Le dernier souffle, accompagner la fin de vie, de Dr Claude Grange – Régis Debray (Gallimard)

[Conversation starter] Longtemps attendu, un projet de loi sur « l’aide à mourir » vient d’être détaillé par Emmanuel Macron. Pourtant, la loi Claeys-Leonetti de 2016 permet déjà une « sédation profonde et continue jusqu’au décès ». De l’assistance au suicide à l’euthanasie, il y a plus qu’un pas, « un seuil de civilisation que l’on tremble de voir franchi » pour le Dr Claude Grange. Le médecin de campagne dans les Yvelines et spécialiste des soins palliatifs, enrichit le débat avec un livre éclairant, « Le dernier souffle » préfacé de Regis Debray (Gallimard) sur les questions que chacun se pose avec pragmatisme et humanisme. Il se prolonge pour Thierry Dussard par un documentaire de son fils, Vivants, diffusé sur Public Sénat TV 13, samedi 23 mars.

« Dépénaliser le suicide assisté, sans le légaliser »

Selon les sondages 90% des Français seraient favorables à un texte évitant aux malades en détresse d’aller en Belgique ou en Suisse pour mettre fin à leurs souffrances.

Dr Claude Grange, médecin de campagne dans les Yvelines et spécialiste des soins palliatifs. Photo Thierry Dussard

« Personne n’a envie de mourir », déclare d’emblée le Dr Claude Grange, avec le sourire de l’évidence, où l’on peut lire aussi toute son humanité. La mort, il la côtoie depuis 45 ans, faisant sien le serment d’Hippocrate : « Le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments…il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort ». Il a vécu la fin de vie de ses parents, mais aussi celle d’un de ses fils, Augustin, son quatrième enfant de la mort subite du nourrisson.

Adolescent, je voulais être missionnaire, il m’en reste quelque chose.
Dr Claude Grange

Et en 1994, il est parti avec Médecins du monde au Rwanda après le génocide, y « apprendre l’humilité et la solidarité ». Voilà d’où parle ce médecin de campagne qui a remis la blouse blanche après sa retraite, afin de poursuivre son engagement.

Je l’aide à mourir…

Cela ressemble à une chanson de Francis Cabrel, mais la mort est une chose trop sérieuse pour la laisser aux mains des seuls médecins, ou des législateurs, c’est une question qui nous engage tous. Le président de la République dans sa présentation évite soigneusement les mots de suicide assisté et d’euthanasie, mais en ouvrant la porte au premier ne favorise-t-il pas le second ?

Ce sont les conditions de la mort qui provoquent une demande d’euthanasie, insiste le Dr Grange. Les patients ne veulent pas souffrir, et la sédation, qui peut être transitoire, réversible, ou continue, répond justement à cette attente. Car faire dormir, ce n’est pas faire mourir.
Dr Claude Grange

La loi Claeys-Leonetti de 2016 (du nom de l’ancien député PS de la Vienne, et de l’ancien député LR des Alpes-Maritimes) offre cette possibilité.

Mourir sans doute, mais où et comment ?

85% des Français souhaiteraient le maintien à domicile, alors que 70% de la population meurt à l’hôpital. 21 départements ne disposent pas d’Unité de soins palliatifs, alors que 1,6 milliard d’euros sont consacrés chaque année à ces soins, et Emmanuel Macron annonce 1 Md€ supplémentaire sur dix ans. « C’est historique, se réjouit le Pr Régis Aubry, membre du Comité consultatif national d’éthique, dans Le Monde du 14 mars, mais encore faut-il former des médecins et des infirmières ». Cela demande du temps et des moyens, d’autant que « l’hôpital n’est pas destiné à la fin de vie, il faudrait ouvrir de vrais maisons d’accompagnement, d’accueil des malades et de leur famille, souligne le Dr Grange. Sur les dix ans d’étude de médecine, dix heures sont consacrées aux soins palliatifs, et sur 80 000 généralistes seuls 2% sont formés à cette spécialité, cela donne une idée du chemin à parcourir ».

Une assistance au suicide encadrée

Cinq critères cumulatifs sont exigés, que la discussion parlementaire pourra amender : la personne doit être majeure (ce n’est pas le cas en Belgique), capable de discernement (cela exclut la maladie d’Alzheimer), atteinte d’une maladie grave et incurable, avec un pronostic vital engagé à court (quelques semaines) ou moyen terme (quelques mois), et dont les souffrances sont réfractaires à tout traitement. Ces cinq conditions sont assorties d’un délai de réflexion pour le patient, et soumises à une décision collégiale de l’équipe médicale. Est-ce suffisant pour encadrer un sujet qui touche à l’un des deux tabous de toute société, le meurtre et l’inceste ?

Certains médecins pensent que donner la mort, c’est prodiguer l’ultime soin, mais ce n’est pas mon cas, on va ainsi créer des débats et un bazard à l’hôpital qui n’a pas besoin de cela.
Dr Claude Grange

Eviter dépendance et déchéance

« Le risque à l’avenir, c’est de ne pouvoir répondre à la demande de ceux qui veulent avoir la liberté de décider du moment auquel ils veulent partir, avant toute dépendance et déchéance. L’Association au droit à mourir dans la dignité (ADMD), créée en 1980, qui regroupe des gens aussi divers que Line Renaud et André Comte-Sponville, milite dans ce sens, note le Dr Grange. Emmanuel Macron s’est d’ailleurs gardé d’employer le terme de droit, ni celui de liberté, parce que dans une démocratie nul ne peut retirer la vie à autrui, c’est un principe auquel Robert Badinter était très attaché ».
Dans le petit livre qu’il publie sur Le Dernier souffle (éd. Gallimard, 115 p. 13,50 €), Claude Grange insiste, « les soins palliatifs sont l’expression la plus authentique de l’action humaine ». Et l’écrivain Régis Debray qui préface son livre, affirme que face au déclin des religions, « moins une société a besoin de grands prêtres, plus elle a besoin de bons soignants ».

Thierry Dussard

 Vivants, documentaire de Victor Grange. Le Dr Grange en est à son troisième pot de départ à la retraite, ce documentaire raconte son engagement auprès de l’hôpital de Houdan (Yvelines). Son fils Victor, cinéaste, s’est glissé pendant deux ans dans les chambres et les couloirs, auprès des patients et des soignants. Ce documentaire ouvre le dialogue, et n’importe quelle association peut organiser sa propre projection. Public Sénat TV 13, samedi 23 mars à 22.30 h