L’Impresario de Smyrne, d’après Goldoni, par Laurent Pelly (Athénée - Théâtre de Caen)

Où peut-on mieux traiter de la difficulté du métier d’acteur que dans un théâtre qui a été dirigé par Louis Jouvet ? Le ravissant Théâtre de l’Athénée a accueilli du début mai, L’impresario de Smyrne, scènes de la vie d’opéra . Il s’agit en fait d’une adaptation, signée Agathe Mélinand, de deux pièces de Carlo Goldoni (Le théâtre comique et L’Impresario de Smyrne) au sein de laquelle ont été insérés des aria de Gluck, Vivaldi et Pergolèse. Les acteurs sont en permanence accompagnés d’un clavecin, d’un violon et d’un violoncelle, et le public est de temps en temps gratifié d’airs d’opéra. De telle sorte que l’on est plus proche pour Philippe Raimbourg* de l’opéra-comique que du théâtre. Une fusion réjouissante qui se poursuit au Théâtre de Caen du 22 au 24 mai

Un habile mélange des genres

L’action se passe à Venise. Un groupe de chanteurs d’opéra se désole de ne pas avoir d’emploi. Un de leurs protecteurs les avise alors qu’un riche impresario vient d’arriver de Turquie en vue de monter un spectacle à Smyrne avec une troupe italienne. Ce sera à qui se fera embaucher, et aux meilleures conditions, par cet impresario miraculeux. Et pendant près de deux heures, le public rira de la vanité et des prétentions de ces acteurs.
Mais il en sera aussi ému, car l’œil de l’auteur et du metteur en scène est bienveillant et le rire bon enfant.

L’impresario de Smyrne, mise en scène de Laurent Pelly, Théâtre Athénée Photo Dominique Bréda

Laurent Pelly assure la mise en scène

On a pu applaudir, il y a près d’un an, la très sensible représentation de Lakmé de Léo Delibes qu’il avait donnée à l’Opéra Comique de Paris. Il manie ici avec efficacité l’art de la métonymie. Si le spectateur est persuadé d’être à Venise, ce n’est pas en raison d’un décor ou d’éléments scéniques particuliers. Bien au contraire. La scène est entièrement dépouillée, et seul le plan incliné du plancher est visible par le spectateur.
La certitude d’être à Venise nous vient non pas d’éléments visuels mais de sons qui constituent autant de signes et d’éléments de reconnaissance de la Sérénissime : le trio de musiciens interprète en effet des œuvres de Vivaldi alors que la bande-son égrène les cris des mouettes pour nous rappeler que l’on se situe en bord de mer.
Enfin, seul élément visuel de cette mise en scène, un immense cadre de tableau doré, posé de guingois et qui encadre l’ensemble de la scène et la vision du spectateur, nous indique qu’il s’agit de théâtre.

L’impresario de Smyrne, mise en scène de Laurent Pelly, Théâtre Athénée Photo Dominique Bréda

Ce dépouillement de la scène laisse la place au jeu des acteurs qui peut pleinement s’y déployer.

L’impresario de Smyrne, mise en scène de Laurent Pelly, Théâtre Athénée Photo Dominique Bréda

Des mouvements d’ensemble rythmés par le clavecin et le violon (qui simulent à merveille la traversée en mer) et surtout de nombreuses scènes qui sont sur-jouées par les acteurs, de façon volontairement ridicule, et font penser à des mouvements de danse. Les acteurs sont tous de noir vêtus, à l’exception de l’impresario de Smyrne qui est en blanc. Le plancher de la scène est aussi de couleur blanche. De telle sorte que ce spectacle constitue une élégante bichromie en noir et blanc. Les acteurs sont tous excellents et campent avec drôlerie, mais aussi sensibilité, cette troupe sans emploi et sans public. Les airs ne sont pas très nombreux. On le regrette un peu, d’autant plus qu’un des rôles de ténor est interprété par Natalie Dessay à laquelle est confié un seul aria.

Un spectacle de grande qualité et réjouissant, qui après avoir été interprété à Bruxelles, à Louvain-la-Neuve, et à Paris hélas pour trop peu de représentations, se poursuit au Théâtre de Caen du 22 au 24 mai.

Philippe Raimbourg*

L’impresario de Smyrne, Scènes de la vie d’opéra, d’après C. Goldoni. Mise en scène de Laurent Pelly

Tognina, Chanteuse vénitienne Natalie Dessay • Annina, Chanteuse bolognaise Julie Mossay • Lucrezia, Chanteuse florentine Jeanne Piponnier • Ali, marchand de Smyrne et Nibio, impresario Eddy Letexier • Carluccio, castrat Thomas Condemine • Pasqualino, ténor et ami de Tognina Damien Bigourdan • Le Comte Lasca, ami des chanteuses et des chanteurs Cyril Collet • Maccario, pauvre et mauvais poète dramatique Antoine Minne • Le serviteur d’un hôtel, un souffleur, et quelques animaux…

Violoncelle Mélisande Corriveau/Arthur Cambreling • Clavecin Olivier Fortin • Violon Paul Monteiro,  L’Ensemble baroque Masques, dirigé par Olivier Fortin

*Diplômé d’HEC et major du concours d’agrégation des universités, Philippe Raimbourg est Doyen honoraire de l’Université Panthéon-Sorbonne et professeur affilié auprès de l’école de commerce ESCP. Il signe plusieurs contributions et ouvrages dont les plus récents sont « Ingénierie financière, juridique et fiscale » (Dalloz, 2024) et « Reforming rating agencies in ‘Financial Regulation in the E.U. » (Palgrave, 2017) ainsi que de nombreux articles dans des revues scientifiques. Passionné de théâtre et d’opéra, il livre pour Singular’s son premier coup de coeur.