Cinéma en salles : Le Retour, de Catherine Corsini (2023)
Loin des polémiques qui ont entourées la sélection du film en compétition officielle au Festival de Cannes, Patrice Gree qui avait adoré La Fracture (2021) rebelotte avec Le Retour. Le cinéma de Catherine Corsini, c’est le cinéma du réel. Rien de démonstratif. Les personnages sont de chair et sang, pas des fantômes au service d’une cause, mais les témoins d’une époque. Aucune caricature…ses fictions sont incarnées. Pour les uns tout semble facile, quand pour les autres, tout est obstacle. Corsini transcende le réel d’une belle intensité.
Jessica est belle, Farah rebelle.
Jessica a 18 ans, Jessica est noire. Jessica fait Sciences-Po, sa maman… des gardes d’enfants. Jessica (Suzy Bemba) a une petite sœur de 15 ans, Farah (Esther Gohourou). Jessica est sage, Farah en colère. L’une veut s’intégrer, l’autre lutter. Le noir colle à la peau des deux ! Elles se chamaillent, rigolent, se cherchent, se fuient, se retrouvent, se détestent et s’aiment. La maman jouée par Aïssatou Diallo Sagna – qui mériterait un prix d’interprétation à chaque plan, tant son jeu tout en retenue te renverse – part en Corse avec ses deux filles. Camping pour tous, plage pour les filles, boulot pour la mère qui tout l’été gardera les enfants d’une famille bourgeoise de gauche et de mauvais poil, dans une maison magnifique avec vue imprenable sur les sublimes côtes de l’île.
Imprenable, infranchissable, sont bien les mots qui conviennent !
J’ai deux sœurs ; un père corse, qui est mort dans un accident quand j’étais très jeune ; une mère qui ne supportait pas la Corse, où elle se sentait enfermée… Autant d’éléments qui dessinent des circuits et interrogent ce territoire complexe, comme le sentiment de se sentir étranger quelque part.
Catherine Corsini, réalisatrice Le Retour
Le décor est planté… la réalisatrice va nous faire rentrer dedans !
On apprend que le père des filles est mort, quinze ans auparavant dans un accident de la route à proximité du village où elles séjournent en essayant de rattraper sa femme qui, par le ferry, fuyait avec les petites vers le continent. Le silence de la mère sur le père se nourrit de sa culpabilité… Les filles ne savent rien de leur père, sinon qu’il était blanc et Corse. Corse, mille fois Corse…prisonnier de sa famille, de ses amis, et surtout de l’Île de beauté où la mère ne trouvait pas sa place.
En Corse, il y a quelque chose de violent et d’âpre dans les paysages, avec la mer d’un côté, mais aussi les montagnes, de l’autre. C’est un territoire dur, en réalité assez éloigné des images touristiques qui lui sont associées. Il y a là quelque chose d’ancestral, d’immuable, relié à des forces archaïques.
Catherine Corsini
Les filles explorent le mystère d’avoir un père blanc, quand on est noire.
L’aventure amoureuse, homosexuelle entre Jessica et l’ainée de la famille bourgeoise de gauche et de mauvais poil, ne comblera qu’un temps le fossé qui sépare les deux classes sociales. Ce film est riche du nombre de combat que Jessica devra mener pour s’alléger du poids d’une histoire familiale pesante, se libérer du regard normatif sur la sexualité, s’extraire de son milieu social et faire avec la difficulté incroyable d’afficher une simple couleur de peau différente !
Le film dépasse la problématique du racisme pour cheminer vers la question des racines, des origines, des manières de composer avec l’absence…
Catherine Corsini
Jessica, à peine 18 ans, est déjà sur quatre fronts !
L’homosexualité féminine, ici, n’est pas là pour remplir un quota imposé ou satisfaire le spectateur voyeur, elle a ici un sens précis. L’amour ne résout pas tout, même dans les marges partagées, il y a des barrières de classes, infranchissables.
Le cinéma de Corsini, c’est le cinéma du réel ! Rien de démonstratif. Les personnages sont de chair et sang, pas des fantômes au service d’une cause, mais les témoins d’une époque. Aucune caricature…ses fictions sont incarnées.
En vieillissant, on s’ouvre aussi à des choses intimes et l’on a moins peur d’aller creuser en profondeur et de parler de soi à travers une fiction.
Catherine Corsini
Ses personnages sont des gens ordinaires, aux visages banals, dont la beauté repose sur l’authenticité.
Pris dans les tourments de la vie, dans les tournants de l’histoire, ils se débattent, comme ils peuvent, pour survivre au mieux. Mais ce film est drôle aussi. Il faut voir le subtil Denis Podalydès en père de famille, bourge de gauche, se féliciter de l’homosexualité de sa fille…très fier de sa tolérance ! Ah narcissisme quand tu nous tiens !
J’avais adoré La Fracture (2021)… rebelote pour Le Retour !