Culture
Le réel, rien que le réel, pour le photographe Théo Combes (Stimultania - Strasbourg)
Auteur : Anne-Sophie Barreau
Article publié le 5 juin 2024
Qu’il revienne à Valras où il passait autrefois ses étés pour Un été de porcelaine – série réalisée dans le cadre de la « grande commande photographique » La France sous leurs yeux, à la BNF jusqu’au 23 juin et présentée dans l’exposition « Sous les sunlights » au pôle de photographie Stimultania de Strasbourg jusqu’au 21 septembre, ou qu’il couvre la campagne des élections européennes pour le journal Libération, c’est une photographie résolument ancrée dans le réel que pratique Théo Combes. Une photographie qui ne cherche « ni à sublimer, ni à mettre en scène » mais dont la force émotionnelle, rehaussée par l’utilisation du noir et blanc, saisit dans les séries personnelles. Théo Combes revient avec Anne-Sophie Barreau pour Singular’s sur cet angle de sa pratique.
Photographe documentaire
Vous êtes, dites-vous, un photographe « documentaire », le qualificatif apparaît sur votre site internet. Pourquoi cette précision d’emblée ?
Donner cette indication dès le départ est une manière de prendre de la distance vis-à-vis du plasticien et de l’artiste. Si je m’attache à faire des photos aussi belles que possible, je veux toujours, à travers elles, montrer le monde qui m’entoure et les personnes que je croise. Je ne cherche ni à sublimer, ni à mettre en scène, mais à montrer la réalité telle qu’elle est. Le terme documentaire, généraliste, est celui qui correspond le plus à la photographie que j’espère faire.
Quels sont les photographes qui ont aiguisé votre goût ?
Il y en a beaucoup, mais spontanément, je pense à Richard Avedon, Anne Rearick, et Anders Petersen.
Elections européennes
Vous avez été lauréat de la « grande commande photographique ». Pour le journal Libération, vous venez de couvrir un meeting du Rassemblement national dans le cadre de la campagne pour les élections européennes. Comment conciliez-vous le temps long de la commande et le temps court de la photographie de presse ?
Le rapport au temps est en effet complètement différent. Pour mes projets personnels, qu’il s’agisse de Un été de porcelaine, réalisé dans le cadre de la « grande commande photographique » ou Noire Méditerranée qui l’a précédé, je prends le temps de découvrir les lieux, les lumières, les ambiances. J’essaye de comprendre les gens et les situations que je photographie. La commande de presse exige, quant à elle, complètement l’inverse. Tout se passe très vite, il faut être réactif dans l’organisation et la réalisation, sans compter que je ne peux choisir ni le lieu, ni la météo. J’essaye donc de comprendre au plus vite le contour du sujet et de réaliser les images dans le temps imparti. C’est un exercice que j’aime beaucoup et qui m’aide énormément dans mes séries personnelles.
Un exercice qui se complique dans le cadre d’une campagne électorale où, pour approcher un candidat, il faut jouer des coudes…
C’est toute la complexité de ce type de commande. Le moment venu, on joue des coudes en effet, mais avant, on se renseigne : quel est le candidat ? Qui sont ses électeurs ? Pourra-t-on l’approcher ou sera-t-on « parqué » dans un coin presse comme cela peut arriver ? C’est toute une préparation.
C’est aussi un travail d’équipe puisque vous travaillez pour un journal
Si on prend l’exemple des photos que j’ai faites récemment pour Libération dans le cadre de la campagne pour les élections européennes, je savais parfaitement ce que le journal attendait de moi. Le choix de la photo se fait sous la supervision de l’iconographe de manière concertée. Nos deux regards se croisent, c’est très intéressant, chacun doit s’y retrouver, lui avoir la photo qu’il souhaite, moi, m’assurer qu’elle sera vue comme je veux qu’elle le soit. Puis de deux, ce travail passe à trois avec le journaliste qui va écrire l’article. Chacun doit trouver sa place, c’est passionnant.
Méditerranée
Quelle est la genèse de « Un été de porcelaine » ?
Je connais Valras depuis mon enfance. J’y suis allé en vacances, j’ai travaillé comme serveur saisonnier, j’ai même été photographe de plage il y a une dizaine d’années. À l’annonce du projet de la BnF, le chantier du plus grand immeuble jamais construit était en cours près de la plage et l’ancien casino avait été détruit. Il y avait une vraie volonté de moderniser la ville, de la rendre plus attractive, des choix que je comprenais même si la ville perdait beaucoup de son charme selon moi.
Dans ce contexte, j’ai eu envie de photographier les vacances à Valras, et ce que la série montre, me semble-t-il, c’est que cette nouvelle donne n’a pas fondamentalement bouleversé les choses, j’ai retrouvé les vacances que j’ai connues enfant.
Cette commande vous a-t-elle permis de travailler dans des conditions que vous n’aviez pas ou peu eu l’habitude d’expérimenter par le passé ?
J’ai disposé d’un confort qui m’a servi à avancer dans cette série sans me poser trop de questions pendant la réalisation, l’aide financière m’a permis de travailler librement pendant les deux mois d’été, c’est une liberté très appréciable. Je savais par ailleurs qu’un livre rassemblant l’ensemble des travaux serait publié, et qu’une grande exposition à la BNF, et d’autres, un peu partout sur l’ensemble du territoire – dont « Sous les sunlights » présentée en ce moment à Stimultania – les valoriseraient. Cela met une pression supplémentaire, c’est surtout très stimulant.
Comment avez-vous procédé avec les personnes que vous avez photographiées, notamment s’agissant du respect de la vie privée ?
La question est d’autant plus sensible que Valras est un espace fermé où l’on croise souvent les mêmes personnes. Beaucoup de photos ont été prises sur le vif. J’ai discuté avec chaque personne photographiée. Toutes ensuite ont été destinataires des photos et informées de leur place dans cette série.
En raison de la géographie, la filiation est évidente entre « Un été de porcelaine » et « Noire Méditerranée », travail fondateur dans votre parcours dans lequel vous abordez la question de l’immigration comme un fait constitutif du bassin méditerranéen
J’ai grandi entre Montpellier et Sète. L’immigration est un fait sur le bassin méditerranéen. Il y a cette citation célèbre d’Ernest Renan : « Il n’y a pas en France dix familles qui puissent fournir la preuve d’une origine franque ». D’une certaine façon, cette série, qui est un parcours entre Port-Bou et Menton sur les traces de l’immigration, vient l’illustrer.
L’immigration a façonné le bassin méditerranéen. On en parle souvent comme d’un problème alors que c’est quelque chose qui est installé.
Vous devez avoir les oreilles qui saignent quand vous couvrez les meetings du RN…
C’est toujours délicat… On est face à un électorat qui, bien qu’il vive sur ce territoire, ne veut pas admettre cette dimension.
Les photos de « Un été en porcelaine » et « Noire Méditerranée » sont en noir en blanc. Pourquoi ce choix ?
Je souhaitais situer ces deux séries dans l’espace, non dans le temps.
L’utilisation du noir et blanc qui efface le temps et joue sur la nostalgie allait de soi. Par ailleurs, mes souvenirs à Valras sont en noir et blanc. Ces deux séries ont été réalisées dans le même esprit.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
Cet été, je vais retourner à Valras pour continuer à photographier les saisonniers et les vacanciers. Je vais aussi voir comment la ville a passé l’hiver. En somme, je vais prendre des nouvelles du bord de mer. Et cette série, qui sait, donnera peut-être naissance à un nouveau sujet comme Noire Méditerranée l’a fait pour elle.
Propos recueillis par Anne-Sophie Barreau
Pour suivre Théo Combes
le site de Théo Combes
jusqu’au 21 septembre 2024 , Sous les sunlights, pôle de photographie Stimultania, Strasbourg, autour de l’insouciance, de la convivialité et des fêtes populaires
La France sous leurs yeux, 200 regards de photographes sur les années 2020, BNF Mitterand : Grâce à la « grande commande photographique » d’une ampleur historique – avec un budget de 5,46 millions d’euros – se dessinent les contours d’une France en clair-obscur, à la fois ouverte sur le monde et tentée par le repli, connectée et fragmentée, égalitaire et inégale, marquée par une nouvelle hiérarchie des territoires, une plus grande individualisation du travail, une économie et des paysages nouveaux, et des rapports au monde de plus en plus divergents.
En miroir de cette mutation de la France contemporaine, se donne aussi à voir l’évolution de la photographie de presse. Certains photographes font le choix d’être dans la captation de l’instant, voire de l’événement, se rapportant par là-même à la grande tradition du photoreportage de presse. D’autres optent quant à eux pour une temporalité moins marquée, revendiquant en ce sens un registre plus métaphorique et de nouvelles stratégies visuelles à même de nous faire prendre conscience des situations en jeu dans notre monde actuel.
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