Photographie : Samuel Fosso, Autoportrait (MEP)
Mercredi et vendredi 11h – 20h, Jeudi 11h – 22h, week-end 10h – 20h
Catalogue (1ere monographie en français) : sous la direction de Okwui Enwezorco coédition Steidl-MEP-The Walther Collection, 351 p. 85 €
Plus que quelques jours pour découvrir à la MEP jusqu’au 13 mars, l’étonnante rétrospective de Samuel Fosso qui décline un travail d’un demi-siècle d’autoportraits. En interrogeant ses identités multiples, le photographe centrafricain à la plasticité étonnante archive et projette une stimulante invention de soi. Entre mime caméléon et magicien transformiste. Entre histoire et fiction.
Un destin contredit
Rien ne prédestinait Samuel Fosso à devenir l’un des grands autoportraitistes de son temps. Dans le studio que l’exilé de la guerre du Biafra ouvre à 13 ans à Bangui en République centrafricaine, remis d’une paralysie des mains et des pieds, le jeune autodidacte se propose de capturer les portraits de ces concitoyens, avec la savoureuse promesse : “Avec Studio Photo Nationale, vous serez beau, chic, délicat et facile à reconnaître.”
De 1975 à 1990, c’est le soir en de longues séances où le décor, les accessoires, les poses changent que le jeune décomplexé fait ses armes sur lui-même, avec les moyens du bord, et des postures puisées dans les magazines de mode. « En Afrique, il y a cette croyance que votre image photographique est votre âme. Et je ne voulais pas vendre mon âme ! précise-t-il dans l’entretien du catalogue. Je gardais ces photos dans des albums, dans la poussière, attendant le jour où je serais marié et où je pourrai les montrer à mes enfants. »
Transmettre aux générations futures
Il a fallu la rencontre en 1993 de Bernard Descamps, un photographe français en recherche de talents pour qu’il découvre que son travail nocturne ouvrait autant de perspectives esthétiques que politiques : « Je prends la parole à travers mes photos pour tous ceux qui n’ont pas la possibilité de s’exprimer. »
Les invitations notamment celle de Tati pour le cinquantenaire de leurs magasins, lui permettent « d’exprimer autre chose, d’incarner des personnages. » Depuis en multiples séries créatives, il n’a de cesse à travers la plasticité d’un corps et une culture visuelle pop très éclectique de se jouer des codes iconographiques de représentations de la figure noir, et d’interroger le regard stéréotypé du monde occidental sur l’Afrique.
« À travers cette exposition, revendique Clothilde Morette, commissaire de l’exposition MEP, je voulais vraiment mettre en évidence l’aspect performatif de son travail, cette capacité de renouvellement, tout comme l’aspect très politique bien qu’il réfute ce terme. J’entends politique dans le sens de son regard sur la société. »
Des mises en situation virtuoses
Depuis 70’S Lifestyle (1975-1978) et Tati (1997) qui se joue des archétypes de la mode jusqu’à SixSixSix (2015), qui aligne 160 polaroids d’expressions humaines, de la rage à la tristesse,, les séries aux mises en scènes et costumes de plus en plus sophistiquées se jouent toujours dans le respect de nombreuses figures : African Spirits (2008) associe figures du mouvement de décolonisation et d’indépendance en Afrique, et celles du mouvement des droits civiques aux États-Unis, Emperor of Africa (2013), utilise Mao Zedong pour dénoncer l’emprise de la Chine sur le continent africain encore Black Pope (2017), où il (s’) imagine en pape noir…. Avec des détours intimes bouleversants comme Mémoire d’un ami » (2000) où jusqu’à la nudité Fosso évoque le calvaire de son ami Tala assassiné par la milice centrafricaine en 1997.
« Il m’a semblé très important d’exposer l’ensemble de ses séries pour montrer la diversité de son travail » explique Clothilde Morette. Une douzaine en tout qui investisse l’ensemble de la MEP pour un fascinant parcours d’un regard au service de l’art. « J’ignorais que je faisais de la photographie artistique. se souvient Fusso avec, cette conscience aiguë de sa place dans l’histoire et la culture. Tout ce que je savais, c’était que je me transformais moi-même en ce que je souhaitais devenir. Je vivais une série d’idées sur moi-même ».
Devenir œuvre
« Si vous me demandez pourquoi je privilégie les autoportraits, je crois que la réponse s’enracine dans l’histoire de ma vie, et ce que signifie l’autoreprésentation pour moi », insiste Samuel Fosso, dans l’interview du catalogue. Entre l’intime et la grande histoire. Pour rajouter : « Même si toutes les séries que j’ai réalisées peuvent être comprises par les spectateurs comme distinctes et indépendantes, donc différentes, il existe pour moi un thème unificateur qui les rassemble : c’est la question du pouvoir. »
Cette introspection de Samuel Fosso en maître de la performance inscrite dans un genre fondateur de l’histoire de l’art, distille de nouveaux codes, de nouvelles incarnations. « Un autoportrait est d’abord une métamorphose, rappelle Pascal Bonafoux, dans son Dictionnaire de la peinture par les peintres (Perrin, 2012) grand spécialiste du genre (Autoportraits cachés). Il faut se souvenir de ces mots d’Albertio qui assura que Narcisse avait été l’inventeur de la peintre. Se peindre (se photographier), c’est devenir son œuvre. » Cette chance n’échappe pas au caméléon humaniste : « Il y a une partie de tristesse, de joie, de calme… et tout cela forme la vie. Ma vie. »
#OlivierOlgan