Le 26e Paris Photo, à travers 9 solo show : Sandra Kantanen, François Halard, Hassan Hajjaj, Alberto Garcia-Alix, Matei Bejenaru, Tom Wilkins, Kevin Abosch, Louisa Clément, Elman Mansimov.

[Photographie d’aujourd’hui] Dans un monde saturé d’images, l’accélération de la dématérialisation semblait inéluctables avec le soi-disant futur des NFTs, force est de constater malgré la création d’une section Art Digital qu’à de rares exceptions près (expérimentales comme David Horvitz qui parie sur sa disparition), la 26e édition de Paris Photo et ses 191 galeries et éditeurs – célèbrent plus que jamais la matérialisation – et la féminisation via Elles x Paris Photo – du médium photographique Notre sélection subjective de 9 solos shows sur la trentaine exposées : Sandra Kantanen (Purdy Hicks), François Halard (Ruttkowski ;68), Hassan Hajjaj (193 Gallery), Alberto Garcia-Alix (Albarran Bourdais), Matei Bejenaru (Anca Poterasu), Tom Wilkins ( Christian Berst Art Brut), Louisa Clément, (Kunst & Denker), Elman Mansimov (FellowShip), Kevin Abosch (Nagel Draxler).

Le dialogue fructueux entre images ‘objets’ et images ‘flux’

Les outils digitaux sont en pleine accélération. Il s’est développé au cours des dernières décennies sur la base du progrès techniques. Depuis quelques temps déjà l’art et les artistes se confrontent aux questions liès au contenu et aux médiums. 
Nina Roerhs, commissaire de la section digital de Paris Photo

Si Paris Photo ne pouvait passer à coté d’une évolution que certains annonçaient comme une nouvelle ère, le sentiment à parcourir les allées d’une 26e édition plus dense que jamais, est que les artistes ont « dépassé » l’art digital pour un dialogue personnel et fécond avec les avancées techniques à leur disposition, pour mieux faire œuvre. Confrontée plus que jamais au digital, au quotidien, l’image numérique ouvre le champ de nouvelles pratiques, de nouveaux formats visuels, dans la mesure où tout est engagé pour limiter l’invisibilisation des femmes à travers « Elles x Paris Photo ». Et pour le visiteur et les collectionneurs, les perspectives d’enchantement sont littéralement stupéfiantes.

Sandra Kantanen, Pond (relfection), 2023 chez Purdy Hicks, Paris Photo 2023 Photo OOlgan


Sandra Kantanen chez Purdy Hicks Gallery, Paris Photo 2023 Photo OOlgan

Sandra Kantanen, chez Purdy Hicks

« J’ai essayé de comprendre la photographie, la peinture en disséquant la lumière ».
Fascinante démonstration d’un monde en pleine de distorsion – entre chaos de couleurs et naturalisme exacerbés – de Sandra Kantanen (née en 1974 à Helsinki) et des manipulations sophistiquées, notamment la « peinture numérique » et les pixels étirés, qui amènent le spectateur à remettre en question sa compréhension de l’image « photographique ».

Formée à la photo (Université Aalto, Helsinki) et à la peinture (Central Academy of Art, Pékin), Kantanen dépeint un monde naturel en pleine métamorphose. Parfois, l’image est nue et intacte, parfois elle est saturée de perturbations numériques où la lumière et les couleurs à la limite de la visibilité et de l’abstraction. La photographe paysagiste tutoie les frontières de l’irréel en jonglant entre techniques traditionnelles . « J’ai commencé à combiner la photographie et la peinture pour voir ce que la photographie n’est pas. Le paysage a fini par être la toile de fond pour aborder ces questions. » Et bouleverser nos perceptions.

François Halard, Traces chez Ruttkowski;68, Paris Photo 2023 Photo OOlgan

François Halard, Traces du Divin, Ruttkowski ;68 

« François Halard bouscule les formats et les genres : une série de Polaroïds originaux côtoie de nouvelles impressions agrandies et modifiées par une intervention picturale et nous invite à un pèlerinage à travers ses images emblématiques – un aperçu de ce qui l’a le plus inspiré au cours des dernières décennies. Les artefacts culturels propres à l’esthétique ancienne romaine, grecque et égyptienne en sont les sources que l’œil du photographe et la main de l’artiste ont ensuite transformés. Les objets deviennent les fragments d’une narration que Halard amplifie en ajoutant par des gestes intuitifs des coulées successives de couches de cire. Les Polaroids originaux insufflent la vie à un passé lointain comme préservé dans la cire, révélant ce que la photographie seule ne permet pas toujours. Voyager sur les traces du divin, c’est être spectateur des interférences intimes entre l’artiste et l’œuvre d’art, entre passé, futur et l’entre-deux capturé par l’artiste » Paris Photo.

Hassan Hajjaj chez 193 Gallery, Paris Photo 2023 Photo OOlgan

Hassan Hajjaj, 193 Gallery

Couleurs flashy, imprimés kitsch et mises en scènes ludiques… son univers personnel est immanquable et attire l’œil comme un bazar oriental. Remix d’influences orientales et occidentales, son art intègre les clichés pour mieux les faire détourner en clins d’œil bienveillants Ses boîtes de conserve qui leur servent à encadrer – tout en personnalisant – ses modèles lui valent le surnom de « roi du pop art à la marocaine ». « Les textiles et la musique sont au cœur du travail de Hassan Hajjaj – ils fournissent le langage et le paysage dans lesquels il joue et dans lesquels apparaissent les nombreux personnages qu’il crée. Hassan est l’artiste, le tailleur, le chef d’orchestre, le tisserand, le photographe, le brodeur, le manager, le roadie et le designer qui utilise le tissu dans une variété d’installations humoristiques. » (Christopher Spring, commissaire au British Museum.

Alberto Garcia-Alix chez Albarran Bourdais, Paris Photo 2023 Photo OOlgan

Alberto Garcia-Alix, Albarran Bourdais

Avec un style brut et élégant, Alberto García-Alix a construit sa carrière autour de ses expériences de vie. Et à documenter la réalité sociale acteur de l’Espagne post-franquiste, des années 80 à nos jours. Il y a toujours quelque chose de frontal dans ce témoin né en 1956. Parfois une réalité féroce à laquelle personne ne peut être indifférent. Nourrissant sa créativité d’excès et d’angoisses, ses photographies sont un voyage dans le temps. Passionné de peintures classique, L’artiste pratique les juxtapositions entre ses œuvres historiques et iconiques et ses photographies les plus récentes et suggestives, réalisées au Museo del Prado. Il mêle ainsi sa propre histoire à celle du passé.

« Regarder, ça s’apprend. Photographie est un exercice au présent. Mais la photographie n’immortalise pas le présent en tant que tel. C’est une transmission du passé… Elle capture une mémoire, et la met en lumière. L’émotion mélancolique de l’irrécusable se révèle alors et la fait revenir au présent. Ces images détiennent ce pouvoir : transmettre le passé, exister au présent et continuer à vibrer. Toujours en vie… Une émotion intemporelle. » Alberto Garcia Alix

Matei Bejenaru, Models chez Anca Poterasu Gallery, Paris Photo 2023 Photo OOlgan (8)

Matei Bejenaru, Anca Poterasu

« Models » est une série de photographies dans laquelle l’artiste Matei Bejenaru représente des modèles de plantes, fabriqués à la main à partir de papier, de carton et de plastique, acquis dans les années 1980 en Allemagne par l’université « Alexandru Ioan Cuza » de Iasi. Ces photographies explorent la relation entre l’image scientifique, l’art et la fiction spéculative qui peut apparaître à travers l’objectif de l’appareil photo, en reliant le fil analytique de la technique photographique et de la connaissance rationnelle à celui de l’imagination et du monde mystérieux. Le spectateur est confronté à une représentation d’une représentation à travers des imitations du monde naturel, dans lesquelles l’expressivité des formes et des structures du monde végétal est représentée. Celles-ci prennent une dimension démesurée, bien au-delà de la taille humaine, et deviennent des paysages ou des fantômes de notre imagination. » Paris Photo

Tom Wilkins, My Tv girls, chez Christain Berts Art Brut, Paris Photo 2023 Photo OOlgan


Tom Wilkins, My Tv girls, chez Christain Berts Art Brut, Paris Photo 2023 Photo OOlgan

Tom Wilkins, My TV Girls, Christian Berst Art Brut

Fascinante ! Cette obsessive série de captations d’images télévisées réalisée entre 1978 et 1982 à Boston mettant invariablement en scène des femmes. Ou presque, car elle se termine par le seul et unique autoportrait de la série où Tom Wilkins se représente en femme.

« Que sait-on Tom Wilkins ? Presque rien sinon qu’il aurait vécu de 1951 à 2007 à la découverte de ses archives dans une maison de Boston aux États-Unis. C’est la question que l’enquête presque policière de Sébastien Girard essaie de répondre depuis 2011, date à laquelle il fait l’acquisition de 900 polaroïds énigmatiques, édités en 2017 sous le nom My TV Girls.

Alors comment interpréter un tel corpus d’images prises au vol ? Au-delà du fait qu’elles illustrent avec une certaine crudité la manière dont le petit écran – et la société américaine tout entière – façonnait alors l’image de la femme désirable. À travers cette collection méthodique de sujets féminins qu’il élève au rang d’icônes, Wilkins nous pose des questions bien plus fondamentales, allant de la quête d’identité à la sublimation de la libido. Avec l’autoportrait qui vient clore cette série, Tom Wilkins devient lui-même le sujet de ses recherches. Il y pose en femme, pris dans un miroir, le visage dissimulé par l’appareil et vêtu d’un soutien-gorge. Il n’en reste pas moins que ce travestissement – pour dérisoire qu’il puisse paraître – révèle le profond besoin d’un homme d’échapper à l’assignation de genre en se servant, paradoxalement, des stéréotypes véhiculés par la société de son époque pour caractériser son genre de prédilection. » Paris Photo

Louisa Clément chez Kumst & Denker Contempory, Paris Photo 2023 Photo OOlgan


Louisa Clément chez Kumst & Denker Contempory, Paris Photo 2023 Photo OOlgan

Louisa Clément, Kunst & Denker Contemporary

Quo vadis ? – Où cela mènera-t-il ? La question identitaire a toujours préoccupé les artistes. Le thème central de Louisa Clement) (*1987, Bonn) est aussi l’humain et l’humain dans le numérique. Dans son art, elle commence elle aussi par elle-même dans son art, mais va encore plus loin. Elle pose la question de savoir comment l’identité va se développer dans le futur et examine les formes de transformation.

Quelles opportunités et quels dangers découlent de la symbiose entre l’humain et l’intelligence artificielle ? Quelle valeur a un individu si les connaissances et les pensées peuvent être transférées vers des systèmes artificiels et si le corps peut être reproduit ? Louisa Clement ose se tester avec sa série d’œuvres Representatives (2021/22) et a fait fabriquer des poupées artificiellement intelligentes d’elle-même à l’aide de moulages, qui sont « nourris » des faits et des pensées biographiques de l’artiste et se développent même à travers des expériences et des conversations avec d’autres. La transformation de son propre corps va de pair avec les différentes possibilités d’évolution de son être, une multiplication de soi fascinante et inquiétante. Clément poursuit la série de travaux des représentants avec des photographies en gros plan du corps, dont l’apparence impeccable rappelle les photos des réseaux sociaux dans lesquelles les gens se transforment en figures parfaites à l’aide d’applications de retouche d’images. Et met le public au défi de trouver ses propres réponses.

https://youtu.be/g6_2KY5qaEs

Joel Meyerowitz chez Fellowship, Paris Photo 2023 Photo OOlgan

Elman Mansimov, alignDRAW (2015) FellowShip

Joel Meyerowitz chez Fellowship, Paris Photo 2023 Photo OOlgan

La collection « alignDRAW » d’Elman Mansimov présente les premières œuvres d’art de synthèse texte-image utilisant dés 2015 une technologie d’IA révolutionnaire. Ces pièces uniques capturent l’essence de leurs sujets de manière stimulante, offrant un aperçu de l’intersection de l’art et de la technologie. « Je n’aurais jamais pu prédire que mes recherches sur les modèles de conversion texte-image seraient un jour considérées comme un morceau d’histoire, exposées et vendues au prestigieux Paris Photo. Je suis époustouflé par le chemin parcouru par la technologie depuis mes débuts. Je l’ai créé. »

« Quand nous regardons les premières images floues et à faible résolution de près de deux siècles nous voyons tout le potentiel futur de la photographie, qui est finalement devenue le dominant la technologie de l’imagerie et de la communication de notre époque. Et quand je regarde Avec des images alignDRAW basse résolution comparables, je vois une promesse similaire pour une nouvelle méthode visuelle majeure qui pourrait très bientôt devenir aussi essentielle que la photographie avec objectif l’était au cours des deux cents dernières années« . Dr Lev Manovitch

Kevin Abosch chez Nagel Draxler, Paris Photo 2023 Photo OOlgan

Kevin Abosch, Nagel Draxler

Il s’était fait connaitre pour son plaidoyer pour sa série IAMA Coin (2018) dont il a depuis rematérialisé l’adresse avec son propre sang, projet présenté lors de l’exposition « Le Supermarché des images » du Jeu de Paume en 2020. Kevin Abosch (né en 1969) est un artiste conceptuel irlandais qui travaille à travers les médias traditionnels ainsi qu’avec des méthodes génératives telles que l’apprentissage automatique et la technologie blockchain.

Son travail aborde la nature de l’identité et de la valeur en posant des questions ontologiques et en répondant à des dilemmes sociologiques. Un paradoxe émerge de ses images présentées celui d’une critique où il revendique des « images-objets » à des images-flux » ouvrant ainsi de nouvelles perspectives à la photographie post numérique.

Olivier Olgan