Cinéma en salles : Le temps d’aimer, de Katell Quillevere (2023)
avec Anaïs Demoustier, Vincent Lacoste, Helios Karyo, Margot Ringard-Oldra, Paul Beaurepaire, Josse Capet.
Réparer les vivants, titre d’un précédent film de Katell Quillévéré aurait pu aussi être le titre de ce Temps d’aimer; tant cette histoire d’amour est bousculée par l’Histoire sur près de trente ans de façon tumultueuse. Le destin de ces éclopés, inspiré de l’histoire de la propre grand-mère de la réalisatrice, permet un scénario ambitieux qui a ému Patrice Gree. Tranchant avec la liesse habituelle, la Libération n’a pas le beau visage de la joie enfin retrouvée, mais la sale gueule de la haine crachée aux visages de tous celles et ceux qui ont des désirs contraires. Le film a la force d’une histoire vécue, bien sûr, mais au-delà, interroge sur la part d’ombre ou de lumière qui attire les êtres.
Tête rasée, à moitié nue, une jeune femme affolée court dans les rues de son petit village normand.
Réfugiée dans sa cuisine, en larmes, elle s’active à faire disparaitre une énorme croix gammée peinte en noir sur son ventre rond et blanc de femme enceinte… Cinq minutes d’images d’archives tremblantes, précède cette scène de fiction qui lance le film. Il faut voir alors l’épouvantable contraste entre la terreur de ces femmes exposées, déshabillées, et la jouissance palpable des tondeurs improvisés, maîtres sur leur estrade de foire du spectacle ignoble offert à une foule hilare. Nous sommes à la Libération…
La Libération ici n’a pas le beau visage de la joie enfin retrouvée, mais la sale gueule de la haine crachée.
La jeune femme s’appelle Madeleine (Anaïs Demoustier)… Son crime : être tombée amoureuse et enceinte d’un soldat allemand qui disparaîtra sur le front de l’Est. Cette histoire d’amour de quinze jours à peine, déterminera tout le reste de sa vie…
Nous la retrouvons trois ou quatre ans plus tard, en compagnie de Daniel son petit garçon. Elle est serveuse dans le resto chic d’une station balnéaire bretonne. C’est dans ce cadre estival, où elle travaille dur, élève seule son fils, qu’elle fera la rencontre de François (Vincent Lacoste), un étudiant timide, atteint de la polio, issue d’une grande famille bourgeoise du Nord de la France. Une seconde histoire commence… celle qui au-delà des dénonciations, donne sa profondeur singulière au film. François est homosexuel…c’est son crime à lui ! Cette homosexualité honteuse – nous sommes à la fin des années 40 – fait de lui un être coupable, solitaire, qui se cache. Madeleine regarde ce beau jeune homme, qui ne la juge pas. François est sincèrement attiré par cette jeune femme qui le regarde. Elle lui dira tout de suite sa blessure, son secret, il taira le sien !
La honte est cette fissure par laquelle l’amour va s’introduire…dans leur histoire !
Leurs blessures scellent leur union.
Madeleine représente la sécurité et la paix d’une vie de famille aimante…il l’épousera !
Mais rattrapé par ses désirs, dénoncé, l’histoire basculera tragiquement. Tu éprouves beaucoup d’affection pour ces deux personnages tordus par la vie, qui tentent ensemble de se redresser.
Alors prends feu !
Seulement si tu t’enflammes
Tu connaîtras le monde autour de toi !
Car au lieu seul où agit le secret, commence aussi la vie.
Katell Quillévéré et Gilles Taurand, dialogues Le Temps d’aimerCe film nous rappelle l’incroyable violence que la société de l’époque exerçait sur les homosexuels : traques, tabassages, licenciements, abandons, arrestations…taule !
Des vies entières foutues en l’air ! Il faudra attendre l’arrivée au pouvoir de Mitterrand pour que l’homosexualité soit enfin dépénalisée !
« Le temps d’aimer » est un beau film. Il a la force d’une histoire vécue, bien sûr ! Mais au-delà du récit personnel qui témoigne d’une époque, il pose une question rigolote : N’est-ce pas l’ombre chez l’autre qui inconsciemment nous attire, autant que sa lumière, dans un premier temps…nous a éblouit ?