Lifestyle
Nourritures terrestres au menu du design de Lorie Bayen El-Kaim
Auteur : Anne-Sophie Barreau
Article publié le 20 juin 2023.
[Pour un Design éthique] La maison à nourriture de Lorie Bayen El-Kaim, finaliste cette année du Design Parage Hyères à La Villa Noailles (du 23 au 25 juin 2023), est emblématique d’un design qui, à travers création d’objets, illustrations et espace, met l’alimentation en vedette. Une approche éthique, dont témoigne aussi le projet que la jeune designer a mené en 2022 à l’hôpital psychiatrique Vauclaire en Dordogne Démarche qui in fine, pour Anne-Sophie Barreau questionne avec bienveillance nos habitudes et nos modes de consommation.
Du garde-manger au « repas d’objets »
La maison à nourriture, entièrement conçue avec des matériaux naturels, est l’aboutissement d’une recherche autour du garde-manger que je mène depuis quelques années.
Lorie Bayen El-Kaim
C’est avec un étonnant « repas d’objets », un projet au cours duquel elle s’est « inspirée de recettes pour créer des objets servis ensuite comme de la nourriture », que Lorie Bayen El-Kaim est sortie diplômée de l’Ecole Supérieure d’art et design de Saint-Etienne en 2018. Un entrée en matière programmatique à l’instar de celle de sa consœur Louise Rué (cf Singular’s) : nourriture, objets, scénographie – et dessin pour celle qui se considère aussi comme « illustratrice » – sont en effet omniprésents aujourd’hui dans sa pratique. Démonstration avec les deux plus récentes, et très belles, réalisations, de la jeune designer.
Finaliste du festival Design Parade Hyères
Après qu’elle a tapé dans l’œil du jury de La Villa Noailles, Sa maison à nourriture est finaliste du festival Design Parade qu’organise chaque année le centre d’art du 22 au 25 juin 2023. « Cet objet est l’aboutissement d’une recherche autour du garde-manger que je mène depuis quelques années, explique Lorie Bayen El-Kaïm, il est fait avec des matériaux entièrement naturels et des éléments d’assemblage principalement en métal, avec le moins de colle possible. »
L’idée est d’utiliser l’inertie des matériaux et le réseau d’eau froide de la maison, de se servir en somme d’éléments qui appartiennent à l’habitat naturel, pour créer un espace frais à l’intérieur.
Lorie Bayen El-Kaim
L’objet, astucieux, a bénéficié du concours d’entreprises situées en Normandie où la jeune créatrice est installée une partie de l’année. « J’ai commencé avec des entreprises du monde de la pierre, puis, au fur et à mesure que j’ai intégré de nouveaux matériaux, de nouvelles sont arrivées, en tout état de cause, il s’agit toujours d’entreprises françaises ».
Réfrigérateur branché 24h/24
Le garde-manger questionne sur notre habitat mais aussi sur nos habitudes et les matériaux que nous utilisons, en particulier l’électro-ménager.
Lorie Bayen El-Kaim
Concentré de « matériaux et de savoir-faire différents », la maison à nourriture ne saurait pour autant être réduite à sa seule dimension « technique ». Si elle l’est, assurément, elle est tout autant « poétique » de l’aveu même de sa créatrice, ce qui n’est pas le moindre de ses atouts, en particulier au regard d’un autre objectif: « Le garde-manger questionne sur notre habitat mais aussi sur nos habitudes au quotidien, aussi bien nos habitudes alimentaires que les matériaux que nous utilisons, en particulier l’électro-ménager.
À l’origine de ce projet, il y a le fait qu’un réfrigérateur, objet entièrement en plastique, est branché 24h/24, fabriqué à l’autre bout de la planète, et qu’il consomme beaucoup d’électricité. La maison à nourriture incarne cette idée qu’en consommant autrement, en achetant différemment notre nourriture, en la rangeant différemment, on peut faire évoluer notre consommation ».
Résidence à l’hôpital psychiatrique Vauclaire
Deuxième projet, les « expérimentations artistiques » sur le thème « Du jardin à la cuisine » menées en 2022 dans le cadre d’une résidence au Centre hospitalier Vauclaire à Montpon en Dordogne – établissement de santé spécialisé pour les personnes souffrant de troubles psychiatriques – à l’invitation de l’Agence culturelle départementale Dordogne-Périgord. Un projet « de longue haleine » qui a permis à la jeune artiste de couvrir tout le spectre de sa pratique .
« J’ai d’abord essayé de comprendre l’histoire du lieu, de m’en imprégner, j’ai fait beaucoup de dessins. C’est en effet un lieu chargé d’histoire. L’hôpital est une ancienne chartreuse. Il a beaucoup évolué. Il fut un temps où il était complètement indépendant en eau et en nourriture, explique Lorie Bayen El-Kaim, puis je suis allée à la rencontre des patients. Avant cette résidence, je ne connaissais pas la psychiatrie.
À chaque fois, en guise de présentation, je demandais aux patients ce qu’ils aimaient manger. Au bout d’un moment, je me suis dit que nous allions dessiner ensemble leur plat préféré. Parfois, cela a donné lieu à des choses un peu farfelues mais ces moments passés avec les patients étaient toujours particulièrement forts. »
Jardin ouvert
Quant au jardin de l’ancienne Chartreuse, elle l’a « investi ». On ne saurait mieux dire : « Je l’ai rénové avec l’intention d’inviter les patients et le personnel de l’hôpital à venir y faire des performances. J’ai travaillé avec les artisans de l’hôpital qui m’ont aidée à construire les éléments solides, j’ai aussi trouvé des éléments qui trainaient, des anciennes bonbonnes à eau, de la robinetterie…Autrefois, il y avait des bassins partout reliés à l’eau potable, j’ai utilisé cela pour créer une fontaine à laquelle on peut venir boire et une table.
Je me suis inspirée du jardin aromatique et des plantes à infusion pour créer des petites infusions autour de la table. J’ai aussi peint un bassin. J’ai travaillé avec les patients pour peindre mais aussi pour fabriquer la peinture à base de farine. »
D’une façon générale, comme j’étais souvent dans le jardin, les patients venaient régulièrement me donner un coup de main. J’ai passé des après-midi entiers avec certains.
Prendre du temps pour faire autrement
La jeune artiste n’est pas mécontente par ailleurs d’avoir créé une mini « tornade » en interne. « J’ai été interloquée de voir que l’hôpital était passé d’une cuisine où l’on utilisait que des ingrédients locaux à du tout surgelé – avec parfois même du lapin qui pouvait venir de Chine… – sans qu’on puisse pour autant le blâmer puisqu’il ne fait que suivre la réglementation… ». Comme avec le garde-manger, la jeune artiste ne souhaite rien d’autre, à travers des« créations un peu douces et naïves et un dessin résolument joyeux », qu’amener les gens à s’interroger et, in fine, « à faire autrement ».
Outre qu’elle est sa première source d’inspiration, la nourriture, en ce qu’elle lui offre « une possibilité d’échange ouverte et simple avec n’importe qui », est donc le véhicule parfait de la pratique de Lorie Bayen El-Kaim. Laquelle s’épanouit en résidence.
« Prendre du temps, être dans un lieu et réfléchir, il n’y a pas mieux pour la créativité » s’enthousiasme la jeune artiste.
Le lauréat de la Design Parade remporte précisément deux séjours de recherche d’un an : l’un à la Manufacture et musée nationaux de Sèvres, l’autre au Centre international de recherche sur les verres et les arts plastiques (CIRVA) de Marseille… Rendez-vous les 23 au 25 juin !
Pour aller plus loin sur le design éthique
- Le compte instagram de Lorie Bayen El-Kaim
- Les chroniques d’un quotidien alimentaire en hôpital psychiatrique
Agenda
du 23 au 25 juin 2023, Design Parade Hyères, 17e festival international de design, La Villa Noailles: Créé en 2006, avec comme marraine Andrée Putman, Design Parade Hyères a pour ambition de partager la création contemporaine dans le domaine du design avec le public et les professionnels. Point central, le concours présente chaque année dix jeunes designers, leur offrant une vitrine et un accompagnement uniques.
Désormais, chaque été, la villa Noailles organise Design Parade en deux volets au cours d’un week-end élargi, tous les aspects des arts décoratifs dans la création contemporaine, à Toulon pour l’architecture d’intérieur. Et à Hyères pour le design.
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