https://youtu.be/38A__WT3-o0

Une part âpre d’éternité

L’ écrivain américain, qui s’est éteint le 13 juin à Santa Fe est devenu célèbre par l’adaptation cinématographique des frères Coen du terrible No Country for Old Men, couronné aux Oscars, et de La Route (de John Hillcoat) qui lui avait déjà valu le prix Pulitzer, poignant récit d’une relation père fils au cœur d’une fin du monde qui ne dit pas son nom.

Avec sa disparition c’est un géant de la littérature qui nous laisse l’empreinte d’une exigence jamais démentie ainsi qu’une puissance évocatrice d’une réalité transcendante.

Dernièrement paraissait presque simultanément ce qui semblerait être ses deux dernières œuvres, Le Passager, ouvrage qui a su en déconcerter plus d’un par sa forme elliptique et Stella Maris, portrait bouleversant d’une jeune femme qui se révèle peu à peu au cours de sa thérapie en psychiatrie. Cette seconde parution qui se déroule une dizaine d’années auparavant semble éclairer l’impénétrabilité de son Passager.

Une façon pour Cormac McCarthy de prouver que la littérature est toujours à même de générer une passionnante représentation du monde au sens le plus pénétrant. Le mystère engendre les questions et l’auteur originaire du plus petit état des États-Unis ne pouvait manquer de tirer sa révérence en nous offrant de quoi nourrir en nous cet éternel besoin d’histoires envoûtantes.

Tu peux trouver du vice chez la moindre des créatures, mais quand Dieu a créé l’homme, le Diable était à son côté.
Cormac McCarthy, Méridien de sang

Fuyant le monde littéraire pour mieux peindre l’Amérique

Très peu disert dans les médias, McCarthy n’accorda qu’un nombre infime d’interviews, dont la plus célèbre restera celle qu’il donna à la grand prêtresse télévisuelle Oprah Winfrey, après son Pulitzer. Un journaliste qui l’apostropha le qualifiant de reclus, il rétorqua s’il entendait par là suspicieux à l’égard de la presse, alors oui il était un reclus.

Si nous devions retenir une seule lecture de ce colosse, ce serait sans doute Méridien de sang ou Le Rougeoiement du soir dans l’Ouest (1985), roman crépusculaire gorgé de violence, situé à la fin du XIXème siècle au Texas ainsi qu’au Nouveau-Mexique, régions privilégiées par McCarthy  pour y dérouler  la geste de ses romans qualifiés de Southern Gothic.

Un autre Ouest

Dès sa première œuvre, Le Gardien du verger, parue en 1965, l’auteur entreprend de nous conter au travers de la singularité de son style, à la fois sec et fourni d’images à la façon d’eaux-fortes sombres et exaltées des récits où la cruauté tient de faire valoir. Malgré une reconnaissance critique unanime, il lui faudra attendre plus de 35 ans avant que n’advienne un succès commercial avec sa fameuse Trilogie des Confins (De si jolis chevaux, récompensé par le National Book Award et le National Book Critics Circle Award en 1992 puis Le Grand passage en 1997 et Des Villes dans la plaine en 1999).

Auparavant après son effort fondateur, celui que Stephen King présente comme « peut-être le plus grand romancier américain de son temps» a publié L’Obscurité du dehors, Un enfant de Dieu et Sutree qui précéderont Méridien de sang.

Ceux qui survécurent reverraient souvent ces horreurs nimbées d’une certaine esthétique. Ce spectre fongiforme qui avait fleuri dans l’aube tel un lotus maléfique, cette fusion de solides qui n’avaient jamais été censés fondre renfermait une vérité propre à faire taire toute poésie pendant mille ans
Cormac McCarthy, La route.

Rien n’est mineur chez McCarthy

Toute son œuvre est traversée par une atmosphère à la barbarie païenne est parsemée de personnages saisissants, qu’ils soient inquiétants, désabusés, naïfs ou lumineux.

Pour tenter de définir son univers, aux confins d’époques vagissantes, il pourrait s’agir d’un Sergio Leone romanesque possédé par l’âme du Colonel Kurtz du Cœur des ténèbres de Joseph Conrad.

Une mine pour le cinéma

Cormac McCarthy a également écrit le scénario du film Cartel de Ridley Scott en 2013 ainsi que deux pièces de théâtre dont une, The Sunset Limited a été adaptée par Tommy Lee Jones pour la télévision.

Les gens sont capables des choses les plus étranges pour éviter la souffrance qui les attend. Le monde est peuplé de gens qui auraient dû être plus disposés à pleurer.
Cormac McCarthy, Le Passager

Nombreux de ses romans se sont vues transposées au cinéma (De si jolis chevaux en 2000 par Billy Bob Thornton, No Country for Old Men en 2007 avec le succès et les Oscars que l’on sait par Joel et Ethan Coen, La Route en 2009 par John Hillcoat, Outer Dark en 2009, un court métrage de Stephen Imwalle  inspiré de L’Obscurité du dehors et Child of God (Un enfant de dieu), par James Franco en 2013).

Plonger dans son œuvre, c’est se soustraire à l’amertume d’une réalité balisée pour s’enrôler dans une armée de soldats voués à se sacrifier au nom d’une littérature sans équivalent.

#Calisto Dobson

Bibliographie romanesque :

• Le Gardien du verger, Robert Laffont 1968
• L’Obscurité du dehors, Actes Sud 1991
• Un enfant de dieu, Actes Sud 1992
• Sutree, Actes Sud 1994
• Méridien de sang ou Le Rougeoiement du soir dans l’Ouest, Gallimard 1988
• La Trilogie des confins :
  • De si jolis chevaux, Actes Sud 1993
  • Le Grand Passage, L’Olivier 1997
  • Des villes dans les plaines, L’Olivier 1999
• Non, ce pays n’est pas pour le Vieil homme (Country for Old Men), L’Olivier 2007
• La Route, L’Olivier 2008
• Le Passager, L’Olivier 2023
• Stella Maris, L’Olivier 2023