Les marchands d’étoiles, de et avec Anthony Michineau (Théâtre du Splendid)
L’étoile ne rime pas toujours avec rêverie
Derrière ce titre qui fleure le romantisme doucereux, le spectateur est entrainé en quelques scènes dans une réalité bien plus noire, efficacement campée et parfaitement incarnée par une troupe très investie. Raymond Martineau fabrique dans sa boutique de tissus à Paris les étoiles jaunes destinées aux Juifs. Nous sommes un soir de juin 1942 à Paris et notre boutiquier avec sa femme, sa fille et leurs deux employés Louis et Joseph- dont le père est breton et la mère est juive – font l’inventaire. Mais le couvre-feu impose ses règles. Seul, un voisin de Louis, membre de la milice circule dehors et s’incruste dans la boutique.
L’oppression acide d’un huis-clos
Malgré leur légèreté innocente ou naïve, toujours inconsciente, les personnages de ce huis clos, creuset d’humour désespéré et d’émotions collectives sont entrainés malgré eux dans une spirale et devront assumer leurs actes ou leur résignation. Et le changement de genre capte le spectateur. « Je voulais que la pièce démarre comme une comédie légère. Une famille de marchands de tissus et ses deux employés organisent le fonctionnement de leur entreprise de textiles parisienne et puis, lentement, la petite histoire est rattrapée par la grande » explique le metteur en scène Julien Alluguette.
La comédie bascule alors dans le drame, puis dans la tragédie pure. Le doute et les rapports de force viennent s’immiscer dans la sphère intime. Les personnages s’interrogent alors et luttent, parfois contre eux-mêmes.
Le devoir de mémoire
Ne vous fiez pas à cette note d’intention que la pièce et la troupe transcendent. Il convient de ne pas vous en dire plus sur l’intrigue et ses rebondissements. Sachez que vous serez rapidement saisi par l’écriture fine et percutante d’Anthony Michineau, qui joue aussi l’employé Louis. Et comment elle vous fait passer du rire aux larmes et à l’effroi. La mise en scène accompagne la tension dramatique qui monte et courre dans un décor de Georges Vauraz.
et un enjeu politique
« C’est une pièce sur le devoir de mémoire, sur ce qu’était la France en 1942, avec ses monstruosités, ses traitres et ses dénonciations. Plus que jamais, avec la montée des différentes « phobies » actuelles (il est stupéfiant, pour ne pas dire affligeant, de constater le nombre de personnes qui se battent CONTRE le bonheur ou la survie de leurs voisins) nous avons le devoir, l’obligation, de rappeler qu’il est dangereux de fracturer les peuples, et que la conséquence de cette désunion, dans la première moitié du XXe siècle, a été la montée du nationalisme et les horreurs qui en ont résulté. »
Anthony Michineau
Une distribution efficace
Pour aborder des thèmes universels dans une fiction plongée dans un contexte que l’on croit toujours connaître , il faut une troupe bien incarnée. C’est la force de cette pièce de faire oublier les enjeux pour mieux nous plonger dans un tissu de chair et de sang.
A commencer par le patriarche Martineau, Nicolas Martinez avec son accent truculent du Sud, campe un bon bougre qui a la blague facile, gaffeur et le cœur sur la main. Son épouse interprétée par la parfaite et émouvante Stéphanie Caillol, passe derrière lui pour régler les situations. Il y a aussi la jeune et talentueuse Axelle Dodier (la fille) tout comme Guillaume Bouchède, Julien Crampon. Par leur talent de décliner toutes les émotions, ils nous entrainent dans un supplément de vie et nous mettent mine de rien face à nos responsabilités.
Premier choc de la rentrée, Les marchands d’étoiles est appelé à remporter un succès mérité et que l’on verrait bien sur la liste des prochain Molières.
Du mercredi au samedi à 21h00, samedi 16h30 à dimanche 17h00.
Théâtre du Splendid, 48 rue du Faubourg Saint-Martin 75010 Paris
Avec : Nicolas Martinez, Guillaume Bouchède, Anthony Michineau, Julien Crampon, Stéphanie Caillol et Axelle Dodier
Équipe artistique :
- Mise en scène : Julien Alluguette, assistante mise en scène : Blandine Guimard
- Scénographie : Georges Vauraz
- Création sonore : Yohann Roques
- Lumières : Ronan Le Magorec