Exposition : Peintres femmes, 1780-1830. Naissance d'un combat (Musée du Luxembourg)

Jusqu’au 24 juillet. Musée du Luxembourg, 19, rue de Vaugirard, 75006 Paris
Catalogue, Martine Lacas, Melissa Hyde, Severine Sofio. RMN 208 p., 40 €.
Réservation – Mooc en ligne Peintres femmes, à travers les âges

Passionnante, érudite et éclairante, l’exposition avec son catalogue Peintres femmes, 1780-1830. Naissance d’un combat réussit une double gageure : restituer l’effervescence artistique qui permit le temps d’une parenthèse à nombre de femmes d’imposer leurs talents, et s’échapper d’une logique de genre pour valoriser le peindre, loin des stéréotypes.

Redonner une place aux femmes dans notre mémoire artistique

Il faut se méfier des titres ! Plus qu’un combat (perdu) des femmes artistes ouvert avec la Révolution et refermé avec la Monarchie de Juillet, cette exposition passionnante et son catalogue exemplaire participent à déconstruire un récit historique dominant. En allant au-delà des quatre figures déjà reconnues Élisabeth-Louise Vigée Le Brun (1755-1842), Adélaïde Labille-Guiard (1749-1803), Marie-Guilhelmine Benoist (1768-1826) et Marguerite Gérard (1761-1837). Mais qui connait Pauline Auzou, Marie-Guillemine Benoist, Aimée Pagès ou Marie-Victoire Jaquotot, pourtant toutes distinguées par leur talent ?
« Ce sont plus de trente-cinq autres noms auxquels cette exposition aspire à redonner une place dans notre mémoire artistique », revendique Martine Lacas, la commissaire d’exposition. 70 œuvres, plongée dans une jolie scénographie tentent de restituer leur place, « le succès et d’une reconnaissance publique et institutionnelle qui contredit l’invisibilité et la minorité dont l’histoire de l’art les a frappées », mais aussi de cerner le métier de peintre.

Dépasser l’invisibilisation

L’exposition ne se contente pas de rétablir une injustice, son principal mérite est de chercher à donner les clés pour comprendre cette sous-représentation, et les ressorts de la misogynie qui la justifiaient : il s’agit avec force documents d’ « aller à rebours des processus d’invisibilisation, des phénomènes d’amnésie qui nous ont laissé en héritage un récit canonique, intimidant et séduisant, du passé artistique et son cortège de présupposés refoulés » poursuit Martine Lacas.

Artistes femmes, la parenthèse enchantée (Séverine Sofio)

Loin des stéréotypes, en 1780-1830, la carrière d’artiste est possible, le plus souvent reconnue pour son talent. Loin de l’amateurisme des « peintresses » croquées par l’écrivaine Belle de Zuylen, ces artistes femmes s’étaient formées et pratiquaient comme leurs confrères, notamment après la création du statut d’artiste libre en 1777. D’autant que le statut du métier de peintre était favorable à l’émancipation des femmes, voir l’une des rares activités honorables pour les jeunes filles cherchant à travailler.

Pour une définition sociale et économique de l’artiste professionnelle

« Si on compte une trentaine de plasticiennes dans les salons révolutionnaires (environ 9 % des exposants), ce nombre atteint les 200 au milieu des années 1820 (représentant 15 % des exposants) et il est notable que, sous la monarchie de Juillet si les refus affectent davantage les candidates que les candidats au Salon (13 % pour les hommes contre 25 % pour les femmes en 1835), leur proportion ne décroisse aucunement. » rappelle la commissaire.

Les essais du catalogue sont éclairants et étayent la dynamique d’un écosystème artistique indispensable à cette éclosion ; la formation « au cœur des transformations du monde de l’art », avec l’incontournable voyage en Italie mais aussi les réseaux, les espaces et stratégies pour s’exposer. « Dans les ateliers qui se créent pour accueillir les femmes, les mères, sœurs et compagnes des maîtres sont souvent impliquées au quotidien pour le suivi des travaux. souligne Martine Lacas. Leur parcours ne se traduit pas forcément par une touche singulière, si ce n’est celle de leur apprentissage jusqu’à leur indépendance stylistique. »

Le constat critique de l’invisibilité

Autoportrait, Elisabeth Vigée Le brun, Marie-Adélaïde Durieux, Hortense Haudebourt-Lescot Photo Olgan

« C’est un fait. insiste Melissa Hyde dans son essai ‘Les genres ont-ils un sexe ?’ Des artistes furent «empêchées» parce qu’elles étaient des femmes. Les normes morales, juridiques, corporelles, sociales, ont régi leur vie – et celle des hommes – selon une tendance qui s’est d’ailleurs accusée inexorablement dès le début du xixe  siècle. » L’exposition tient son ambition de faire voir ces artistes au travail (avec les contraintes de leur sexe) avec nombre de scènes d’atelier. Elle fait voir la qualité du peindre, sort leurs tableaux de l’ombre dans laquelle l’histographie de l’art les laisse encore la plupart a été exhumé des réserves.

Pour redonner vie et chair à toutes ses figures « dépossédées du pouvoir de se raconter eux-mêmes par l’histoire autorisée », mais aussi sortir de la problématique du genre, l’autoportrait est volontairement privilégié dans le parcours, car il  « recèle ce pouvoir et suggère une pluralité des individualités et des expériences qu’efface la catégorisation de « peintres femmes (…) l’occasion de « déboîter» des boulevards mémoriels où l’on file à vive allure.» insiste Lacas.

Faire voir le peindre de ces peintres

Les femmes réussissent à être présentées au Salon, de 9 % dans les années 1790 à 15 % au milieu des années 1820 Photo Olgan

A rebours des récits officiels qui justifient la place mineure « qu’occupent les peintres femmes dans l’histoire de l’art traditionnelle par leur pratique réduite de la peinture d’histoire, voire par l’interdiction qui leur était faite, pour des raisons de bienséance, d’étudier le nu, de suivre les cours de l’Académie des beaux-arts et de concourir au prix de Rome », le catalogue – plus que l’exposition où scènes d’atelier ou de famille sont omniprésentes – invite à sortir de que la commissaire appelle « le paradoxe circulaire du «féminin», pour un jour ne plus avoir à préciser «peintres femmes» et encore moins «femmes peintres». Pour tenter « une autre manière d’écrire et de mettre en scène l’histoire. Comment ? En montrant le plus possible les procédures de recherche, les modes d’intelligibilité. C’est à cette unique condition que peut se nouer un pacte de vérité avec le visiteur. » Le catalogue en pose les jalons avec pertinence.

Le véritable défi pour le regardeur est de s’échapper autant au poids de l’Histoire qu’à celui du biais du genre pour se laisser prendre par le « fait pictural » des artistes légitimes par leur force du peindre. Il se prolonge avec les expositions « Valadon et ses Contemporaines Peintres et Sculptrices 1880-1940« , Monastère de Brou jusqu’au 5 septembre et « Elles font l’abstraction », Centre Pompidou jusqu’au 23 août 2021.

#Olivier Olgan