Mémoires d’un Escargot, d’Adam Elliot, les larmes et la manière en stop motion
De la beauté de tenir bon
Deux longs métrages en 15 ans ! Adam Elliot collectionne paradoxalement davantage les distinctions et statuettes que les films eux-mêmes. En deux temps trois mouvements, le réalisateur s’est imposé comme un virtuose du stop motion, dans un registre dramatique qui tranche avec ses prédécesseurs. Les points d’attache de son second film s’appuient sur « Mary & Max ». Il en reprend sans vergogne énormément d’ingrédients, qu’ils soient technico-esthétiques ou thématiques.
Plus encore que son aîné, « Mémoires d’un Escargot » empile effectivement les péripéties mélodramatiques avec un aplomb perturbant.

Mémoires d’un Escargot, d’Adam Elliot photo Arenamedia Pty Ltd
Cette histoire de petite fille devenue grande, arrachée trop jeune à son frère jumeau, victime (entre autres) de harcèlement dans un cadre de vie déprimant, ne lésine pas sur les scènes trash et sombres. D’autant que son frère n’est de son côté pas mieux loti, vivant l’enfer auprès d’une famille adoptive maltraitante au dernier degré.
Viscéralement attachés l’un à l’autre mais séparés, juste autorisés à s’adresser des courriers qui taisent pudiquement leurs malheurs, les deux n’attendent que de pouvoir se retrouver. Un objectif sans cesse rendu impossible par le sort, qui ne cesse de s’acharner.
Une telle accumulation de malheurs peut produire des effets ambivalents
On frôle la caricature glauque tout autant que l’on s’en émeut, jusqu’à parfois préférer en rire. En cela, le film repose sur un dispositif narratif que d’aucuns pourraient trouver paresseux, mais qui offre en réalité une mise à distance nécessaire : une voix off – celle du personnage principal – nous commente ses propres supplices, Adam Elliot n’ayant pas son pareil pour mettre en scène l’horreur d’une vie déchirée en déclinant un ton faussement naïf et des sarcasmes subtils.

Mémoires d’un Escargot, d’Adam Elliot photo Arenamedia Pty Ltd
« Mémoires d’un Escargot » se déploie alors tel un livre d’images animées, Grace Pudel (c’est son nom) nous faisant la lecture de sa propre vie, avec une candeur touchante.
Si le film manque parfois d’épuiser notre capacité à encaisser toute cette noirceur, même constamment saupoudrée d’une forme d’espièglerie humoristique, il est en fait discrètement en train de mettre en place les conditions de son triomphe.
En dépit des apparences, Adam Elliott ne veut pas d’une souffrance vaine.
En bout de course, l’Australien donne non seulement du sens aux névroses de ses personnages, mais plus encore, il en libère toute la charge émotionnelle, jusque-là contenue. De sorte que même traversé çà et là d’une forme de lassitude, les larmes pourront couler sans prévenir lorsque le piège se sera refermé.
« Mémoires d’un Escargot » sait où il va et croyez bien qu’il saura vous le rappeler.
Intelligence Emotionnelle
Mémoires d’un Escargot, d’Adam Elliot photo Arenamedia Pty Ltd
La mention qui se lit dans les crédits de fin “This film was made by human beings” n’a rien de négligeable. Il y a d’abord une fierté d’ordre technique puisqu’en des temps où les algorithmes règnent, il faut bien se figurer ce que signifie la réalisation d’un long métrage en « stop motion », cette technique ô combien artisanale qui consiste à simuler le mouvement, image par image.
Un travail de mains, littéralement. A la fois minutieux et laborieux.
Pas d’oeuvres sans auteur
Rappeler combien l’acte de créer procède d’une volonté (d’un besoin ?) de se libérer d’un trop plein d’émotions, pour vanter cette fois la beauté du geste, davantage que le résultat stricto sensu.
Made by (et for) human beings

Mémoires d’un Escargot, d’Adam Elliot photo Arenamedia Pty Ltd
« Mémoires d’un Escargot » est probablement très imparfait, parfois excessif et pas toujours bien équilibré sur le plan narratif, mais il est plus grand que ses défauts.
Parce qu’il est profondément humain, jusque dans ce qu’il raconte, jusque dans sa façon de le raconter, jusque dans ce qu’il recèle d’intime et universel, débordant d’une volonté de se livrer et, donc, de mettre à nu nos propres fragilités.
Et c’est certainement pour tout ça qu’il est bouleversant.
Yoan Rivière