Le ciel des peintres, de Daniel Bergez (Citadelles Mazenod)
Quand le ciel nous occupe
Dans nos musées presque un tiers des surfaces peintes serait occupé par le ciel. Dans certains genres, comme les marines de la peinture hollandaise du xviie siècle, ce sont même les deux tiers de la toile qui sont voués à la représentation de l’espace céleste. Autant dire que la thématique est immense.
Que de chefs d’œuvres !
Cette synthèse condense une histoire de l’art qui « ouvre » dans tous les sens du terme, le passage du « ciel divin » à celui du paysage, de l’illusion sensible à celle du sublime.
Si dans les œuvres de la peinture occidentale, la lumière est quelquefois intérieure – comme du Caravage à Georges de La Tour –, elle est le plus fréquemment d’origine céleste. Du ciel émane la matière lumineuse qui fait saillir les volumes. Son importance est déterminante puisque le ciel est au principe même de la visibilité, jusqu’à la peinture romantique. Avec les Impressionnistes, le « sujet » de l’œuvre devient à la limite prétexte à mettre en scène l’éventail des couleurs issues de la décomposition de la lumière. Le l’expérience esthétique de la peinture du ciel commence à rencontrer l’expérience perceptive et vécue de la réalité céleste.
De l’espace (du divin) à l’expérience (sensible) picturale
Toujours en surplomb, et appelant le regard à s’élever, le ciel pictural introduit dans les œuvres une plage de contemplation. Il a part au sacré et convertit le visible en métaphysique dans la peinture d’inspiration religieuse. Dans la peinture figurative – notamment les « paysages » –, il crée une profondeur qui paraît infinie par rapport aux motifs de la scène de premier plan. Dans tous les cas, il crée un horizon lointain qui donne au regard un espace de résonance.
Avec la modernité, le ciel comme une fiction » picturale « atmosphèrique est en question.
La rupture avec l’esthétique de l’infini, du diaphane, de l’impalpable nébuleux qui a dominé la peinture du ciel pendant des siècles n’est cependant pas complète, car la mémoire visuelle du spectateur projette souvent dans ces œuvres la trace et la réminiscence d’un infini céleste.
Dans le « paysagisme abstrait », le ciel demeure à l’état de souvenir. Il subsiste comme projection mentale. Il relève de l’esthétique de la « modernité », comme la survivance d’un monde disparu dont le désir est toujours vivace, et actif.
En réalité, chez les grands artistes le ciel tend au xxe siècle à se constituer comme manifeste esthétique. Cette évolution bénéficie de la possibilité qu’il offre aux peintres, à toutes les époques, d’y développer une inspiration libre. Il présente par nature une grande plage d’expression, d’autant plus accueillante qu’il peut s’apparenter à un espace en apparence vide
Olivier Olgan