Voyages

L’incroyable épopée parisienne de la cathédrale russe de la Sainte-Trinité

Auteur : François Collombet
Article publié le 2 juillet 2018 à 15 h 33 min – Mis à jour le 6 juillet 2018 à 15 h 48 min

La cathédrale de la Sainte-Trinité à Paris est le symbole du grand retour de l’Eglise orthodoxe russe sur la scène internationale. Une histoire à multiple rebondissements pour ce chef d’œuvre signé Jean-Michel Wilmotte installé quai Branly à Paris. Née dans les affres du XXe siècle, elle a connut jusqu’à sa consécration en 2016, autant de tribulations (politiques, religieuses, diplomatiques, financières…) que ses grandes sœurs du Moyen Âge.

 

Une cathédrale comme un défi autant spirituel que politique

En élevant à Paris la cathédrale de la Sainte-Trinité, la plus contemporaine des cathédrales orthodoxes russes, conçue par Jean-Michel Wilmotte*, la Russie lançait au monde occidental un défi à la fois spirituel et politique : construire un Centre spirituel et culturel orthodoxe russe au cœur de Paris, le long de la Seine, quai Branly, entre le Ministère des Affaires étrangères et la Tour Eiffel. Il s’agit d’un ensemble de quatre bâtiments dont les façades ont la particularité, à l’image d’un millefeuille, d’être assemblées en strates de pierres. Il comprend outre la cathédrale, une maison paroissiale, un auditorium de 200 places, un centre culturel avec 2 salles d’exposition, un centre administratif, une école primaire bilingue franco-russe, une librairie…

*Le projet conçu par Jean-Michel Wilmotte ne fut classé que deuxième par le jury réuni en 2011 préférant celui de l’architecte espagnol Manuel Núñez Yanowsky qui prévoyait une immense canopée de verre. Mais… (Voir infra, les embûches et les coups tordus du projet).

Façade du portail extérieur
Façade du portail extérieur de la cathédrale orthodoxe russe de la Sainte-Trinité à Paris. Dans la liturgie orthodoxe, en entrant et en sortant d’une église, on se signe trois fois avec une inclination des reins (les orthodoxes ne se mettent pas à genoux, mais se tiennent debout). La célébration de la liturgie orthodoxe est appelée “Divine liturgie” (on ne dit pas messe).

Un « petit Kremlin » sur les bords de la Seine

Mais ne modérons pas notre admiration, la cathédrale de la Sainte-Trinité est une merveille ! Voyez sa grande voûte hémisphérique et ses quatre petites chapelles coiffées de 5 coupoles recouvertes de feuilles d’or (un or mat) surmontées de croix orthodoxes, rendant l’édifice reconnaissable de partout. Avec cette architecture orthodoxe russe qui se combine aux techniques les plus avancées de l’architecture moderne, ce « petit kremlin » est devenu le point de mire du monde orthodoxe qui réunit en France près de 500 000 fidèles. Et quelle meilleure position pour promouvoir ce qu’on appelle aujourd’hui le soft power, mais un soft power russe, russe orthodoxe alors que des esprits chagrins ne voudraient y voir que de la propagande ! Enfin, examinons comment, à coup de rebondissements politiques et diplomatiques, ces 4200 msitués, rappelons-le, au coeur névralgique de la capitale française, sont devenus territoire russe.

A l’intérieur de la cathédrale de la Sainte-Trinité

A l’intérieur de la cathédrale de la Sainte-Trinité, l’iconostase (la cloison recouverte d’icônes qui sépare le chœur de l’assemblée).

Comment la cathédrale, aux cinq bulbes d’or, se fond dans le paysage parisien ?

Cette cathédrale de la Sainte-Trinité, si orthodoxe, si russe, si contemporaine en plein Paris, quel incroyable contraste ! Pourtant, l’apercevoir quai Branly, face au pont de l’Alma, dans toute la pureté de ses lignes, aucun doute n’est possible, elle se fond admirablement dans le paysage parisien ! Voici donc le coup de génie du grand architecte Jean-Michel Wilmotte qui l’a parée de blanc et d’or avec ses cinq bulbes* si caractéristiques de l’architecture religieuse russe. Oui, assurément la cathédrale de la Sainte-Trinité est un chef d’œuvre qui enorgueillir Paris. Et quel plus beau compagnonnage pouvait-on imaginer avec le Musée Quai Branly Jacques Chirac situé à deux pas ! Sa conception due à Jean Nouvel avec ses façades en verre et son mur végétalisé (un des plus importants murs végétalisés au monde) marque l’architecture de cette première partie du XXIe siècle.

* Ces cinq bulbes (dont le plus grand mesure 17 m de circonférence et pèse 8 tonnes) recouverts de 90 000 feuilles d’or sont le symbole du Christ et des quatre Évangélistes : Jean, Luc, Marc et Matthieu.

Les 5 bulbes d’or (mat) de la Sainte-Trinité
Les 5 bulbes d’or (mat) de la Sainte-Trinité miroitent selon l’orientation du soleil.

Un chef d’œuvre architectural et technologique

Cette cathédrale typique des constructions russes est cependant doté d’un grand dôme en composite ultra-moderne qui culmine à plus de 36 m de hauteur. En Russie, les dômes des églises sont façonnés à partir de zinc en s’appuyant sur des charpentes en bois. Ici, à Paris, on opta pour un matériau composite (fibres de verre/résine) ; une technologie inédite utilisée habituellement dans la marine et l’aéronautique ; un travail de haute précision qui fut confié à la société Multiplast basée à Vannes, leader dans la construction de bateaux de compétition. Le défi était alors de limiter le poids au maximum tout en gardant une grande résistance, et d’obtenir un rendu lisse. Une première mondiale !

comme un mille-feuille

Pour harmoniser le style russe de la cathédrale de la Sainte-Trinité avec son environnement parisien l’architecte Jean-Michel Wilmotte a utilisé cette pierre de Bourgogne, mais en strates, comme un mille-feuille.

Tout de blanc et d’or

A bien examiner les façades et les espaces intérieurs, on constate que cet ensemble est revêtu d’une pierre particulière, la pierre de Massangis venue de Bourgogne*. Cette pierres semi-massive de couleur crème clair, typiques des constructions parisiennes a permis à Jean Michel Wilmotte et à son cabinet d’architectes d’harmoniser le style russe avec son environnement parisien. Mais ici, la grande innovation provient de l’utilisation de cette pierre en strates, sorte de bandeaux de pierres fins et allongés, de longueurs inégales plutôt qu’en blocs carrés ou rectangulaires (comme partout à Paris). Rien que pour la cathédrale de La Sainte-Trinité, il a fallu 6184 pièces de 72 types différents.

La pierre de Massangis est extraite à Massangis dans le Tonnerrois, à 20 km de Chablis (département de l’Yonne) où elle est travaillée depuis près de 900 ans. Il s’agit d’un calcaire oolithique du Jurassique moyen (étage Bathonien) de couleur fond jaune à beige clair ; oolithique car ses grains ressemblent à des œufs de poisson ; un calcaire d’origine minéral (calcite, quartz) ou organique (piquant d’oursin, morceaux de coquille). Les calcaires oolithiques se sont déposés dans des eaux chaudes très riches en calcaire dissous, au voisinage de récifs.

Querelle de “chapelle” entre les Patriarcats de Moscou et de Constantinople

En toute logique la cathédrale de la Sainte-Trinité succéda à la modeste cathédrale (en fait un ancien garage) des Trois-Saints-Docteurs, rue Petel, dans le XVe arrondissement (inaugurée en 1931) comme nouveau siège du diocèse orthodoxe russe de Chersonèse rattaché canoniquement au Patriarcat de Moscou et de toute la Russie. Ce fut donc l’évêque russe de Chersonèse, Nestor Sirotenko qui procéda à la bénédiction de la croix du dôme principal de la nouvelle cathédrale. Mais cette succession fut loin de faire l’unanimité et notamment auprès des religieux et des fidèles proches de la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky de la rue Daru à Paris (patriarcat de Constantinople*) construite sous le Second Empire dans le style byzantino-russe. Pour eux, le Patriarcat de Moscou est jugé « bien trop conservateur et nationaliste » et surtout, très proche de Vladimir Poutine. Ainsi, comme on le constate, Moscou n’a de cesse que de disputer le leadership sur l’orthodoxie mondiale face notamment à Mgr Jean de Charioupolis, archevêque des Églises russes en Europe occidentale mais rattaché au Patriarcat de Constantinople. Pour rappel, la puissante Église de Moscou rassemble la moitié des 250 millions d’orthodoxes dans le monde.

*Après la révolution d’octobre 1917, l’église Saint-Alexandre-Nevsky qui était passée sous la juridiction du Patriarcat de Constantinople fut érigée en cathédrale, tout en restant dédiée au culte orthodoxe russe.

Le patriarche Alexis II de Moscou
Le patriarche Alexis II de Moscou se rendit en France en 2007 (un an avant sa mort) pour lancer le projet. C’était le premier déplacement d’un patriarche orthodoxe russe dans un pays d’obédience catholique depuis 1054. Photo © Sakutin/AFP.

Les 4200 m2 de la discorde

Que pouvait faire l’Etat français de ce terrain occupé par l’ancien siège de Météo-France soit 4200 m? Rendons à la Russie le fait qu’elle fut la première à le revendiquer. Puis ce fut le Canada et l’Arabie Saoudite qui eut l’idée d’y élever une imposante mosquée. Finalement le marché se conclut avec les russes pour un budget global estimé aujourd’hui à 170 millions € (entièrement financée par la Fédération de Russie). Le projet fut lancé en 2007 par les présidents Nicolas Sarkozy (qui venait d’être élu) et Vladimir Poutine, ainsi que par le patriarche de Moscou et de toute la Russie, Alexis II de Moscou qui vint en France à cette occasion (un an avant sa mort en 2008) ; un déplacement très exceptionnel puisque aucun patriarche orthodoxe russe ne s’était rendu dans un pays de tradition catholique depuis que la hiérarchie orientale avait rompu avec Rome en 1054.

Embûches et coups tordus

En 2010, tout se met donc en place pour ce nouveau centre spirituel et culturel orthodoxe russe. Un concours international d’architectes est lancé. En mars 2011, le jury composé à parité de Russes et de Français se réunit. Il désigne le projet de l’architecte espagnol d’origine russe, Manuel Núñez Yanowsky devant ceux des français Jean-Michel Wilmotte et Frédéric Borel. Mais, le projet lauréat paraît tellement audacieux (une immense canopée de verre) au maire de Paris, Bertrand Delanoë, qu’il fait appel à l’Unesco pour le remettre en cause (les deux rives de la Seine sont en effet inscrites sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1991). Il ira jusqu’à invoquer un risque pour la sécurité nationale* (une polémique vraie ou fausse qui perdure jusqu’à aujourd’hui à entendre les riverains qui se plaignent de perturbations électromagnétiques dans leurs connections internet et téléphone* !). Alors, que va faire le ministre en charge de la culture et de la communication de l’époque, Frédéric Mitterrand ? Rien, laisser pourrir comme il le suggéra.

* L’ambassadeur russe Alexandre Orlov avait pourtant déclaré à l’époque que Vladimir Poutine s’était engagé à ce qu’il n’y ait aucune antenne en précisant que de toute façon, on n’a plus besoin des antennes aujourd’hui, avec les moyens modernes. Rassurons-nous, il n’y aurait rien de caché dans les bulbes !

Le projet de l’architecte espagnol d’origine russe
Le projet de l’architecte espagnol d’origine russe, Manuel Núñez Yanowsky arrivé devant ceux des français Jean-Michel Wilmotte et Frédéric Borel, choisi par le jury mais qui fut rejeté par la mairie de Paris en 2011.

L’élection de François Hollande change la donne

La décision du maire de Paris Bertrand Delanoë remet donc tout en cause. Le service territorial de l’architecture et du patrimoine (STAP) rend un avis défavorable. La Russie finit par retirer sa demande de permis de construire. Serait-ce le coup de grâce ? Non. Un voyage présidentiel providentiel à Moscou de François Hollande en 2013 va tout régler, comme par miracle. Poutine est d’accord pour ressortir le projet Wilmotte arrivé deuxième. Les travaux peuvent alors commencer. Mais, chose incroyable, on assista alors à une rocambolesque tentative de saisie sur la cathédrale et le centre culturel !

Une incroyable tentative de saisie

Elle émane des ex-actionnaires de la compagnie pétrolière russe Ioukos et leurs ayants droit* expropriés par Moscou en 2003 et qui réclament réparation. Ils tentent de saisir en pleine construction le centre culturel et la cathédrale en vertu d’un jugement rendu en 2014 en leur faveur par la Cour permanente d’arbitrage de La Haye qui les indemnise de la prise de contrôle de l’entreprise (elle a été nationalisée) par le gouvernement russe. Les arbitres estiment en effet que la mise en faillite de Ioukos, avait été artificielle et politiquement motivée. Mais la Russie refuse naturellement de reconnaître ce jugement du tribunal arbitral. Et si la cour d’appel de Paris devait confirmer cette saisie de biens de l’Etat russes, alors Poutine se voyait dans l’obligation de menacer la France de représailles.

* D’après l’hebdomadaire Le Point, c’est la bataille judiciaire la plus acharnée au monde. Un dossier tentaculaire, avec des dizaines de procédures un peu partout sur la planète depuis presque quinze ans. En jeu : la somme colossale de 50 milliards de dollars.

Façade du portail extérieur

Façade du portail extérieur de la cathédrale orthodoxe russe de la Sainte-Trinité à Paris. Dans la liturgie orthodoxe, en entrant et en sortant d’une église, on se signe trois fois avec une inclination des reins (les orthodoxes ne se mettent pas à genoux, mais se tiennent debout). La célébration de la liturgie orthodoxe est appelée “Divine liturgie” (on ne dit pas messe).

Sauvé par un « droit de chapelle »

Pour la Russie, il fallait à tout prix (!) faire reconnaître la future cathédrale et le centre culturel orthodoxe du quai Branly comme bien diplomatique, rendant ainsi toute saisie impossible. Les avocats vont alors dégoter un antique droit de chapelle, consacré par un arrêt de la cour d’appel de Paris en 1924 qui octroie aux missions diplomatiques le droit de faire construire une chapelle et d’en faire usage. Dans ces conditions bien évidemment, la valeur diplomatique d’une chapelle valait bien une cathédrale ! C’est, en tout cas, cette approche qui fut retenue par le tribunal de grande instance (TGI) de Paris qui en mai 2016 trancha en faveur de la Russie rendant ainsi toute saisie impossible. Le centre sera finalement inauguré à la date prévue en l’absence de Vladimir Poutine et de François Hollande, pour raison diplomatique (en cause, la Syrie) mais en présence du ministre russe de la Culture, Vladimir Medinski, et de l’ambassadeur Alexandre Orlov. Pour la France, étaient présents, un secrétaire d’État, et pour la ville de Paris, sa mairesse, Anne Hidalgo ainsi que Rachida Dati, mairesse du 7e arrondissement. La dédicace de la cathédrale eut lieu le 4 décembre 2016, en présence du patriarche Cyrille de Moscou qui effectuait en France sa première visite depuis son élection début 2009.

Vidéo du 1er anniversaire de la consécration de la Cathédrale :

Pour la visiter et en savoir plus :

Site : Cathédrale de la Sainte Trinité

Page Facebook Cathédrale de la Sainte Trinité

1 quai Branly – 75007 Paris.
Localisation
tél.: +337 67 09 81 01

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