Photographie : Napoli Sublime, par Jean Luc Dubin (Galerie Iconoclastes)

Jusqu’au 8 avril 22, Galerie Iconoclastes, 20 Rue Danielle Casanova, 75002 Paris
ouvert tous les jours de 12h à 19h

Le photographe et plasticien Jean-Luc Dubin aime les villes. Il y promène son vieux Nikon équipé d’un grand angulaire et son fardeau de pellicules. Après New York, Prague, Bamako et d’autres métropoles, son regard incisif infiltre Naples. Ses clichés parfois envoutés et ses « Ex-Votographies » exposés à la galerie parisienne Iconoclastes jusqu’au 8 avril condensent la relation intime qu’il le lie à la Napoli sublime.

Une Naples qui apprivoise la mort

Jean Luc Dubin Napoli Sublime Photo © Jean Luc Dubin

Même pour celui qui connait et aime la grande ville italienne, les clichés de Jean-Luc Dubin tapent dur. Le noir et blanc quasi permanent que le photographe privilégie capte Naples et son mysticisme de manière instantanée et quasi implacable.
Car partout dans la ville où le regard se pose, la mort s’expose. D’abord par ces grands placards collés jour après jour à la va comme je te pousse, l’une recouvrant l’autre sur tous les murs de la ville. Impossible d’échapper aux deuils des autres, voisins et inconnus. Les larmes sont véritablement extorquées par ces annonces de décès et de funérailles.
La mort aussi par ceux des Napolitains qui l’affrontent avec toute une dignité surnaturelle malgré leur misère. Comme si le refus de la déchéance appartient à leur patrimoine génétique. A Naples, les crânes ont un nom, une histoire et peut-être un avenir.

Jean Luc Dubin Napoli Sublime Photo © Jean Luc Dubin

Pipo, le fringant napolitain

L’une des photos les plus saisissantes de ses pérégrinations représente d’ailleurs un simple d’esprit, disparu voici quelques mois, la faute à ce Covid qui a ravagé la ville et l’Italie avant le reste de l’Europe. Pipo n’avait pas le sou. Il vénérait San Gennaro le martyr décapité devenu le patron de la ville et en retour les gens du quartier faisaient en sorte de le maintenir pimpant. Nourri, vêtu comme un italien, toujours rasé de près.
Merci Jean-Luc l’avoir sorti pour toujours de l’anonymat, en exploitant notre contemplation.

Jean Luc Dubin Napoli Sublime Copyright Jean Luc Dubin

Le pénitent éclairé

A Naples plus qu’ailleurs la mort rode. Oui, malgré la mer, le soleil et la lumière éclatante, et les alentours plus merveilleux encore que la Toscane, la Camarde aiguise sa faux comme le montre Dubin. Avec en contrepoint la prière comme réconfort. Telle cette photo de pénombre qui laisse passer un rayon sur la statue d’un pénitent saisi pour toujours en pleine incantation. La mort symbolisée, représentée et même parfois adorée.
Une autre preuve ? Cette photo d’une image murale de Maradona de dos, le génial footballeur argentin qui ressuscita à lui seul le SSC Napoli et la ferveur des tifosis locaux. Naples enfin vainqueur du Scudetto. Devant ces Romains, ces Milanais et ces Turinois ces gens du nord, suant de morgue.

La mort côtoyée au quotidien

La mort, il faut dire que les Napolitains la connaissent bien et depuis toujours. Ils la côtoient au quotidien. Car on ne sait jamais, le Vésuve ou un tremblement de terre parachèvent volontiers le travail morbide des hommes. Pompéi est à une portée de tramway. La Camorra assassine règne sur le quartier espagnol et les faubourgs sinistres. La guerre aussi d’ailleurs. Au dernier jour de la libération de la ville en septembre 1943, un séisme termina le travail des artilleurs allemands et des aviateurs américains.

Les femmes, fort heureusement

Jean Luc Dubin Napoli Sublime Photo © Jean Luc Dubin

Dieu est partout chez lui à Naples, ce que le photographe fait ressentir profondément. Pas une semaine sans une procession quelque part dans la ville. Pas un jour sans une prière spéciale avec convocation de reliques sanctifiées dans l’un des innombrables lieux de prière de la ville. Mais aussi, peut-être plus que nulle part ailleurs en Italie, une vitalité portée à bout de bras par les femmes.
Admirons ces photos de joueuses d’accordéon, de flute et de tambourin réunies pour ces pizzicas terriblement rythmées qui scandent la vie au sud de Rome. Elles sont belles, brunes et charnelles. Elles s’associent dans ces sororités, ces confréries qui les protègent du machisme ambiant. Et les filles ont tôt fait de nous ramener à l’âme de la ville.

Superstition à l’état gazeux

Jean Luc Dubin Napoli Sublime Photo © Jean Luc Dubin

Ces catacombes plus ou moins bouchées par la volonté de l’Eglise peu soucieuse d’une concurrence qui relève tout de même de la magie, de la superstition ou de je ne sais quelle tradition fumeuse transmise de mère en fille. Comme la vénération de ces cranes, dont Jean-Luc Dubin arrive à capter le regard du maudit, et que des femmes emportent en douce et dont elles s’occupent comme les fillettes de leur poupée.

Des Ex-Votographies intimes

Les Ex-Votographies de Jean Luc Dubin Napoli Sublime Galerie Iconoclates Photo OOlgan

Les photos bien encadrés exposées sur les murs de la Galerie Iconoclastes côtoient toute une série d’images colées sur des morceaux de zinc, de lave ou de cailloux ; le photographe les nomme avec tendresse des Ex-Votographies issues de la relation qu’il entretient avec les Ex-votos, qui « à Naples, enrichissent la vie terrestre, souterraine et pourquoi pas la vie divine ». Avec la complicité de la sculptrice Jocelyne Bouquin, ses Ex-Votographies, fabriquées à partir de papier japonais marouflés sont aussi cousues entre elles comme autant « de petits arrangements avec la réalité, typiquement Napolitains, que Florian Villain, enseignant en philosophie et sociologie appelle l’art de la débrouillardise, l’art des harmonisations spontanées »

Par les traces vivantes rapportées au fil des voyages, Naples reprend ses droits, gigantesque, difforme, pieuse et macabre mais tellement vivante et splendide.

#Robert Mauss

Pour aller plus loin : le site de Jean-Luc Dubin
Prix des photos : entre 80 et 650 euros pour les grands formats.
Tirages 8 exemplaires par photo avec certificat.