Opéra : Platée de Rameau, par Hervé Niquet, Shirley & Dino (Opéra Royal de Versailles)
- Hervé Niquet : direction musicale, Corinne et Gilles Benizio : mise en scène, costumes, comédiens, Hernan Penuela : décors, Patrick Méeüs : lumières, Kader Belarbi : chorégraphie
- Mathias Vidal (Platée), Marie Perbost (La Folie), Pierre Derhet (Mercure), Jean-Christophe Lanièce (Momus), Jean-Vincent Blot (Jupiter), Marie-Laure Garnier (Junon), Marc Labonnette (Cithéron), Lila Dufy (Clarine).
Depuis plus de 12 ans et près de 10 mises en scène d’opéra, le duo Corinne et Gilles Benizio (alias Shirley et Dino) bouscule avec gourmandise et inventivité bienveillante les codes de l’opéra. Avec Platée, chef d’œuvre du genre bouffe et la complicité du chef Hervé Niquet, leur réussite à l’Opéra Royal de Versailles jusqu’au 22 maiest exemplaire surtout qu’elle contribue à servir Rameau plutôt que de s’en servir. Irrésistible !
Servir l’œuvre au lieu de se servir
Une complicité se reconnait aux limites que chaque collaboration réussit à reculer. Depuis la réussite de King Arthur (de Purcell) en 2008 (qui revient à l’Opéra royal de Versailles les 18, 19 et 20 novembre 2022), ce Platée de Rameau – créée au Capitol de Toulouse – est la quatrième collaboration entre Shirley et Dino (Corinne et Gilles Benizio) et le chef Hervé Niquet et le Concert Spirituel : La Belle Hélène, Don Quichotte chez la duchesse. La complicité est totale, mais à la différence des metteurs en scène qui s’approprient un livret pour se mettre en avant, le trio – même s’il investit la scène avec des apparitions irrésistibles – sert avant tout l’œuvre. En comme le revendique Hervé Niquet en « ouvrant une porte nouvelle à l’imaginaire des spectateurs. »
Bienveillant avec la pauvre Platée et avec toute l’œuvre
C’est loufoque, irrévérencieux. Encore que la farce de cette pauvre grenouille qui croie jusqu’au bout des quatre actes, épouser un Dieu autorise toutes les libertés, surtout quand elle portée par une musique exaltante qui n’a pas pris une ride. « Nous rêvons de pousser la farce, l’audace, l’impertinence que nous dicte Rameau (…) Platée nous oblige à être irrévérencieux, nous sommes condamnés à prendre des risques, alors … à l’abordage ».
L’ambitieux est d’autant plus savoureuse que nous sommes quasiment sur les lieux de la création de 1745. Les ors de l’Opéra Royal de Versailles remplace ceux des Grandes Ecuries à quelques centaines de mètres (et pour cause, il fut inauguré en 1770). Imaginez tout de même le contraste avec un décor qui évoque une favela latino-américaine !
Promesse tenue
De surprises en surprises avant même le rideau levé. Sur une question de prologue, le chef nous annonce sa suppression (aucun monarque étant dans la salle) au grand dam de la troupe qui se rebiffe. Bourrés de gags et d’anachronisme, de clins d’œil et d’invention, la promesse est tenue surtout quand elle ne se contente pas de nous faire rire mais aussi de libérer une musique d’une invraisemblable originalité et la profusion inventive sans quasi exemple dans l’histoire de l’opéra français. Et Niquet sous ses airs décontractés – il dirige en toncs brésiliennes – n’hésite pas à interpeller la salle, le régisseur, voir à se déplacer sur scène pour déplacer une partie de décor…
Méfiez-vous de l’apparente dilettantisme du chef , le gaillard truculent sait tenir son orchestre, en libérer les sonorités, jouer de tous les timbres, et surtout mener les solistes à libérer leurs airs, …. bref faire une fête de nos oreilles sans concession pour servir la partition même le parti pris de bousculer nos zygomatiques, en supprimant les récitatifs, est au profit de quelques dialogues de comédies !
L’essentiel est de révéler la modernité sonore de Rameau, des orages … au désespoir de la grenouille trahie, sans parler des ballets endiablés !
Relever Rameau à la recherche de connivence
S’il est difficile de résumer toutes les surprises concoctées avec gourmandise par le duo Corinne et Gilles Benizio qui a plus d’un tour dans son sac ; il sait ne pas se répéter ni tomber d’une vulgarité complaisante, ni trop en rajouter.
Saluons la gageure de placer, de fondre et d’animer deux heures durant sans pause, un chœur, un corps de ballet et une poignée de solistes dont on respecte les contraintes tout en les plongeant dans un bain de folie et
Un plateau vocal sans faille
Rien ne sert les bouffonneries, si le chef ne peut s’appuyer sur une distribution tout en finesse et en expressions, et les metteurs en scène sur des comédiens convaincus de leur rôle. Chapeau à Mathias Vidal magnifique d’émotions qui porte tous les vertiges émotionnels – de l’exubérance naïve à la chute burlesque – du rôle-titre, tout aussi expressives sont Marie Perbost (Folie) et Marie-Laure Garnier (Junon) coté voix féminines que coté masculins Jean-Vincent Blot (inénarrable Jupiter) et Pierre Derhet en Mercure.
N’oublions enfin la qualité du chœur et du ballet national du Capitol qui emballe et soutient le rythme effréné de la mise en scène du duo Benizio faisant oublier la noirceur de la fable, au profit d’une jolie fête !
Corsaires d’hier vs corsaires d’aujourd’hui
Les amateurs des aventures de la grenouille mythomane pourront comparer sur pièce la réussite du trio Niquet/Shirley & Dino avec celle, mythique du duo Minkowski – Laurent Pelly reprise à l’Opéra de Paris, du 17 juin – 12 juillet). Rires et plaisirs des oreilles garantis !
#Olivier Olgan