[Photographie] Graziano Arici, Now is the Winter of our Discontent (Musée Reattu, Arles)

Jusqu’au 3 octobre 2021 Musée Réattu, 10, rue du Grand-Prieuré, Arles
décembre 21 – janvier 22,  Fondation Querini Stampalia de Venise
Catalogue, collectif sous la direction de Daniel Rouvier, Ariane-Esther Carmignac, commissaire associée, préface de Patrick de Carolis, avant-propos de Paolo Molesini, 312 p. 35€

En marge des Rencontres de la photographie d’Arles (qui s’achève le 26 septembre, voir notre sélection), le travail du Graziano Arici est exposé pour la première fois  au Musée Réattu jusqu’ au 3 octobre. Intitulé Now is the Winter of our Discontent, le photographie humaniste tire un sombre « état des choses» au plus proche du réel, sublimé par un regard incisif et une mise en image qui transcendent les problématique de son époque.

Graziano Arici, Lost Objects, Now is the Winter of our Discontent Musée Reattu Photo OOlgan

« The state of things » 

Le photographe Graziano Arici, né en 1949 à Venise est exposée pour la première fois à Arles où il est installé depuis 2012. Celui qui fut pendant vingt ans le photographe officiel de La Fenice, et le portraitiste reconnu et recherché des célébrités, a puisé ses clichés dans ses voyages dans des dizaines de pays : de l’Albanie jusqu’au Kazakhstan, en passant bien entendu en Italie. Le résultat puissant, dérangeant souvent, propose son « archive du monde ». L’ancien photoreporter a ponctué les 9 étapes distribuées dans l’ensemble du musée Réattu de citations dont une de Italo Calvino (Les villes invisibles) éclaire le regard sans concession : « C’est le moment de désespoir où l’on découvre que cet empire qui nous avait paru la somme de toutes les merveilles est une débâcle sans fin ni forme. »

Graziano Arici Série Lost Persons, Madrid, 2019, Photo © Graziano Arici

Un discours photographique sans complaisance

Le titre Now is the Winter of our Discontent (Voici l’hiver de notre colère), tirée de la première phrase du monologue du Richard III de Shakespeare) donne le ton de ce parcours minutieusement rythmé de plus de 400 images appartenant à 9 séries, réalisées entre 1979 et 2020. Que le visiteur ne compte pas sur lui pour donner davantage de clés de compréhension. Pas de cartels qui distraient l’attention. L’absence de date contribue au contraire à leur perdre puisqu’il n’y a aucun repère temporel ; seuls des noms de lieux et des citations d’auteurs pour chaque série anime le découpage.

Témoin d’une déroute humaniste

Par contre, il en sera plus sur le choix systématique du format carré, qui, pour le photographe, permet de se concentrer sur l’essentiel. Et le détail de toutes les techniques utilisées, sans limite, argentique ou numérique, du polaroid au « Leica du XXIème siècle » (ainsi qualifie-t-il son smartphone). Autant d’outils qui lui permettent de maitriser une large palette d’émotions – voir de rages – face à notre société occidentale qui perd sa boussole : “Depuis 2012, je m’intéresse à ce que les photos aillent à l’essentiel. Comme dans la prise de vue, avec les polaroids, le sujet reste au cœur de la photo, notre vision de mon travail, n’est pas dissipé par un format rectangulaire” .

Graziano Arici, Série Le Grand Tour, Florence, 2019. Photo © Graziano Arici.

Un inventaire à charge

Son « bilan » visuel tranche avec la recherche esthétique portée ‘la puissance visuelle de l’objet rejeté’ invoquée Walker Evans, dont pourtant l’ancien reporter se réclame : ”Je ne suis pas là, uniquement pour observer, les gens dans la rue, je propose un regard qui peut être différent, de ce que chacun veut recevoir, dans entre autre mes clichés en noir et blanc “ Ce regard est sombre. Les sujets photographiés – et leur mise en relation en quatre ou six clichés – portent, éclairent, dénoncent souvent les maux d’une époque qui multiplient les damnés de la terre,  les isolent au milieu de foules anonymes, consolident la misère au frange d’une richesse exorbitante, … sans oublier, le tourisme de masse aveugle, la dégradation de l’environnement, et du patrimoine, …. La série Lost Objects est traiée de la même manière que Lost Human

et un réquisitoire étouffant

Graziano Arici Série Lost Humans Now is the Winter of our Discontent Musée Reattu © Graziano Arici

Cette déshumanisation de l’ordinaire occidental saute aux yeux dans son « discour photographique», véritable réquisitoire selon le terme pertinent de Daniel Rouvier, commissaire directeur du musée Réattu dans le catalogue. Les séries, et l’ellipse des rapprochements des images dans un seul encadrement dressent ou épuisent des récits que renforcent l’impact visuel. Tout est montré au sens propre en images saisissantes. Et son regard décapant les rêves de grandeur d’une Italie à la dérive, à travers l’ironie d’un ancestral « Grand tour », titre de la série italienne incarne celui d’autochtone exilé et amer. Le voyage initiatique engagé par Graziano Arici fait tomber tous les artifices et toutes les illusions des représentations idéalisées, pour laisser place à des hommes et de femmes, isolés, plongés dans leur destin.

Catalogue, collectif sous la direction de Daniel Rouvier, Ariane-Esther Carmignac, commissaire associée, préface de Patrick de Carolis, avant-propos de Paolo Molesini, 312 p. 35€

Pour ceux qui veulent aller plus loin, le magnifique catalogue est enrichi d’un texte d’Ariane-Esther Carmignac qui a fait sa thèse sur Graziano Arici.

#OlivierOlgan