Le Menteur, de Corneille - Duc & Pioche, de Besset Théâtre de Poche Montparnasse
Les deux succès du début de saison du Théâtre de Poche Montparnasse qui croquent avec intelligence la vivacité des éclats du XVIIe siècle jouent les prolongations : éclats de rire avec ce Menteur, jubilatoirement amoral signé de Pierre Corneille grâce à une troupe irrésistible, totalement décomplexée par la mise en scène de Marion Bierry, éclats d’amitiés et de belle langue avec Duc et Pioche où Mme La Fayette et le duc de la Rochefoucauld collaborent par la grâce de Jean-Marie Besset et la mise en scène de Nicolas Vial pour la création du mythique roman Madame de Clèves.
Le Menteur, de Pierre Corneille – adaptation et mise en scène de Marion Bierry
du mardi au samedi 21h Dimanche 15h,
Avec : Alexandre Bierry, Benjamin Boyer ou Thierry Lavat, Brice Hillairet, Anne-Sophie Nallino, Serge Noêl et Mathilde Riey – Décor : Nicolas Sire
Et si la meilleure comédie de l’année 2022 était signée Corneille ? Oui le Corneille du Cid ! Créé en 1644 la dernière comédie de son auteur (1647-1684) – malgré son succès notamment parce qu’elle parodie son Cid – créé la polémique pour amoralité : son menteur compulsif s’en tire plutôt trop bien à l’issu d’un tourbillon de péripéties hilarantes.
Pour tirer tout le suc de ce qu’elle revendique et libère comme une « fête de l’esprit, un feu ‘d’artifice‘ de notre langue, une fête de l’impertinence et de la liberté », l’adaptation de Marion Bierry prend d’heureuses libertés qui démultiplie les ressorts comiques de situation : elle resserre l’intrigue sur ce héros prêt à tout pour séduire la femme dont il tombe amoureux et éviter le mariage que son père lui destine… Sauf que c’est la même femme…. Cette folle journée est déplacée au temps du directoire à la fois période de décadence futile et de la naissance de l’héroïsme Romantisme.
D’autres surprises pétillantes sont glissées dans ce souffle si libertin.
La mise en scène elle aussi signée de Marion Bierry pousse les feux de cet amusement typiquement baroque de jouer avec le théâtre. La simple mécanique du décor de Nicolas Sire facilite voir entraine un jeu de miroirs entre fiction et réalité. La dynamique comique s’appuie sur une troupe de jeunes acteurs fouetté par l’abattage de l’irrésistible Alexandre Bierry , fascinant Dorante qui se joue et déjoue avec forces bobards de tous ceux ce qui peuvent contrecarrer son désir. Aucun y résiste : son malheureux concurrent Brice Hillairet, son père Serge Noel, son valet Benjamin Boyer et même celles qu’il (pense) aimés (Anne-Sophie Nallino, Mathilde Rey)…
N’oublions pas enfin que le vers de Corneille reste toujours une langue, aérienne, succulente, collant aux affres des protagonistes.
En somme, ce Menteur a tous les atouts pour devenir la friandise indispensable dans un monde aux vérités alternatives!
Duc et Pioche, de Jean-Marie Besset – mise en scène de Nicolas Vial
du mardi au samedi 19h Dimanche 17h30
avec Sabine Haudepin et François-Eric Gendron
Après son Banquet d’Auteuil, qui croquait Molière, ses amis artistes libertins et leur rapport au pouvoir, Duc et Pioche permet à Jean-Marie Besset d’aborder le Grand Siècle par le versant féminin : « Madame de Lafayette n’est pas un personnage politique, mais une aristocrate qui ne veut pas passer pour une femme savante, une femme de lettres. Pour une fois, je n’ai pas cherché à dégager les enjeux politiques ou sociaux de notre passé, mais des enjeux langagiers. »
La réussite est totale. Le public suit avec délectation les rencontres de deux amis La Fayette et La Rochefoucauld qui se réunissent pour échafauder la trame d’un roman qui sera La Princesse de Clèves. Comme des scénaristes d’aujourd’hui, ils discutent de la narration, scène après scène, se confrontent à l’occasion pour mieux en ciseler les enchainements, leur crédibilité psychologique et amoureuse. Avec ses intuitions quelle que soit la réalité de contribution du duc de La Rochefoucauld, Jean-Marie Besset joue la plausibilité historique de ce travail romanesque à quatre mains d’un livre mythique, qui est considéré comme le premier roman psychologique français, qui a marqué un tournant dans la manière d’écrire.
Avec délectation le metteur en scène Nicolas Vial virevolte sur les situations de ce qu’il appelle « une fantaisie historique’ , les deux acteurs avec énergie pour Sabine Haudepin et une onctuosité séductrice pour François-Eric Gendron s’approprient avec gourmandise la langue et l’intimité voir le désir de cet art de la conversation lient es personnages. Ils y insufflent sans artifice leur science de jeu, la délicatesse de leur maturité, et les subtilités de cette amitié qui a la force de l’amour, et cette complicité qui a l’effervescence du désir.
De ce savant tressage de ressorts intimes, créatifs, de la petite et de la grande histoire littéraire, on ne peut que partager la vision littéraire du monde revendiquée par Besset « pour adoucir ce que la vie peut avoir de brut et de brutal ».
L’élan de l’intelligence stimule toujours le plaisir de la curiosité.
#Olivier Olgan