Les Raisins de la colère, d’après Steinbeck, par Xavier Simonin (Théâtre Michel)

Première adaptation mondiale autorisée par les ayants droits du roman culte de John Steinbeck, le défi était immense tant Les Raisons de la Colère est une tragédie d’une ampleur quasi biblique.  A la fois adaptateur, metteur en scène et conteur, Xavier Simonin réussit à la fois à nous émouvoir sur l’exil calvaire de la famille Joad et nous fasciner sur la modernité d’un texte visionnaire. Véritable compagnonnage, la musique originale signée de Claire Nivard et Glenn Arzel qui sont sur scène avec Stephen Harrison transcende l’humanité du drame avec ses accents du Sud profonds. Cette véritable chanson de geste pour Olivier Olgan moderne et bouleversante est à voir au Théâtre Michel jusqu’au 20 avril 2024.

Le défi de l’adaptation

Depuis le film mythique de John Ford de 1940, réalisé du vivant de John Steinbeck (1902-1968), jamais ses ayants droits n’ont autorisé la moindre adaptation de ce roman au cinéma ou au théâtre !

Trois ans d’efforts pour vaincre toutes leurs appréhensions et parvenir à une adaptation par Xavier Simonin.

Le parti pris est ambitieux : privilégier la narration, un conteur interprète tous les personnages, accompagné d’un trio musical. Tout est concentré pour valoriser le récit et lui donner une dimension épique, voir prophétique.  Le décor est minimaliste, quelques palettes, boites de pailles pour renforcer une dimension humaniste et universelle à ces déracinés.  L’exil forcé – même s’il est intérieur – des Joad, une famille pauvre de métayers de l‘Oklahoma  les jette sur les routes au cœur de la Grand dépression. La terre promise rêvée, la Californie ne sera que désillusion et la xénophobie, un enfer déshumanisé. La traduction montre que la puissance du texte n’a rien perdu de sa modernité.

Xavier Simonin anime une chanson de geste avec le soutien de Claire Nivard, Glenn Arzel et Stephen Harrison, Les Raisins de la Colère (Théâtre Michel) Photo Laurencine Lot

Notre spectacle propose de restituer cette histoire d’hier qui résonne aujourd’hui comme un présage pour demain. Notre lumière sera la musique offrant la faculté d’éclairer la tragique histoire des Joad et de nous transporter par des voies sensibles tout au long de la route 66 : un texte fondateur, des voix pour le porter, entre chant et narration, entre langue américaine et française.
Xavier Simonin

Une chanson de geste

Xavier Simonin fait le récit des Raisins de la Colère, d’après Steinbeck (Théâtre Michel) Photo Laurencine Lot

Il faut saluer la performance de Xavier Simonin ; le conteur omniprésent est l’acteur caméléon qui ne ménage pas ses efforts pour incarner tous les protagonistes d’une tragédie moderne. Il se glisse dans la peau et la tête des membres de la famille Joad, pauvres fermiers en exil confrontés et réduits en « mains d’œuvre » par ceux en butte à la xénophobie qui les craignent et les exploitent. Sa palette d’émotions est large, du mime à l’imitation. Sa mise en scène très fluide peut s’appuyer sur le jeu de lumières qui permet de multiplier les ambiances, des moments de répits (bain dans la rivière, fête collective, bivouac, ..) comme la multiplication des drames et des agressions, …

Des enjeux de rareté de l’eau, de migrations, de lutte économique et de paupérisation de certains au profit d’autres se précisent chaque jour un peu davantage, au nord comme au sud. Parlons de sujets graves avec la lumière nécessaire pour y voir plus clair. C’est ce que proposait Steinbeck pour illuminer son temps…

La musique personnage à part entière

Claire Nivard et Glenn Arzel signent le musique des Raisins de la Colère, adapté par Xavier Simonin Photo Laurencine Lot

Auxiliaire précieux de l’imaginaire, véhicule sensoriel au sens figuré ici de l’exode des Joad, la musique signée de Glenn Arzel et Claire Nivard retranscrit en chansons les chapitres qui ont été condensés. Dirigé par Jean-Jacques Milteau (Harmoniciste, compositeur, 2 Victoires de la Musique, grand prix du jazz de la Sacem), les rythmes suaves contribuent à animer un décor sonore mais surtout une présence qui aide à se plonger dans le contexte historique. Même si l’on a bien compris, que cette migration – pour raisons climatiques et économiques – a des connotations actuelles. « Notre lumière sera la musique offrant la faculté d’éclairer la tragique histoire des Joad et de nous transporter par des voies sensibles tout au long de la route 66 » revendique le metteur en scène.

Un appel à la solidarité autant qu’à la révolte.  Les notes habitent cette chanson de geste moderne et prégnante, mais habitent surtout un texte, fort, réflexif, brûlant.

Les sonorités très « countries » assumées s’inspire des musiques de Woody Guthrie, nourries des reprises de Bob Dylan ou de Bruce Springsteen … La contrebasse, les guitares, le violon, s’inscrivent comme des voix complémentaires du récit. Toutes les émotions prennent vie : douleur, nostalgie, espoir, désenchantement, s’y expriment.

Ce spectacle sobre mais dérangeant par son rayonnement nous parle d’aujourd’hui.

Les musiciens sont les compagnons du récit de Xavier Simonin dans Les Raisins de la Colère,  (Théâtre Michel) Photo Laurencine Lot

« Agriculture intensive, appauvrissement des sols, catastrophe climatique, exode, racisme, conditions de travail inhumaines. Quatre- vingt- dix ans plus tard, à une autre échelle et en d’autres lieux, nous y sommes ou bien nous y serons bientôt » rappelle Charles Recoursé, auteur de la plus récente traduction publiée chez Gallimard en 2022 qui écrit dans sa préface :

Les personnages de Steinbeck sont les paysans affamés par les vagues de chaleur au Pakistan et au Kenya, ou ruinés par les grands propriétaires au Brésil ; ce sont les employés des entrepôts géants de la vente en ligne et les livreurs sans papiers qui sillonnent nos villes.
Charles Recoursé

Autant dire qu’ à la sortie de ce spectacle nécessaire – qui semble bien court tant il passe vite – après autant d’ascensions émotionnelles et réflexives, ses résonnances vous poursuivront longtemps.

Olivier Olgan

Jusqu’au 20 avril 2024., du jeudi au samedi à 19h, Dimanche à 18h, Théâtre Michel, 8 rue des Mathurins, 75008 Paris

Adaptation & mise en scène : Xavier Simonin, Direction musicale : Jean-Jacques Milteau
Musique originale : Glenn Arzel & Claire Nivard, Lumières : Bertrand Couderc, Costumes : Aurore Popineau
Avec
Xavier Simonin, et, en alternance : Manu Bertrand ou Glenn Arzel, Stéphane Harrison ou Sylvain Dubrez, Claire Nivard ou Roxane Arnal