Les Comédies romantiques vues par Marianne Levy renouent avec un art d’aimer collectif
Nous avons vu des films il y a des années, nous gardons des images, des « punch lines », des scènes… A notre insu souvent, nous les réécrivons dans nos souvenirs, nous ajoutons des répliques, ou des silences. La mémoire du cinéma se confond avec celle de notre propre vie.
Le réalisateur Philippe Le Guay (Les femmes du 6é étage) à propos du livre de Marc Cerisuelo, Comédie (s) américaine (s) [éd. Capricci]
Faut-il citer des titres, pour cerner la rom com ?
Chacun a ses ‘doudous’ cinéphiliques intimes en fonction de ses goûts, son existence et ses nostalgies. Les titres que chacun peut citer sont le reflet évidemment embellie d’une existence. De « Indiscrétions » à « Harry meet Sally », de «New York Miami » à « Love Actually » dont le 20e anniversaire sont l’occasion d’ une sortie en salle restaurée et en dvd 4K, chacun retrouve dans les « rom com » pour le revivre un passage essentiel du scénario de sa vie amoureuse : du « premier regard » au « premier baiser » de la rupture « cadeau » à l’happy ending sous toutes ses formes « communautaire » voire « gourmand »…
De l’universalité à l’américaine
Qu’il soit un « Plaisir assumé ou coupable, certainement universel, comme l’assume celle qui partage sa love story avec des œuvres qui ont fait d’elle une romancière et une scénariste, nous sommes tous rattrapé par « le souvenir d’un scénario tout entier dédié au mystère du sentiment amoureux, matière première intemporelle de la comédie romantique avec ses passages obligés. » Et depuis que le cinéma américain existe, en effet Marianne Levy cite très peu de rom com européennes, et c’est un regret quid des chefs d’œuvres italiens et espagnols ?, il a toujours surfé sur le meilleur et le pire de notre fragilité amoureuse : « pour parvenir chaque fois à nous surprendre quand même, c’est là, salue l’auteure que réside tout le défi pour leur créateur. »
Les pages sont consacrées au génie d’auteurs qui, depuis l’invention du cinéma ou presque, ont voué leurs neurones à la connectique amoureuse et au délicieux chaos qu’elle engendre (…)
Marianne Levy
De la connectique amoureuse, au délicieux chaos qu’elle électrise.
Cet album autant de souvenirs que de découvertes potentielles est autant un plaidoyer de cinéphile, imbibée de pop culture qu’une exigence à distinguer les chefs d’œuvres de l’ivraie – ses copy cat sentimentaux débités au kilomètre qui envahissent les plateformes structurellement, et surtout en période de Noel. Ne pas confondre « rom com » et « Christmas com« . Ce guide précieux et somptueusement illustré est à offrir parce qu’il sort des algorithmes pour permettre à chacun d’effeuiller avec gourmandise des existences rêvées.
Un art d’aimer par procuration
Pour aller plus loin, l’introduction éclairante et stimulante de Thibaut de Saint Maurice rappelle que la rom com est un « art d’aimer » par procuration, mais aussi « Il suffit d’un rien, d’une situation de départ des plus ordinaires, pour que chacune de nos vies devienne à son tour une comédie romantique. »
Comment donc retrouver la vue sans perdre l’amour ? Comment apprendre à voir cet amour qui pourtant ne nous fera plus jamais voir le monde pareil ?
Chacune des comédies romantiques répond, à sa manière, à cette question. Le jeu de la romance et la puissance de projection de la comédie révèlent cette lumière nouvelle de l’amour. Tel est l’enjeu des comédies romantiques, quelle que soit leur forme – théâtre, film, série, roman – : nous apprendre au fond que l’amour qui nous saisit ne nous empêche pas de voir qui nous sommes et qui est l’être aimé, mais qu’il nous invite au contraire à découvrir qui nous sommes appelés à être en devenant l’aimé de celui ou de celle que l’on aime.
Thibaut de Saint Maurice, préface, L’art d’aimer
« Je prendrai la même chose qu’elle ! »
Avec la comédie romantique, la culture contemporaine dispose enfin d’un « art d’aimer » réellement « populaire », au sens de largement accessible, et ne requérant, pour être perçu, aucune maîtrise obligée de telle ou telle référence ou de telle ou telle compétence. Populaire donc, puisque dépassant le cadre des audiences plus réservées des arts d’aimer d’autrefois comme Les Métamorphoses d’Ovide, les romans courtois, les pièces de Shakespeare ou les romans de Jane Austen. Et populaire enfin parce que mettant en scène cet « art d’aimer » avec des personnages de tous les milieux sociaux et de toutes les formations, voire le plus souvent de milieux et de formations différentes.
Sincérité du combat et humour dévastateur, des films bonbons, sucrés / salés, mais surtout à la fin quand il n’y a plus ni assiettes à jeter, ni pièges à fomenter, une nécessité pour la tolérance. Par les temps qui courent trop à l’individualiste, il est rafraichissant de vivre un cinéma de qualité – même si le meilleur de la com rom se déporte désormais dans les séries – qui nous renoue au collectif.
Et que l’on partage encore au cinéma ou sous la couette.