La vie des arts, de Jean-Marie Schaeffer (Thierry Marchaise)

Auteur d’une impressionnante bibliographie qui fait référence sur l’esthétique,  Jean-Marie Schaeffer en publiant La vie des arts (Thierry Marchaise) cherche à éclairer tous ceux qui ont vécus de près ou de loin cette expérience unique où s’engage, à travers les œuvres d’art, de relations inouïes au monde et à nous-mêmes. La promesse tenue de ce « mode d’emploi » est « d’éveiller ou de renforcer la curiosité pour les arts saisis ‘sur le vif’, c’est-à-dire dans la pluralité de leurs formes, de leurs contextes sociaux et historiques, de leurs fonctions aussi. » A la manière de Socrate, il répond aux questions qu’engage cette rencontre, pas toujours tranquille, que chacun peine parfois comme Olivier Olgan à affronter seul et de face.

Renforcer le goût pour le compagnonnage avec les arts et les œuvres

D’une plume alerte aussi synthétique que pédagogique, Jean-Marie Schaeffer nous emmène des grottes paléontologiques aux NFT, à la rencontre des arts, à travers le prisme de leurs relations avec le regardeur. Plus nous regardons, plus nous sommes regardés, chacun a vécu ces rencontres qui se montrent et se retirent « dans le même mouvement, en retenant sa signification dans le silence de son apparition » (Laurent Jenny, Le Folie du regard, L’atelier contemporain).  Patiemment, l’auteur reprend ses propres « expériences esthétiques » pour creuser tous les aspects de cette réciprocité, pas toujours tranquille, pas toujours facile, que chacun peine souvent à affronter seul et de face.

Percer à jour les arts à la manière de Socrate

Le spécialiste d’esthétique philosophique et de théorie des arts nous guide en répondant à des questions essentielles : de Qu’est-ce que l’art ? à Qu’y a-t-il de contemporain dans l’« art contemporain » ? De L’intelligence artificielle peut-elle créer des œuvres d’art ? à Les arts sont-ils genrés ? Existe-t-il une créativité spécifiquement masculine et une créativité spécifiquement féminine ? Y a-t-il une culture (artistique) européenne ?  ou L’art a-t-il un prix ?

Les questions que j’aborde, de même que la manière de les traiter, sont donc indissociables de notre manière actuelle de vivre (dans) les mondes de l’art. Et bien entendu aussi, chacun y vit à sa manière; je ne prétends donc nullement livrer le fin mot sur les questions que j’aborde, pas même le fin mot actuel .

Le philosophe cerne et partage ce que les arts « peuvent » et nous « font », avec une érudition bienveillante et ouverte pour les relier à leur écosystème historique – voire cognitif – qui leur permet de prospérer, hier et aujourd’hui « en les saisissant non pas dans l’abstrait, mais envisagées du point de vue de la dynamique de « la vie des arts » ».

On ne saurait faire l’expérience de l’art en se soustrayant à la vie, mais uniquement à travers l’expérience de l’accord entre notre propre respiration et la grande respiration de la vie dont l’œuvre est un fragment.

Aucune connaissance technique nécessaire dans le domaine des arts, ni dans celui de la philosophie esthétique

Les « entrées » de ce « mode d’emploi’ du choc esthétique permettent une facilité de lecture autorisant chacun de pénétrer dans cette « forêt de symboles » par le sujet qui l’intéresse. Elles se répartissent en quatre thématiques selon une disposition raisonnée. Chacune de ces chemins ouvre sur un monde qui se montre dans toute diversité et appelle à aller plus loin, dans la réflexion – avec même une bibliographie à chaque chapitre –  et l’introspection en laissant infuser les réflexions qui se multiplient à chaque page.

Une première section dédiée à l’expérience esthétique des œuvres et à leur évaluation critique.
La second se concentre aux «  arts comme activités créatrices d’œuvres » ouvrant le spectre largement à la relation entre connaissance artistique et connaissance scientifique, la nature de l’art contemporain et celle, d’une actualité brûlante, des bouleversements introduits (ou pas) par l’intelligence artificielle dans la vie des art.
La « dimension sociale des arts » lui permet d’aborder la relation des arts avec la politique, entre autres, « la question du rôle des arts dans le dialogue entre cultures, et une autre question également d’une actualité brûlante, certes non pour l’humanité entière, mais pour nous autres Européens, à savoir celle du rôle des arts dans l’identité ou plutôt dans les identités européennes, qui se sont construites et déconstruites au fil des siècles, ainsi que celle de leur place dans le projet actuel d’unification politique de l’espace européen »
Enfin, la dernière section est consacrée à la dimension économique de la vie des arts ; des conditions de l’organisation de la production à sa diffusion.

Les œuvres d’art nous réconcilient avec la vie et nos propres abîmes, parce qu’elles nous permettent de prendre de la distance et ainsi de nous dégager de la glu existentielle qui nous menace constamment.

Une esquisse d’une philosophie esthétique actuelle des arts

Au fil de la lecture synthétique, se dessine une stimulante « philosophie esthétique actuelle des arts, davantage soucieuse de la compréhension des pratiques effectives que d’une définition générale ».

Nous atteignons le monde représenté non pas en traversant l’image comme une fenêtre, mais dans l’expérience même de notre regard qui s’enfonce dans l’image. (…)
Elle est relationnelle : elle résulte de la rencontre des propriétés de l’œuvre avec les aptitudes d’attention de celui qui en fait l’expérience et avec ses préférences individuelles

A la fois guide et amorce de rencontres

Ce ‘mode d’emploi » permet à tout amateur au-delà de se « faire une idée des enjeux » de questionner sa propre expérience esthétique. Démarche stimulante où seules attention et parole peuvent joindre leurs efforts pour construire un « connais toi-même » en se frottant en toute connaissance de cause à la vie des arts, dont Singular’s ne cesse de rendre compte.

#Olivier Olgan