Littérature : Benoite Groult, Journal d'Irlande - Carnets de pêche et d'amour, 1977 -2003 (Grasset - Livre de Poche)
Benoite a la peau douce et la dent dure. Elle n’est pas méchante, elle est féroce. C’est beaucoup mieux !
Paul Guimard ( 1921 – 2004) son mari, intellectuel brillant, navigateur émérite, écrivain reconnu (Les Choses de la vie), séducteur à succès et proche du pouvoir socialiste de l’époque, est bougon… Kurt l’amant américain de Benoîte est tout sauf un intellectuel brillant. Elle le décrit plutôt comme une sorte de grand niais joyeux et souriant dont elle est follement amoureuse. Et d’ailleurs, elle se pose à son propos – page 174 – cette question qui tue : « pourquoi le roi des cons est-il le roi de mon con ? »
J’aime Benoîte
« Nous ne partons pas en voyage de plaisance, mais en prospection pour assurer notre avenir de pêcheurs, de maniaques de la crevette, du homard, de l’oursin, des pétoncles, des lieus et autres turbotins et salmonidés, quotidien de navigations acrobatiques parmi les rochers… »
Benoîte Groult sur la première page de son « carnet de pêche » en août 1977
Paul n’a jamais tenu un balai – page 91 -. Paul est morose, Paul boit trop, fume trop, ne vide pas les cendriers, ne fait pas le lit. Paul râle, traine la patte, Paul le séducteur se laisse aller sous sa casquette crasseuse. Paul vieillit mal… Sous la plume de Benoîte, plus Paul est pénible plus on s’y attache. Benoîte écrit entre les lignes de pêche. Habile, elle nous ramène dans ses filets. J’adore Benoîte Groult , pour sa liberté de parole et son honnêteté n’excluant pas lorsqu’elle parle des hommes, une mauvaise foi de qualité supérieure qui a chaque nouvelle lecture mystérieusement, m’enchante.
Paul se blesse tous le temps, Il tombe, se cogne, se coupe. Seul la mer semble les unir…
La liberté amoureuse que Benoîte et Paul s’accordent et assument n’exclue pas la jalousie qu’ils s’infligent et s’infiltre jusque dans les conversations les plus anodines… Et c’est là, entre deux parties de pêche, que le livre devient intéressant. Cette jalousie qui ne s’avoue jamais, mais s’invite toujours à nos bals masqués. Ce qui ne peut se dire, peut quand même s’écrire.
Paul sait où sont ses intérêts et ils ne sont pas là où est sa fierté – peut-être aussi son chagrin – et cette erreur géographique le met de très mauvais poil. Plus Paul est de mauvais poil et plus on aime Paul. En amour même si Benoîte a choisi la direction et tente de maintenir le cap, comme tout le monde elle navigue à vue, souvent à contre-courant, et dans le récit des récifs qu’elle tente d’éviter, plus elle est crue et plus on la croit.
Après l’avoir tant trompé, Paul ne supporte pas de l’être, il déprime, devient sentimental, et finalement ne trouvant pas de solutions à ses tourments…picole. À mi-livre, Paul va mal, très mal. Entre la pluie qui tombe dru et le whisky qui coule à flots, les vacances se reproduisent identiques à elles-mêmes, d’année en année. Tandis que Benoîte pêche, jardine, range, conduit, cuisine, répare, lit, écrit, et pense à Kurt l’amant américain, Paul glande et sombre ! Sa mauvaise humeur laisse la place à la dépression, le plaisir de séduire au désir de disparaître…
Alors quoi ? Un matin, je me réveillerai vieille, résignée à ne plus rien changer ? A vivre de ce que j’ai ? […] A quel point est-ce l’amour de Kurt qui m’arrête encore au bord du précipice ? Il m’a redonné le goût, l’envie déraisonnable de l’amour.
Benoîte raconte ça, sans plainte, ni honte, ni culpabilité, ni pathos !
L’auteure d’Un féminisme au masculin raconte ça avec la crudité et la franchise des lucides. Elle dit la vie qui va et la vieillesse qui vient. Benoîte Groult est tonique comme un bain dans les eaux glacées de la baie de Saint-Brieuc, un quinze août. Benoîte est féministe, profondément… son engagement ne l’empêche pas d’aimer ô combien les hommes !
Les temps ont changé…
J’adore Benoîte !