Classique : Maria Joao Pires, la pianiste humaniste
Indomptée et indomptable, la pianiste Maria João Pires a poursuivi tout le long de sa carrière sa quête d’estime de soi et un don de soi pour valoriser les chefs d’oeuvres de son instrument. Rare en concert et au disque, l’intégrale de ses 38 enregistrements concentre près de 25 ans de fidélité à son label DG (1989 – 2012) et une liberté brulante qui se ressent à chaque disque.
« Le piano, c’est comme un cri qui remonte du plus profond de mon enfance. »
La pianiste portugaise est une artiste rare dans tous les sens du terme. Par la conscience qu’elle met dans chaque note, par la dimension qu’elle a su donner à chaque action de sa vie. « Le seul travail qui vaille est celui que l’on fait sur soi », ne cesse-t-elle de répéter. Elle vit chacune de ses conversations pianistiques comme un authentique acte d’amour. On ne s’étonnera pas que ses apparitions scéniques se sont limitées à une trentaine de concerts par an, en soliste ou en musique de chambre, en duo ou trio.
De Bach à Chopin en passant par Mozart, Beethoven, Schubert et Schumann, Pires s’est consacré à peu de compositeurs, mais combien essentiels ! Avec quelques rares exceptions comme pour son dernier enregistrement en 2012 dédié comme un retour à ses racines, au fado d’António Victorino d’Almeida, enregistré avec Carlos do Carmo.
Toute interprétation passe d’abord par lente maturation intime, associant estime de soi et don de soi. S’investissant totalement dans chaque dialogue avec les partitions ou avec ses partenaires concertants (les chefs Claudio Abbado, Pierre Boulez, Frans Bruggen, John Eliot Gardiner, Michel Corboz ou André Previn), ou de chambre (les violonistes Augustin Dumay, Renaud Capuçon et les violoncelliste Jian Wang, Pavel Gomziakov et António Meneses, ou encore l’altiste Gérad Caussé. Seule ou associée, elle souffle sur le feu, éveille des couleurs insoupçonnées, aiguillonne ses partenaires. Ce qui fait écrire critique britannique Harriet Smith dans l’indispensable livret : «Aucun autre pianiste n’est plus conscient du caractère novateur des« Nocturnes » de Chopin que Pires ».
Sans désir, elle n’a jamais hésité pas à s’arrêter pendant des mois, voire des années si elle sent que sa quête esthétique et spirituelle se dévoie. Persuadé que les belles choses exigent les meilleures conditions éthiques, il lui a fallu quatre ans pour achever l’intégrale des sonates pour violon de Beethoven (avec Agustin Dumay). « Ce que nous sentons comme révolte dans Beethoven, c’est sa façon de se libérer du corps et de la matière pour aller vers une libération spirituelle. ». Totalement à nue dans chaque note, sa fragilité est son seul rempart et une porte unique pour découvrir le cœur battant des compositeurs.
Se définissant comme une amatrice, l’artiste portugaise née en 1944 s’est toujours refusée au jeu du star system et la notion même de réussite en musique. Et pourtant, elle reste l’une des pianistes phares en termes de ventes du prestigieux label Deutsch Grammophon (Universal). Attirant l’auditeur comme la ferraille l’aimant. L’amplitude de ses centres d’intérêts et de ses convictions montre que le piano n’est qu’une pièce de sa vie. « Mon vœu n’est pas d’être une artiste, il est d’être plus libre, prête à quelque chose. Mais à quoi ? »
Le Centre pour l’étude des arts de Belgais qu’elle a créé et anime au Nord du Portugal, est ouvert à tous ceux qui veulent changer certains aspects du monde dont l’évolution lui semble dangereuse.
« Par ce que nous sommes toujours la conséquence de ce qui nous entoure. » Ici, les plus belles utopies trouvent encore un asile. Elle si discrète, si rebelle, elle s’y investit corps et âme contre ‘la culture des barres de mesure’ ; tant sur la formation des pianistes que l’apprentissage esthétique des enfants. C’est désormais au cœur de cette nature sauvage qu’elle rayonne. « Par ce que nous sommes toujours la conséquence de ce qui nous entoure. »
L’éthique musicale qu’elle sanctifie dans cette intégrale constitue plus qu’une leçon de musique, mais une fascinante leçon de vie.