Culture

Le Carnet de lecture Léo Warynski, chef de l’ensemble vocal Les Métaboles

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 2
4 février 2021

« Les anges ne chantent pas comme nous, il faut déployer beaucoup d’énergie pour s’en rapprocher » : le chef Léo Warynski a créé en 2010 l’ensemble vocal Les Métaboles dédié au répertoire du XXème et XXIème siècle. Et anime l’ensemble instrumental Multilatérale depuis 2014. Assumés comme un acte de résistance au silence, ses deux prochains concerts, les Liebeslieder Walzer de Brahms le 5 mars et The Angels, le 25 mars sont en streaming en direct sur Récithall.

Leo Warynski, chef des ensembles Les Métaboles et de Multilatérale @ Manuel Braun

Refus d’une ‘éducation à deux vitesses’

Son refus de choisir entre musique chorale ou symphonique en fait l’archétype de cette nouvelle génération de chefs trentenaires polyvalents,  aussi à l’aise dans les répertoires symphoniques,  lyriques et chorals que dans la création contemporaine. Si elle multiplie les projets artistiques et les engagements, c’est autant pour ne pas être réduite à une étiquette forcément réductrice de chef de chœur, que pour nourrir cet esprit d’entreprise qui leur permettent de forger leurs outils personnels – à défaut d’un seul instrument – pour affirmer leur légitimité de chef.
Il y a aussi pour Léo Warynski, ancien élève de la Maîtrise de Colmar, la volonté de lutter contre deux stéréotypes bien français : « cette éducation à deux vitesses, d’une part qui considère le métier de chef de chœur inférieur à celui de chef d’orchestre, et cette difficulté d’autre part de faire valoir la même exigence -et donc les mêmes moyens financiers- à une formation a capella professionnelle qu’à un orchestre. »

Pas de voie toute tracée ni exclusive

Convaincu qu’il n’y a pas qu’une voie pour forger une expérience de chef, Léo Warynski interprète à sa manière les enseignements et la liberté d’entreprendre, reçus de ses deux mentors revendiqués : François Xavier Roth, fondateur de l’ensemble des Siècles et grand initiateur de projets en tous genres, qui a été son professeur de direction au Conservatoire National de Musique et de danse de Paris, et Pierre Cao le fondateur de l’ensemble Arsys Bourgogne.  « Pour monter le répertoire qui m’intéressait, largement a cappella, avec des programmes où se croisent Schutz et Tchesnokov, revendique l’ancien violoncelliste,  je n’avais pas d’autre choix que de créer mon ensemble vocal. Je cherche un son riche, homogène, dense, et des voix chaleureuses et brillantes. » L’aventure commence en 2010 Les Métaboles, dénomination empruntée à une œuvre d’Henri Dutilleux pour exprimer la volonté de transformer le chœur au gré des répertoires afin de les servir au mieux. pour se démultiplier depuis 2014 avec l’ensemble instrumental Multilatérale  : « Les anges ne chantent pas comme nous, il faut déployer beaucoup d’énergie pour s’en rapprocher. »

S’épanouir hors des sentiers battus

D’emblée, les complices se lancent en dehors des chemins battus comme en témoignent ses projets : création d’œuvres comme celles de Dimitri Tchesnokov ou de lauréats du Prix de Composition Saint-Christophe 2014 et 2016, collaborations de plus en plus variées avec l’orchestre Les Siècles sous la direction de François-Xavier Roth (Nocturnes de Debussy, Playing for Pleyel), avec le Philharmonia Orchestra (La Bohème de Puccini), avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France (Atom Heart Mother des Pink Floyd), l’Ensemble Intercontemporain, ou l’Orchestre de l’Opéra de Nice (Akhenaten de Philip Glass).

En 10 ans, quatre disques « manifestes »

Chacun confirme la trajectoire réussie de cette ambition de croiser les époques, les continents ou les styles magnifiée par un travail exigeant sur la limpidité, la transparence et l’architecture des voix qui hisse la formation parmi les plus intéressantes du moment.

  • Mysterious Nativity (cd Brilliant, 2013) est dédié à la musique russe ; la création de Trois Chants Sacrés, Ave Verum Corpus de Dimitri Tchesnokov, côtoie des partitions peu connues, Mysterious Nativity, Trisagion, Vytautas Miskinis, O Salutaris Hostia de Gueorgui Sviridov ou célèbres Magnificat de Arvo Pärt, Trois Hymnes Sacrés d’Alfred Schnittke pour un fastueux bouquet d’émotions. Toujours subtile, l’interprétation est parfaitement maitrisée et ductile.
  • Après l’Est, Une nuit américaine  (cd NoMadMusic 2012) valorise des œuvres pour chœur a cappella de six compositeurs américains : Steven Stucky, Eric Whitacre, Aaron Copland, Samuel Barber, Morten Lauridse et Morton Feldman  que le chef présente ainsi : «  un cadavre exquis au caractère intimiste, qui éclaire, en « nuit américaine » créant la nuit à partir du jour suivant le procédé cinématographique homonyme. Chaque pièce y résonne dans son contraire, car chacune bouscule de manière particulière nos catégories de perception – comme si nous nous trouvions dans un des états intermédiaires du sommeil, à l’endormissement ou bien au réveil». Et cette immersion est réussie balayant le stéréotype d’une musique américaine sans fond ni finesse.
  • Jardin féérique (cd NoMadMusic, 2018)  associe Ravel, Saint-Saëns, Britten et Schafer dans un programme où « la nature est tour à tour jardin harmonique ou fantastique, lieu de contemplation ou de réflexion, ou simplement paysage sonore une attention particulière à l’intelligibilité et à l’expressivité des voix, mais aussi à la restitution de cette dimension orchestrale au moyen de toute la palette dynamique que peut offrir un chœur : du piano presque chuchoté au forte le plus large et intense. »
  • Disponible depuis le 21 février 2021, The Angels (cd NoMadMusic) se revient aux sources spirituelles de chœur polyphonique, mais toujours avec originalité, puisque Purcell, Byrd et Palestrina, chantres de la musique polyphonique du XVIIe sont mis en résonance avec celles de Jonathan Harvey (1939-2012), figure majeure de la musique contemporaine.

Une dynamique d’innovations et de résistance à la facilité

Le jeune chef non content d’instiller une puissante personnalité à son ensemble dans ce subtil mélange de découvertes et de tubes innove aussi dans son approche du concert cherchant à pousser toujours plus loin le sentiment d’immersion. Il y a l’importance de la spatialisation des chanteurs, essentiel, mais cela n’a pas empêcher l’expérience du ‘concert olfactif’ associé au parfumeur Quentin Bisch.

Toute sa noblesse au métier de maître de musique

Espérons que le COVID ne sera qu’une parenthèse sombre à cette dynamique d’innovations, d’excellence, et d’ouverture au public. Avec trois vœux ; que Les Métaboles soit identifié par sa curiosité insatiable, et la précision de son souffle, que le laboratoire de sons qu’est la pratique de l’ensemble Multilatérale continue à surprendre et que le chef reste libre de ses choix. Il faut continuer à soutenir cet ‘assembleur’ au sens propre du terme dans ses pérégrinations et ses exigences, et saluer l’ambition de redonner toute sa noblesse au métier de ‘maître de musique’, conquérant pacificateur d’un espace de cœur et d’émotions que Maurice Ohana appelait “ la mémoire immémoriale. »

Le Carnet d’écoute de Léo Warynski

Les vêpres de S. Rachmaninov, Choeur national de l’URSS. J’ai une affection particulière pour cette oeuvre. Et ce, à double titre. Cette liturgie orthodoxe m’évoque à la fois des réminiscences d’une culture slave transmise par mon père, et des souvenirs musicaux associés à mon enfance. Lors de mes années de maitrise, j’ai en effet eu l’occasion de chanter le Bogoroditse. Je me souviens encore d’avoir été saisi par la palette dynamique et la largeur de l’ambitus des choeurs russes que nous prenions pour modèle.

Sonates pour clavecin de D. Scarlatti, Scott Ross. Ces petites sonates (500 au total), sont de parfaites miniatures, autant d’exemples de perfection d’écriture. Je me plais à piocher ça et là dans ce vivier joyeux. Aussi joyeux que l’étaient les longs trajets de vacances endiablés par la tonalité solaire de ces petites pièces lorsque j’étais enfant.

Barricades, Thomas Dunford et Jean Rondeau, 2020, Erato. Ce disque est pour moi associé à l’été 2020, synonyme de renouveau à bien des titres. Un renouveau musical et amoureux, plein de promesse et d’ouverture. Je crois avoir écouté plus d’une centaine de fois la pièce de Charpentier, « Sans frayeur dans ce bois », où se croisent légèreté, humour et galanterie.

L’Anomalie, roman de Hervé Le Tellier. Toute une partie de la culture étant, par la force des choses, réduite au silence, j’en ai profité pour renouer avec une pratique à laquelle je n’ai pas toujours suffisamment le temps de me consacrer : la lecture. Je me suis ainsi plongé avec délice dans le dernier prix Goncourt. La finesse des descriptions psychologiques et l’originalité de la trame m’ont complètement fasciné !

Pour suivre Léo Warynski et les Métaboles

Prochains concerts en streaming:

A voir

  • Boulez, Palestrina, Filedei et Meïmoun (janvier 2021)  Disponible en replay sur France Musique le 21 avril 2021.

Partager

Articles similaires

Le carnet de Lecture de Caroline Rainette, auteure et comédienne, Alice Guy, Mademoiselle Cinéma

Voir l'article

Luiz Zerbini, Afinidades III, Cochicho (Museu Oscar Niemeyer Curitiba, Brésil)

Voir l'article

Le carnet de Dédicaces de Laure Favre-Kahn, pianiste

Voir l'article

Les Notes du blog ‘5, Rue du’, de Frédéric Martin, photographe existentialiste

Voir l'article