Le travail de mémoire d’Emile Bravo, auteur de Spirou, l’espoir malgré tout (Dupuis)
Singular’s : Comment le personnage Spirou devient un moyen didactique de raconter la Shoah, et l’histoire de Félix Nussbaum ?
Emile Bravo : J’ai raconté une histoire par substitution mais qui est composée d’éléments réels. L’idée est d’entraîner le lecteur dans une histoire, puis lui dire que ce qu’il lit, c’est pratiquement la réalité. Au travers de ce personnage de Spirou, qui est encore un enfant avec tout à apprendre, c’est facile de s’identifier à lui en tant qu’enfant. Il découvre l’horreur de l’occupation, c’est aussi un personnage populaire dont je m’en suis servie pour faire prendre conscience de ce qui s’est passé.
Je me suis servi de Spirou pour parler de la condition humaine.
Comment le Journal de Spirou, et son rédacteur en chef et résistant Jean Doisy (1900 – 1955) ont-ils influencé votre histoire ?
C’était en toile de fond, j’ai voulu parler de Spirou et non la résistance. Je voulais parler d’un enfant qui se construit avec le traumatisme de l’occupation. Je voulais montrer que derrière le Théâtre du Farfadet, il y avait un réseau de résistance, mais Spirou n’est pas trop au courant et s’engage un peu malgré lui dans la résistance.
Le Théâtre du Farfadet ayant existé réellement, et fait vivre le Journal de Spirou pendant l’occupation car impossible de sortir des papiers à ce moment. J’ai pris ça comme une métaphore, le théâtre de marionnettes dans mon histoire fait vivre Fantasio et Spirou car c’est leur gagne-pain et cache aussi un réseau de la résistance.
Nous ne savons pas trop ce qui se passe car la résistance est cachée, il y a un clin d’œil avec l’un des marionnettistes emprisonnés en Allemagne.
Pourquoi pensez vous que Triomphe de la mort, de Félix Nussbaum nous renvoie à nous-mêmes ?
Quand vous regardez ce tableau, il montre l’image de ce qu’est un régime totalitaire, du nazisme, avec la culture qui est au pied, des corps décharnés, c’est une danse macabre qui ressemble à Auschwitz. C’est le dernier tableau de Félix Nussbaum (1904 – 1944) et il est prémonitoire. Le peintre est arrêté en 1940, prisonnier dans le camp de Saint-Cyprien et sera envoyé au camp Auschwitz-Birkenau où il décède le 20 septembre 1944.
Pendant toute la bande dessinée, nous ne savons pas que c’est lui et juste à la fin de l’histoire, lorsque nous voyons son tableau que nous nous apercevons que tout est réel et qu’il a été assassiné en Pologne. Ce n’est pas qu’un personnage de BD mais un artiste qui disparaît dans la Shoah, dans la réalité, ce qui doit créer un choc.
Comment le journal de Polstroy vous a-t-il aidé à créer votre histoire ?
C’est un travail de sociologie qui a été écrit pendant la guerre. Si nous voulons nous plonger dans cette époque, il faut aussi plonger dans l’état d’esprit des belges à ce moment. Il n’était évidemment pas le même en 1940 et en 1944, ça permet de comprendre l’époque. En 1940, ils pensent que les Allemands vont gagner la guerre, les soviétiques sont alliés des Nazis, les Américains ne sont pas encore rentrés en guerre.
En 1944, quand les Américains sont en Italie et en France, les Russes sont aux portes de Varsovie, tout le monde voyait bien que l’Allemagne était en train de céder. Ils espéraient la libération et sont dans l’attente de la fin de cette Guerre. Tous les six mois, Polstroy envoyait son rapport tous les six mois au gouvernement Belge en exil à Londres. C’était fait sous couvert d’un journal.
Vous êtes le fils d’un Espagnol qui a combattu le Francisme, cette filiation vous donne-t-il un ressort pour parler du fascisme ?
Dès l’enfance, j’étais très sensible à l’injustice. J’ai vu mon père qui s’était battu contre les fascistes, il avait perdu sa guerre. Lorsqu’il se réfugie en France dans un pays démocratique, il se retrouve dans un camp concentrationnaire en arrivant dans le sud à Argelès. Ça créer un lien avec Félix Nussbaum qui subit une injustice en étant interné dans ces mêmes camps à Saint Cyprien. J’ai eu envie d’en parler.
Qu’est-ce qui vous a amené à Spirou ?
On m’a demandé de faire une histoire sur Spirou : le premier que j’ai fait se termine quand la guerre éclate et que sa conscience s’éveille au monde. Là c’est d’expliquer comment sa conscience se construit à travers le traumatisme de l’occupation et de le raconter dans les quatre volumes.
Comment l’humour dans « Spirou, l’espoir malgré tout » a été utilisé ?
L’humour est une arme, que ce soit pour tenir, pour subir. C’est des décalages entre Fantasio qui est adulte et déjà formaté, confronté au regard innocent de Spirou par exemple.
Fantasio comprend mal les situations, comme beaucoup d’adultes
qui ne comprenaient pas trop ce qui se passait lors de l’occupation.
#Baptiste Le Guay