Ces autres lieux qui ont fait la France, François-Guillaume Lorrain (Fayard)
A mi-chemin entre le livre d’histoire et le carnet de voyage, François-Guillaume Lorrain a trouvé le bon fil narratif, synthèse du journaliste et romancier qu’il est par ailleurs, pour nous passionner pour les ‘lieux qui ont fait la France’ dont le second opus vient de sortir chez Fayard. Une lecture stimulante et documentée d’une démarche ‘pré-confinement’ pour préparer de prochains itinéraires ou se pencher sur un nouveau sport de combat: l’histoire.
Le talent d’un reporter d’histoire
« L’Histoire est pour nous une enquête modeste qui se mène sur le terrain » annonce François-Guillaume Lorrain dés le préambule du tome 2 de ces « lieux qui ont fait la France ». Dans un style limpide, l’arpenteur scrute les traces – intactes ou effacées – de l’histoire de France autant comme un détective (pour l’appétit au détail) qu’un reporter (pour animer un récit) : « Quand je touche à l’histoire – même si je suis dans l’âme romancier – je me penche sur les traces, les vestiges pour en raconter le périple » explique le journaliste au Point. Et il le fait avec une telle passion que chacune de ses « enquêtes de terrain » passionne autant l’amateur d’Histoire que le touriste avide de sensations cultivées. Tous retrouvent cette reconnaissance pour ce professeur d’histoire d’antan qui leur a donné la curiosité et l’éclairage de l’Histoire : « L’histoire est comme une pierre tombée sur une pièce d’eau, dont la chute provoque des ondes concentriques. Nous nous tenons sur la rive, prêt à recueillir, à étudier la propagation de ces ondes. » C’est à cette place privilégiée que nous place l’auteur de Les Enfants du cinéma (Grasset, 2011). L’Année des volcans, (Flammarion, 2014) ou Vous êtes de la famille ?, à la recherche de Jean Kopitovitch (Flammarion, 2019)
Le recul sur le nouveau sport de combat: l’histoire
« Ici, il n’y aura d’histoire que du lieu, précis, ponctuel, localisé, mais non fermé, car ouvert aux quatre vents d’une scène plus large, perméable aux flux, aux secousses d’une actualité nationale, ou mondiale« . Nous revenons sur ce préambule du 2e tome qui constitue une introduction indispensable aux conditions de travail de l’historien revenant sur les 10 années qui ont créées « un nouveau sport de combat: l’histoire. Ou du moins le récit que l’on veut en faire ».
Eclairant les étapes accélérées des dérives et controverses mémorielles qui empoisonnent toute possibilité de travail historique, François-Guillaume Lorrain regrette non sans amertume que « l’enjeu s’en est modifié, le ton hystérisé (…) Le devoir de mémoire cédait la place, dans les classes comme dans la société, aux conflits de mémoire. (…) L’histoire de France est donc devenue une guerre de tranchées. »
Pour y échapper, l’auteur revendique que le lieu « n’a que faire des Frances fermées ou ouvertes. Il se fiche de savoir s’il est là pour servir la grandeur nationale ou l’inscription du pays dans une vision élargie. Il est là, tout simplement, non réductible à une date, celle qui l’a fait entrer dans l’histoire. Il déroule seulement son écheveau d’évènements, de faits incontournables, son cas particulier, étanche non aux manipulations, au contraire, mais aux a priori. Il n’est fait que d’a posteriori, car objet ici d’une reconstruction au fil du temps. Pas de conflit de mémoires, mais des mémoires parsemées, satellisées ou ensablées. » Il est temps de partir sur le terrain.
Scruter la zone à hauteur d’homme
Même si une proximité géographique les organise, nul besoin de lire par ordre chronologique les récits bien serrés dans les deux tomes ; « Ces lieux qui ont fait la France » (en poche) suivi de ces « autres » lieux. Le filon éditorial et littéraire est creusé, il est passionnant de le suivre sur ces lieux aux « vertus qui nous préservent de l’idéologie » qui ont et sont l’histoire eux-mêmes. La force de ces récits sont de vous emmener « sur zone » comme diraient les militaires, à hauteur d’homme et de donner corps et chairs à ces noms, retenus ou méconnus, vestiges un brin nostalgiques de nos cours d’histoire ou de français de nos années d’école : Bouvines, Saint-Aubin-du-Cormier, de Wassy, Rothondes, sans oublier Nantes, Saint-Florian-le-Viel, Poitiers, Varennes, … mais aussi plus fictionnels, « Du Côté de chez Proust, Illiers-Combray, ou de Nicéphore Niépce, découvreur de la photographie à Saint-Loup-de-Varennes, …
Combler les trous de mémoire
Difficile de résumer ses « vingt-six étapes d’une grande boucle mémorielle, tous azimuts, tous domaines confondus ». Elles ouvrent pourtant de nombreuses propositions et réflexions, fruit d’une puisant travail de synthèse entre archives et rencontres vivantes. Chaque récit vous aiguillonne pour de futures pérégrinations mimétiques, autant pèlerinages et découvertes pour une ‘culture générale’, dans le sens le plus humaniste du terme (hélas désuet pour certains). La magnifique vision de Paul Valéry condense la ligne de crête à conquérir : « L’Histoire justifie ce que l’on veut. Elle n’enseigne rigoureusement rien, car elle contient tout, et donne des exemples de tout. » En d’autres termes, « avec la France, insiste François-Guillaume Lorrain, on n’en a jamais fini. » Nous partageons avec lui la seule dynamique intellectuelle qui vaille pour rester à l’écart des instrumentalisations mémorielles : « Toujours la curiosité, stimulée par l’étonnement. La surprise devant des oublis, voire des amnésies. Si nous revendiquons un engagement, c’est celui-ci, l’envie de braquer les projecteurs dans les coins. Seule nous intéresse la raison du silence. ».
On comprend dés lors ce qui rend la lecture de cette démarche hybride indispensable.