Littérature : L'Allemand de ma mère, de Catherine Clément (Seuil)

Alors que l’Histoire la plus sinistre semble se répéter aux portes de l’Europe, L’Allemand de ma mère, de Catherine Clément tape dans le mille ! À travers l’histoire de ses parents, lui catholique, elle, juive, qui s’aiment envers et contre tous en 1937, la philosophe romancière vous embarque dans la tragédie de tout un pays, partagé entre ceux qui fuient, ceux qui cachent, ceux qui dénoncent, ceux qui résistent et ceux qui tétanisés ou indifférents ne bougent pas. Un homme qui résiste peut aussi faire la différence. Ce secret familial qu’elle révèle pour la première fois, constitue aussi pour Patrice Gree, notre livre d’Histoire !

Une sinistre répétition de l’Histoire

Est-ce l’actualité de la guerre en Ukraine, avec ses images effrayantes d’hommes, de femmes, d’enfants fuyants des cités dévastées par les bombardements russes, hurlants à la recherche d’un proche, errants dans les décombres de villes hier vivantes, aujourd’hui fantômes, qui réveille nos souvenirs des récits de nos parents, grands-parents, oncles, tantes, racontant leur guerre ?

Est-ce le bruit des bottes réveillés par le vent mauvais de l’histoire, et l’angoisse des familles poussés hors de chez eux, dans ce qui pourrait ressembler à un exil intérieur à nos portes qui nous donne envie, à nouveau d’ouvrir et de fouiller dans les livres, notre passé enfoui ? Ou, est-ce simplement au moment où les derniers témoins disparaissent que le devoir de dire encore et encore s’impose…

Par ses enjeux, ses origines, si chaque guerre est différente, la frayeur quotidienne des populations est, elle hélas, bien identique. Mensonges, massacres sont les moteurs des guerres. Le mépris de la vie, l’arme absolue des dictateurs. La guerre, c’est l’héroïsme pour quelques-uns, la terreur pour tous !

Par quel dysfonctionnement de l’Histoire, un seul homme peut au bon vouloir de sa folie en tuer des milliers et des millions ?

Retour sur un secret familial

Raymonde est juive, pharmacienne et énergique, Yves est catholique, amateur de papillons, dandy et médecin aux yeux bleus tendres. Tout est donc là, à sa place, pour qu’ils s’aiment ! Et ils s’aimeront, contre l’avis de leurs parents respectifs, mais fermement pour l’irradiant bonheur d’aimer !

De cet amour naîtra Catherine Clément en 1939.

La guerre séparera tout le monde…Yves, enrôlé sur la ligne Maginot contemplera impuissant, le désastre de la stratégie militaire Française et Raymonde dans des allers et retours entre le Thoureil, petit village du Maine-et-Loire et la rue du Cherche midi à Paris où elle tient la pharmacie. C’est dans cette pharmacie qu’elle fera connaissance du docteur Samuel Schütz, juif allemand, ayant fui son pays ! Elle l’aidera… Il l’aidera !

La guerre passe ainsi, entre Seine et Loire… au fil des bombes qui tombent, parfois à quelques petites dizaines de mètres de la maison familiale des paisibles bords de Loire. Une tragédie viendra la conclure ! Georges et Sipa Gornick, les grands-parents maternels de Catherine, réfugiés à Salviac dans le Lot seront dénoncés comme juifs, à la Gestapo de Cahors. Six miliciens ivres et armés viendront les arrêter…Ils disparaîtront dans le ciel d’ Auschwitz-Birkenau…

La force de ce livre, au-delà du témoignage poignant, tient à sa construction !

La « petite histoire » dans la grande.

Les très nombreux rappels historiques des choix, des déclarations et des actes des militaires et des politiques au pouvoir, durant ces années noires, rendent particulièrement éclairant le piège mortel dans lequel l’Europe est prise.

Cette histoire familiale est d’abord notre livre d’Histoire !

#Patrice Gree