui est parfaitement démontrée ; « Big Bang » originel qui ressemble quand même au bon vieux « Au commencement était », comme si ce n’était pas là une projection du besoin humain qu’il y ait un début ; et même « anti-nous », tant qu’on y est, disent les savants aujourd’hui.
Ceux de demain et d’après après-demain diront autre chose et peut-être même les contrediront… grâce aux découvertes de ceux d’aujourd’hui et d’hier.
- Yann Mambrini, La nouvelle physique – comprendre les lois ultimes du cosmos, éditions Albin Michel, 369 pages, 22,90 €.